Comme je l'expliquais en préambule, le iQue est une manette qui se branche directement dans la télévision et qui permet de lire les jeux Nintendo 64 et Super Nintendo. Le iQue n'est néanmoins pas compatible avec les cartouches éditées jadis. En effet, le iQue est accompagné de son propre support : une petite carte (plus ou moins de la taille d'une memory card GameCube) de 64 Mo, flashable et rechargeable à souhait. Les jeux ne sont donc plus distribués sur un média tangible et inaltérable, mais sont diffusés de manière volatile, puisque les utilisateurs les chargent sur leur cartouche et utilisent ensuite un code barre pour délocker la protection de lecture du fichier. Le software est pour l'instant uniquement disponible dans des bornes appelées « iQue Depot » et disposées dans les chaînes de magasins partenaires (pour l'instant, en exclusivité dans tous les supermarchés Carrefour opérant sur place... le monde est petit quand il est globalisé). Les codes barre se trouvent sur des cartes en plastique que l'on peut gratter et que l'on reçoit à l'achat. Ken Toyoda a déclaré lors du TGS 2003 que l'achat en ligne directement sur Internet sera aussi rendu possible ultérieurement mais sans divulguer de plus amples détails. Au iQue Depot, il est en outre possible de mettre à jour l'OS de son iQue lorsqu'une « system update » est disponible. En effet, comme Microsoft a l'intention de le faire pour sa Xbox2, Nintendo a opté pour un système d'exploitation évolutif, répondant au nom tout simple de UOS (abbréviation de l'Anglais « Updateable Operating System »).
Ce mode de diffusion est presque l'aboutissement ultime du fameux « Système Toyota » (aussi appelé « système cinq zéros » : 0 stock , 0 intermédiaire, 0 paperasse, 0 délai, 0 défaut) étudié en économie, puisque dans le cas présent, il n'y a pas du tout de matériau, ni de stock, ni de fabrication préalablement nécessaire à la diffusion des jeux sur le iQue. De plus, les titres ont déjà été développés par le passé, distribués, amortis et rentabilisés. C'est donc une deuxième vie pour eux et les revenus engendrés par leur réédition sont à voir comme du bonus. Du coup, ce qui séduit sur iQue, c'est le prix des jeux justement ! Chaque titre se vend pour seulement 48 Yuan, ce qui équivaut à environ 4,6 Euros ! Quand on sait que le line-up de lancement comprenait des bombes comme Mario 64, Starfox 64, Zelda Ocarina Of Time ou Wave Race, On se dit que décidément Nintendo a mis les atouts dans son jeu pour triompher en Chine malgré le piratage. Sans oublier de mentionner que certaines démos jouables (limitées dans le nombre de niveaux ou dans le temps d'utilisation alloué) sont aussi disponibles en téléchargement et que Dr. Mario (SNIN) est gratuit pour tout achat d'un lecteur iQue, commercialisé au prix de 598 Yuan (plus ou moins 57 Euros)
Le iQue est produit, distribué et représenté en Chine par iQue Ltd. Cette société est une filiale possédée à 50 % par Nintendo Of Japan et à 50 % par Dr. Wai Yen. Ce dernier n'est pas un nouveau venu dans le monde du jeu vidéo puisqu'il a tour à tour dirigé Silicon Graphics et ArtX, où il fut en charge de concevoir le co-processeur graphique de la Nintendo 64. Ique Ltd est aussi appelée Shinyu Technology Ltd en Chine et se situe dans le parc industriel de Suzhou, dans la banlieue de Shanghai. Cette compagnie s'occupe en outre de la production de masse de softwares pour Nintendo dans la région et dispose d'un capital estimé à 30 millions de dollars. Il est intéressant de noter qu'en fonction de la taille du parc installé dans la région, Nintendo a l'intention de confier à iQue Ltd. le développement dans des studios locaux de softwares tournant sur iQue. Cette manoeuvre n'est pas seulement destinée à maximiser les profits provenant du iQue à court terme mais aussi à construire un maillage solide dans la région. Les programmeurs y sont peu chers et leur nombre y est croissant, et il s'agit d'en « embrigader » le plus possible. D'autre part, le marché intérieur étant quatre fois plus grand que celui des USA, il est évident que du jeu vidéo sera développé et produit localement une fois que le secteur vidéoludique y connaîtra son apogée. Il fut une époque où presque tous les jeux sur consoles Japonaises étaient conçus au Japon. Mais le jour où les consoles ont commencé à avoir un succès de masse sur le territoire américain, des tas d'éditeurs US ont naturellement commencé à publier sur ces supports. Idem sur le marché Européen.
L'iQue est basé sur un Business Model complètement novateur dans l'industrie vidéoludique. Au lieu de fabriquer une technologie de pointe extrêmement coûteuse, au lieu de réaliser des nouveaux titres exploitant la puissance de la bête, au lieu de vendre la machine à perte pour installer son parc d'utilisateurs dans l'optique de se refaire sur les softs, Nintendo a pris une voie radicalement nouvelle : une machine simple et peu onéreuse, basée sur la technologie de la vague précédente, pour laquelle des milliers de titres finis sont au catalogue et ont déjà été rentabilisés, et dont la distribution se fera de manière volatile. Le résultat est que, si les jeux ont, certes, une génération de retard, leur prix de vente au détail a par contre été divisé par dix. En rapport qualité/prix, le consommateur fait vraiment une affaire. Les titres quant à eux, bénéficient d'une deuxième vie et les recettes engrangées sont autant de profits additionnels imprévus et capitalisant résolument sur des actifs issus d'un patrimoine ancien. Complètement en-dehors de la guerre des consoles nextgen et high-tech qui constitue la norme dans le monde du jeu vidéo, Nintendo vient d'inventer, avec l'iQue, le recyclage de vieux succès. Un peu comme quand l'industrie du disque sort des compilations de tubes vieux de plus de trente ans et déjà vendus par millions, d'un chanteur déjà mort et dont le répertoire a déjà été rentabilisé cent fois. En rédigeant ce reportage, j'ai d'ailleurs Marvin Gaye dans les oreilles...