Pour l'instant, certes, le iQue peut sembler loin de la majorité d'entre nous, puisqu'uniquement diffusé officiellement en Chine (même si je me doute qu'il y aura sûrement quelques aficionados de l'import qui commanderont un exemplaire à distance). Pourtant, de manière directe ou indirecte, il est fort possible que le iQue influence Nintendo à différents niveaux de sa stratégie internationale. Trois pistes semblent en tout cas tracées en traits pointillés...
Premièrement, rien ne dit que le iQue restera une exclusivité Chinoise. Il est probable que de bonnes ventes dans ce pays poussent Nintendo à tenter sa chance dans d'autres nations, marchés inédits ou non. Une sortie mondiale n'est finalement même pas à exclure. Lorsque l'on parcourt la communication de Nintendo sur le iQue, on devine entre les lignes que l'hypothèse est bel et bien envisagée au QG de Kyoto et que les développements sur le marché Chinois sont suivis avec attention en vue de prendre éventuellement une telle décision. D'autre part, le signal vidéo utilisé par le iQue est le NTSC, alors que, pourtant, le standard en Chine est le PAL-B. Enfin, le développement du iQue a été fait de manière sérieuse et professionnelle pour le projet 'iQue' et Nintendo n'a pas lésiné sur les moyens, faisant notamment appel, pour le design extérieur de la machine, à Scott Summit, qui a travaillé pour Apple et sur le PDA « Zodiac ».
Cette possibilité est tellement crédible que certains éditorialistes de la presse vidéoludique ont d'ailleurs perdu leur pari au sujet du produit mystère de Nintendo pour 2004 puisqu'ils étaient nombreux à miser sur l'iQue alors que ce sera finalement la Nintendo DS. Cela peut paraître ridicule après coup, mais je connais d'autres « insiders » qui ont perdu leur slip en optant pour un casque de réalité virtuelle... Si le iQue ne fait sans doute pas rêver l'entièreté de la communauté des gamers déjà passés à la génération 128-bits et pas prêts à revenir à des graphismes et animations plus simplistes, force est de reconnaître que ce serait le cadeau idéal de Noël ou d'anniversaire pour mon petit neveu ou pour quiconque dans la tranche marketing « 6-13 ans » (les enfants, en langage familier). Une console de jeux avec une carte de cinq jeux pour une centaine d'euros, et sur laquelle il est possible d'ajouter des nouveaux jeux par Internet pour 5 à 7 Euros, voilà qui permettrait de faire plaisir pendant longtemps et pour pas cher. Car si les petits reçoivent essentiellement des Gameboy, c'est parce qu'une console de salon peut s'avérer trop coûteuse pour les parents. Effectivement, ce n'est pas le tout de débourser une somme importante pour la console, encore faut-il compter devoir débourser le quart de cette somme initiale à chaque nouveau jeu acheté ! Nintendo apporterait donc une solution aux cauchemars financiers des familles avec le iQue, tout en leur simplifiant la vie : achat en ligne plutôt que de devoir accompagner le samedi au magasin spécialisé, branchement facile de l'appareil sur la télévision. Additionnellement, ce genre de produits attirera certainement les puristes du gameplay et autres retrogamers.
Dans un second temps, la petite taille du iQue, son prix de revient abordable, et sa puissance technologique prouvent la faisabilité d'une hypothétique Gameboy Advance 64. Celle-ci pourrait sans doute être réalisée rapidement (éventuellement boostée pour l'occasion comme l'a été la Gameboy Advance en comparaison avec la Super Nintendo) et diffusée à un prix nettement inférieur à celui de la PSP, si l'offensive de Sony devait pousser Nintendo à devoir hâter la sortie d'un successeur à sa bonne gagneuse de portable. Si techniquement, cela semble à portée de main, rien ne permet de confirmer la volonté de Nintendo d'oeuvrer dans ce sens. En effet, les ventes de la Gameboy Advance se portent extrêmement bien, de même que les ventes de softwares sur le support. Pas d'affolement au présent, donc, et pas plus dans un futur immédiat puisque Sony et Nintendo sont d'accord pour dire que la PSP et la GBA ne visent pas le même public (la première est plus puissante, plus versatile et résolument multimédia tandis que la seconde est simplement quatre fois moins chère et plus simple d'accès... '18-25 ans' et '13-18 ans' sont donc les coeurs de cible respectifs). D'autre part, à son époque, la Gameboy est restée longtemps en noir et blanc, malgré les tentatives d'assaut de Sega avec la GameGear, d'Atari avec la Lynx et de NEC avec la PC Engine GT. Nintendo n'est en effet passé à la Gameboy Color qu'au moment où il le souhaitait. La GBC est ensuite restée dominatrice sur le marché des portables après les offensives SNK Neo Geo Pocket et Bandai Wonderswan Color, plus puissantes mais aussi plus chères et donc moins populaires. Ce n'est une fois encore qu'en accord avec son propre calendrier que Nintendo se décida à sortir la Gameboy Advance. Mon petit doigt me dit donc qu'il faudra sans doute être patient avant que Nintendo ne sorte un successeur à sa portative (la DS étant basée sur la même technologie et étant une innovation au niveau du gameplay mais en même temps une approche différente et donc non-concurrentielle de la GBA). Par contre, le fait que le iQue soit alimenté par la même fiche, d'où provient le signal vidéo, autorise techniquement la création et l'ajustement d'un périphérique 'Batterie + Ecran' qui transformerait le iQue en portable « occasionnelle ». Cet add-on n'est pas du tout à l'ordre du jour pour l'instant. Il pourrait, cependant, traverser des esprits chez Nintendo, iQue Ltd, voire chez les accessoiristes tiers, si le parc installé devenait important. Mais là, je suppute et j'extrapole...
La piste la plus intéressante à suivre est certainement le mode de distribution des jeux iQue. Nul doute que ce modèle est en phase d'expérimentation sur le marché Chinois, qui sert de laboratoire géant. Ce marché est, en effet, suffisamment marginal, pour que les effets potentiels du iQue n'aient aucune répercussion sur les autres marchés et projets de la firme. Cependant, il est aussi d'une ampleur suffisante pour mesurer l'ensemble de ces effets en situation réelle. En étudiant de près le passé de Nintendo, on s'aperçoit que le concept de la cartouche rechargeable n'est pas une première pour le groupe et que donc la distribution volatile de softwares trotte décidément dans la tête de ses dirigeants sur le long terme. Un précédent a en effet eu lieu dans les dernières années de gloire de la Super Famicom 16-bits au Japon (chez nous Super Nintendo), avec le projet « Satellaview ». En 1995, Bandai et Nintendo sortaient en partenariat l'add-on « Satellaview-X » (en Katakana, « Saterabyuu-ekkusu ») composé de deux éléments : un modem se plaçant en dessous de la console et une cartouche flashable vierge s'insérant dans le port du dessus. Le modem permettait de se connecter au satellite Japonais St-GIGA pour télécharger du contenu gratuit sur sa cartouche flashable (limitée à 1 Mégabit). Les programmes étaient diffusés à un moment précis et pouvaient être enregistrés par l'utilisateur à ce moment-là uniquement. De la même manière que vous enregistreriez un show télévisé à l'heure de sa diffusion et non à l'envie (comme on y est aujourd'hui habitué sur Internet). Les téléchargements n'avaient d'ailleurs lieu qu'entre 16h00 et 19h00 quotidiennement, puisque ce canal diffusait des émissions pour la télévision via le même satellite pendant le reste de la journée. Le contenu était essentiellement composé de jeux inédits gratuits, de démos jouables, d'un magazine électronique et d'upgrades. Comme le tout était gratuit, Nintendo espérait rentabiliser ce projet par la vente d'espaces publicitaires. Lors du lancement, Data East, Konami, Square et Taito se montrèrent intéressées par la diffusion de démos et autres insertions promotionnelles mais au final seules Square et Nintendo ont publié des logiciels pour le Satellaview-X.
Le danger de ce genre de système est évident : si la protection de lecture était hackée, la propagation du piratage serait excessivement rapide puisque sans obstacle supplémentaire à franchir. Plus concrètement, si le iQue est débridé, il serait possible d'uploader dessus l'ensemble du catalogue de roms SNES et N64 déjà dumpées depuis des lustres et téléchargeables par centaines sur le net. Si ce jour arrivait, Nintendo aurait mis en vente un combiné 'N64 + Joypad + V64 Junior* 3 en 1' à un prix plancher. En fait, si le iQue était cracké, Nintendo se serait alors mise elle-même en position de devoir concurrencer le prix zéro, comme doit le faire l'industrie du disque (cf supra). Du coup, la phase de sécurisation du système est primordiale avant que ce schèma, nettement moins lourd en investissements de départ que les business models actuels, ne puisse être appliqué pour toutes les futures consoles de Nintendo. Le risque est tel qu'un petit test grandeur nature, dans un pays aussi vaste que la Chine, considéré comme le temple du piratage mondial, s'impose.
* Le V64 Junior était un outil de back-up de la société Bung Enterprises pour Nintendo 64, et concurrent du Mr. BackupZ64. Alors que ce dernier coûtait plus cher mais fonctionnait sans matériel additionnel grâce à un lecteur ZIP intégré, le V64 Junior était une sorte de cartouche vierge que l'on pouvait flasher et re-flasher via le port imprimante de son PC grâce au software fourni.
A l'heure actuelle, Nintendo semble satisfait des ventes initiales du iQue à Shanghai et Goangzhou (bien qu'aucune donnée précise n'ait été communiquée par la firme) et a l'intention d'élargir la distribution à d'autres régions du pays, comme le rapportait le Nikkei BizTech à la fin du mois de Décembre. Affaire à suivre...