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Si les passionnés crient souvent au scandale des publications différées de jeux sur notre continent, quand elles sont effectivement faites, la localisation européenne d'un jeu déjà publié aux USA ne coule en fait pas de source, comme l'expliquait Jessica Chavez sur NeoGAF. En dépit de la probable réutilisation de la traduction, les autres étapes (QA, élaboration d'un manuel dédié, formulaires administratifs, tests par le constructeur, reprogrammation du logiciel et soumission à l'organisme de certification PEGI) doivent par contre être scrupuleusement respectées pour garantir la qualité du jeu, et se mettre au clair avec la législation. Et ce n'est que pour une langue. De fait, outre le coût souvent prohibitif pour un éditeur (qui plus est de la taille de Xseed) et la non-garantie du retour sur investissement, l'obligation pour les éditeurs de trouver un distributeur agréé et autres embûches, cela demande énormément de temps, temps qui manque déjà pour mener des projets à bien. Pour une petite compagnie comme Xseed, qui plus est quand elle distribue des jeux si peu connus, se pose toujours la question du mode de distribution : Faut-il commercialiser le jeu en boîte, en dématérialisé, en combien d'unités ? Il est nécessaire de coller du mieux possible à la demande des acheteurs potentiels pour rentrer dans ses frais et contenter les fans. Cela n'est pas toujours simple et se finit parfois en eau de boudin, comme pour la localisation de Grand Knights History, stoppée en plein vol par manque de moyens malgré l'envie de sortir le jeu en Occident. Par conséquent, la prochaine fois que vous prendra l'envie de râler un bon coup à l'encontre des méchants éditeurs, essayez d'avoir un peu d'empathie : ils font souvent ce qu'ils peuvent.
On l'a vu, Xseed possède un positionnement éditorial particulier quant aux jeux qu'il localise pour le marché nord-américain et l'Europe par ricochet. Néanmoins il n'est pas le seul sur le gâteau, d'autres compagnies s'y intéressent également. Citons pour ce marché JRPG de niche les deux autres plus importants : NIS America, filiale de Nippon Ichi Software à l'œuvre sur les Disgaea et autres séries estampillées N1 mais aussi actif sur des propriétés intellectuelles de Gust (Atelier, Ar NoSurge), Compile Heart ou dernièrement sur Tears To Tiara 2 et la bizarrerie Natural Doctrine. D'autre part, Atlus USA et ses Shin Megami Tensei, Persona ou autres Etrian Odyssey, qui s'occupe également de séries particulières comme les Dept. Heaven de Sting et les Growlanser. C'est bien simple, consultez vos collections de JRPG sur PSP, PS2, PS3, 3DS, DS, Vita, et quelques autres (Steam), mettez de côté les gros auto-éditeurs comme Square Enix ou Namco Bandai et il y a fort à parier que plus de 80% des jeux seront édités ou au moins localisés* par l'un de ces trois-là.
*Des éditeurs locaux comme Ghostlight ou Koei-Tecmo prennent parfois le relais pour la distribution en Europe.
On peut donc se demander ce qui permet à Xseed de se démarquer de ses concurrents plus ou moins proches, même s'il paraît évident que ces compagnies s'estiment et s'apprécient mutuellement et que les passionnés de jeux butinent de l'une à l'autre. Eh bien la réponse est sans aucun doute à chercher dans les sujets évoqués sur les pages précédentes. Pour les amateurs de jeux japonais qui ont de longue date pris l'habitude de se sentir floués par les éditeurs insulaires, une compagnie aussi à l’écoute et coopérative – presque mécènale, toutes proportions gardées – c'est le Père Noël. Des années de disette enfin derrière nous et des façons tout à fait nouvelles d'envisager le genre (centrées sur le gameplay nerveux avec les Ys, sur le scénario étoffé avec les The Legend of Heroes, etc.) qui s'offrent enfin au marché occidental. Des consoles comme la PSP, pratiquement mortes par désintérêt des gros éditeurs, sont maintenues un peu plus en vie grâce à Xseed et aux quelques autres passionnés. Quand on rajoute l'image très simple, presque artisanale qui lui colle à la peau – paraît-il que Brittany Avery gère une grande partie dans sa boutique en ligne – ce n'est pas tellement étonnant qu'il jouisse d'une si grande cote de popularité.
Surtout, la proximité que Xseed entretient avec ses clients potentiels par l'intermédiaire d'interviews, des réseaux sociaux et autres forums lui donne finalement un sacré avantage. Durant la phase d'élaboration du produit déjà, où les fans les plus cultivés en ce qui concerne un jeu en particulier sont parfois consultés en ce qui concerne les caractères à donner aux personnages pour coller au plus près de l'original. Avoir un retour sur leurs attentes en amont du lancement d'un projet permet d’en prendre la température et de mieux en définir certains points : doublage japonais ou non, pertinence d'une édition limitée, etc. Sans oublier qu'il peut également compter sur eux pour se voir proposer de petites perles méconnues. De même, en ce qui concerne la promotion de ses produits, cette estimation mutuelle est un atout non négligeable. Sachant pertinemment qu'il n'a pas la force de frappe marketing des jeux AAA, Xseed se tourne vers sa plus grande ressource en la matière : sa communauté. En se positionnant au plus près des amateurs de jeux de niche, il peut plus facilement en faire des apôtres spontanés pour ses futures licences. Les petits stands qu'il tient dans les salons américains comme l'E3 sont l'occasion de rencontrer de visu les amateurs de ses jeux. Mais à l'heure où une conférence à guichets fermés à l'E3 ne suffit plus à assurer les ventes, la communication par réseaux offre bien d'autres garanties. Qu'on se le dise, les mentalités évoluent, et pour ces jeux confidentiels tout du moins, on passe petit à petit du simple mercantilisme industrialisé à une "consommation coup de cœur" : pas besoin de graphismes époustouflants, de mise en scène réaliste et d'effets spéciaux propres aux jeux grand public, ce qui prime c'est « l'âme » du jeu. Un jeu sera d'autant mieux considéré comme une véritable œuvre que dans l'esprit des joueurs, la vision du développeur apparaîtra comme non pervertie.
La mini-série des Trails in the Sky est un bon exemple de ce changement de mentalité : très peu connu du public à sa sortie en 2011, le premier chapitre fut un succès critique plus que commercial. La version PSP, dans un marché en berne reçut des ventes très moyennes, compte tenu du travail accompli. Pourtant la sortie du portage Steam en 2014 dépassa largement les espérances de l'éditeur, se plaça un long moment en tête des ventes de la plate-forme et devint son meilleur lancement PC de loin. A force de bouche à oreille, ce petit jeu inconnu a tout simplement obtenu un important soutien de la communauté sur le long terme, et il y a fort à parier que le second chapitre, prévu en 2015 continuera sur cette lancée. Malheureusement, tous les jeux de Xseed n'obtiennent pas le même accueil. Malgré leurs grandes forces, Half Minute Hero et Fragile Dreams n'ont obtenu qu'un accueil glacial du public. Sans faire de vrai four, la réception de Valhalla Knights fut très mitigée. Même chose pour sa suite. Difficile dans ces conditions pour Xseed de sortir des jeux demandés par une mince frange de passionnés, sans prendre ses précautions. Pourtant l'éditeur continue son petit bonhomme de chemin en étant prudent, mais courageux.
Et c'est cela qui transparaît au travers des travaux localisés par Xseed, triés sur le volet, élaborés avec le cœur et vendus avec amour. Verra-t-on d'autres compagnies choisir un chemin similaire ? Probablement. Certaines de ces remarques peuvent d'ores et déjà être transposées aux développeurs indépendants qui disposent des mêmes arguments. Des outils comme Kickstarter aident tout autant à rapprocher le public des créateurs, et à construire les jeux de concert, tout en sautant le besoin d'un éditeur. Difficile donc de dire de quoi l'avenir sera fait pour ces petites compagnies sur la corde raide, dont Xseed fait partie. Mais gageons que même si le futur ne sera pas de tout repos, ce dernier continuera encore longtemps à œuvrer dans la même optique de sauvegarde de cette niche nippophile.