Outre Actraiser, le studio Quintet s’est surtout fait connaître pour sa "trilogie" d’action-RPG sur Super Nintendo, regroupant Soul Blazer, Illusion of Time et Terranigma, jeux marquants, malgré leurs quelques défauts. Aussi, lorsque le studio, rebaptisé Shade pour l’occasion, annonça un nouveau titre sur PlayStation, les joueurs étaient légitimement en droit de s’attendre à une nouvelle petite pépite. A la place, il y eut The Granstream Saga.
La bêtise des hommes, le malheur du monde
Une centaine d’années avant le début du jeu, deux nations passablement bornées se livrèrent une guerre sans merci et l’irréparable se produisit : l’usage irréfléchi d’une arme magique pulvérisa une partie de la croûte terrestre, dévia la planète de son axe et fit fondre les calottes glacières. Quatre Sages, neutres dans ce conflit, parvinrent cependant à sauver quatre territoires en les faisant flotter dans les airs grâce à la tour d’Airlim. Cent ans plus tard, les Sages ont disparu, les quatre continents, privés de leur pouvoir, commencent à sombrer et les anciennes puissances se réveillent. C’est dans ce joyeux contexte que notre héros au passé mystérieux, Eon, rencontre par vision interposée Arcia, descendante de l’un des Sages. Devinez qui va devoir sauver le monde ?
Vieilles ficelles et nouveautés ?
Dit comme ça, le scénario ne semble pas être d’une folle originalité. Et, de fait, on n’échappe pas à certains poncifs du genre, à commencer par le héros orphelin au passé mystérieux qui dispose bien entendu de l’artefact nécessaire pour sauver le monde, en l’occurrence un sceptre. Ou la jeune fille naïve aux pouvoirs étranges, stéréotype de la demoiselle en détresse qui cristallise les enjeux des puissants de ce monde. Soyons honnêtes, on a déjà vu ça mille fois. Et ce ne sont pas les autres personnages, eux aussi passablement clichés, qui aident à modifier cette impression. Fort heureusement, la plupart d’entre eux se révèlent assez attachants et plus intéressants qu’au premier abord, notamment Laramee et son frère Slayzer, pirates des airs assez classes. D’autres sont, cependant, impossibles à sauver, tels la transparente et très cruche Arcia ou l’enquiquinant Korky, oiseau de compagnie au design discutable. Rien de bien marquant, donc, mais rien non plus d’insupportable du côté des personnages.
Et le problème est un peu le même en ce qui concerne l’histoire : elle n’est pas désagréable, mais elle n’a rien de bien folichon non plus. On sent que le fond a été soigné et que les développeurs avaient envie d’aborder des sujets graves ou de grands enjeux, comme les dangers de la course à l’armement et ses conséquences sur les populations civiles. Le problème, c’est que ces thématiques sont surtout présentes dans ce qu’il s’est passé avant le jeu ou avant que les personnages n’arrivent dans tel ou tel lieu, pas pendant l’action. De sorte que la quête d’Eon, consistant grosso modo à restaurer les dispositifs permettant aux continents de voler, est d’une platitude rarement atteinte. On s’ennuie un peu jusqu’à la fin, qui arrive heureusement assez vite : comptez une petite trentaine d’heures pour y arriver (et non pas 100, comme marqué au dos du boîtier, ce qui est un mensonge éhonté). Une fois l’aventure proche de son dénouement, les scénaristes décident visiblement de commencer à bosser et sortent de nulle part l’ennemi final qui, enfin, nous propose quelque chose d’intéressant, un vrai choix cornélien et deux fins. Mais cela arrive un peu trop tard pour sauver l’ensemble. En termes de narration, The Granstream Saga ressemble un peu à un grand bain d’eau tiède, avec seau d’eau froide en pleine figure à la fin pour vous réveiller. Venant des créateurs de Terranigma, c’est plutôt décevant.
Un ennemi, je tape, il tape ; un ennemi, je tape, il tape…
D’un point de vue gameplay, ce n’est non plus le nirvana, loin s’en faut. Tout d’abord, en termes d’exploration, le joueur est assez limité. Le monde ne propose que quatre "continents", ou plutôt îles volantes, lesquelles ne comptent, dans le meilleur des cas, qu’un seul village, un autre lieu (maison, château), plus un donjon. C’est tout. Et pas de carte : on choisit la destination, point. C’est d’autant plus regrettable qu’un univers proposant des terres flottantes et un vaisseau pirate pouvait laisser espérer un peu de liberté, de l’aventure, de l’espace… bref, ce que l’on trouvera quelques années plus tard dans Skies of Arcadia. Là, rien ou presque et c’est très frustrant. Les lieux sont peu nombreux, et on est sur des rails : impossible de se perdre, le dirigisme est omniprésent. Vous êtes obligé de visiter les villages (dans lesquels les commerçants vous escroqueront comme rarement dans un RPG), puis les donjons, avec parfois un petit bonus, comme un vaisseau ennemi ou allié. Une fois dans les donjons, qui sont d’une simplicité affligeante malgré les énigmes, on a droit à un peu d’action... enfin, c’est très relatif.
Les ennemis, visibles à l’écran, vous attendent souvent plantés comme des piquets, sans rien faire, ou avançant à la vitesse d’une limace neurasthénique. Il faut s’approcher d’eux pour déclencher un combat. Heureusement, d’autres sont plus véloces ou vous tombent dessus à l’improviste, vous empêchant ainsi de périr d’ennui. Une fois le combat déclenché, sans transition et grâce à son bracelet magique, Eon revêt son armure, sort son arme et peut attaquer. Et là, on tombe dans du très classique pour de l’action-RPG : attaque, esquive, parade, un coup spécial pénible à sortir car mal adapté à la manette, un peu de magie ou d’utilisation d’items de temps à autre. Seulement, les ennemis sont tellement lents qu’il suffit le plus souvent d’esquiver en attendant qu’ils lancent une attaque, pour les contourner à ce moment précis et les frapper dans le dos. Seuls les boss et les sorciers offrent un peu de challenge, mais globalement, il n’y a pas de réelle difficulté (ce qui doit peut-être expliquer la rareté des objets de soin et leur coût prohibitif en magasins). Précision faite que vous n’affronterez jamais qu’un seul ennemi à la fois. Et rien ne sert de défourailler du mob pour monter en expérience, cela n’arrive qu’à des moments précis du jeu. Bref, rien non plus de bien enthousiasmant côté combats. Ici également, la déception guette.
Mon visage !! Qu’est-il arrivé à mon visage ?!!!
La réalisation laisse, elle aussi, une impression plus que mitigée. Certains côtés sont vraiment agréables : le character design est soigné (sauf pour Korky) et on peut profiter des portraits des personnages lors des dialogues, les moments importants sont soulignés par de très sympathiques scènes animées (malgré une scène de douche complètement gratuite et hors de propos), et les villages sont plutôt agréables. Le choix de la 3D polygonale vue du dessus a de quoi surprendre, mais cela ne gêne pas l’exploration, la caméra pouvant être orientée à l’envi. Les villes, en particulier, sont assez réussies pour l’époque. Les donjons, un peu moins, bien que cela reste très correct. Les personnages, en combat surtout, bougent bien et sans saccades. Quant aux musiques, elles sont, dans l’ensemble, réussies et agréables à l’écoute, même s’il manque tout de même un thème marquant dans le lot. A priori, ça part plutôt bien.
Oui, mais. Si les animations sont fluides, les personnages ont, eux, l’air d’avoir un balai enfoncé dans le fondement tant ils se déplacent de manière rigide. Certains décors pixellisent un peu trop. Les bruitages sont parfois un peu ratés (d’autres rappelleront de bons souvenirs aux joueurs des titres précédents). Les ennemis sortent tous du même moule : une demi-douzaine de modèles se répète dans toutes les couleurs possibles. Les armures d’Eon sont affreuses. Et surtout, surtout : les personnages n’ont pas de visage !!! Pas de bouche, c’est une chose, c’était le cas dans Final Fantasy VII, mais pas d’yeux ? Sérieusement ? Non seulement c’est laid, mais en plus c’est flippant au possible. Ou hilarant, c’est selon. Les protagonistes ressemblant à des mannequins sans vie. Avec pour effet immédiat de retirer toute tension dramatique aux dialogues, par exemple. Une telle faute de goût est difficilement pardonnable quand on garde à l’esprit que même dans les premiers Dragon Quest sur NES, les personnages avaient des yeux ! Enfin, comme pour achever le joueur qui n’en demandait pas tant, le jeu est affligé de doublages, certes en français, mais d’une médiocrité telle que cela gâche le plus souvent les jolies scènes animées. Là encore, on se retrouve avec quelque chose de très moyen, où le bon et le mauvais se côtoient. Encore une fois, le titre déçoit.
Points forts
- Un univers sympathique
- Un character design agréable
- De jolis décors en 3D
- Des musiques plutôt réussies
- Des passages animés bien réalisés
- Un vrai choix intéressant à la fin
- Des îles qui volent !!!!
Points faibles
- Des personnages clichés
- Arcia
- Un scénario bancal
- Les ennemis qui sortent tous du même moule
- Linéaire au possible
- Le manque de challenge
- Les personnages n’ont pas de visage !
- Les doublages français
- La scène de la douche, complètement hors de propos
- Les commerçants sont des escrocs
- On s’ennuie quand même pas mal
Dire que The Granstream Saga est une déception est un euphémisme. Venant de la part des créateurs de la "trilogie Soul Blazer", on pouvait s’attendre à un bon petit jeu, fourmillant d’idées, et dont les nombreuses qualités parviendraient à faire oublier les quelques défauts. Hélas, leur incursion sur PlayStation n’a donné naissance qu’à un jeu moyen, pas désagréable ni vraiment mauvais, mais passablement ennuyeux et bancal. Si l’on sent les bonnes intentions de ses concepteurs, cela ne suffit pas à occulter tous les défauts. Depuis, on n’a d’ailleurs plus vraiment entendu parler de Quintet… Un titre malheureusement oubliable, à ne faire que si vous avez du temps à tuer.