Deux ans après un sympathique Testament de Sherlock Holmes, Frogwares nous revient avec un Sherlock inédit tout auréolé d'un nouveau moteur graphique. Toutefois, au-delà de l'aspect visuel enfin digne du grand détective, les développeurs se sont également penchés sur le fond afin de moderniser la série tout en en gardant la substantifique moelle. Pari gagné ?
En 2002, Sherlock Holmes : Le Mystère de la Momie, premier jeu à la gloire du détective sortant sous la houlette de Frogwares, se présentait comme un pur point & click loin d'être exempt de défauts. 12 ans plus tard, la société basée en Ukraine est toujours à la barre et continue vaillamment de nous proposer un épisode de sa série tous les deux ans. Cependant, si cette dernière a lentement évolué jusqu'à se transformer en série d'aventure, Sherlock Holmes : Crimes & Punishments marque un tournant en cela qu'il modernise ouvertement le fond et la forme tout en profitant d'une bien meilleure durée de vie. Et quitte à proposer du changement, pourquoi ne pas commencer par le moteur graphique ?
Sherlock a bonne mine
S'il y a bien un point sur lequel la saga de Frogwares était critiquable depuis ses débuts, c'est sur l'aspect graphique. Alors que Le Testament de Sherlock Holmes avait quelque peu remis les pendules à l'heure, la forme restait néanmoins en retrait par rapport à celle de nombreux standards de l'époque. Désormais, cet écueil n'aura plus lieu d'être puisque les développeurs ont décidé de miser sur l'Unreal Engine 3 permettant des décors plus riches, plus colorés, mieux texturés, bref, plus vivants. Le moteur d'Epic propose également une bien meilleure modélisation des visages, ceci étant particulièrement visible lors des phases d'interrogatoires sur lesquelles nous reviendrons ultérieurement. En somme, si on restera toujours à Londres ou dans ses environs proches, Crimes & Punishments nous plonge dans des lieux issus de notre quotidien mais jouissant ici de teintes lumineuses ou au contraire, brumeuses, crépusculaires. Ainsi, sans prétendre au rang de « plus beau jeu au monde », l'effort de Frogwares pour enfin proposer quelque chose d'attirant est louable et joue clairement en la faveur de cet épisode.
Du neuf avec du vieux
Sur le plan de la jouabilité, on note aussi plusieurs ajustements ainsi que diverses nouveautés afin de rafraîchir le gameplay. Pour autant, la construction ne bouge pas d'un iota et nous obligera toujours à effectuer de très (trop ?) nombreux allers-retours entre trois ou quatre lieux (par enquête) pour dénicher des indices, interroger les suspects, procéder à diverses expériences, etc. D'ailleurs, on pourra vite trouver ces va-et-vient envahissants car synonymes de loadings. Cependant, sur ce point, Frogwares a intelligemment maquillé le tout puisque durant ces trajets en calèche, il sera possible de vérifier le contenu de son inventaire ou d'accéder à la base d'indices pour échafauder les prémisses d'une future conclusion.
A ce propos, si cet élément était déjà présent depuis Sherlock Holmes Contre Jack L'Eventreur, il s'offre ici un lifting digne d'un épisode des Experts en symbolisant les synapses de Sherlock d'où pourront émaner plusieurs conclusions après avoir lié divers indices. Marrant mais moyennement pratique dans les faits surtout lorsqu'il s'agit de relier deux indices ayant la bougeotte au milieu d'autres également en mouvement. De plus, on trouvera parfois étrange de ne pas pouvoir lier certains indices qui entretiennent certains points communs évidents. Malgré tout, chaque enquête ayant en moyenne deux ou trois criminels présumés, vous aurez de quoi faire, la possibilité de pointer du doigt le mauvais suspect étant même au menu. Idée attrayante mais ne servant finalement pas à grand-chose, tout comme le choix moral (l'absolution ou non du meurtrier), si ce n'est voir où on se situe par rapport aux choix des autres joueurs, symbolisés, à la manière d'un The Walking Dead, par des pourcentages globaux.
Du neuf avec du neuf
En parallèle des éléments de gameplay décrits plus avant, on trouve toujours plusieurs mini-jeux allant d'une partie de bras de fer à des expériences de chimie en passant par une reconstitution d'odeur sous forme d'image mentale, un perçage de coffre-fort ou bien encore du crochetage de serrure. Généralement bien amenés, on regrettera quand même la dernière ligne droite de la sixième affaire, bien moins inspirée en termes de puzzles puisque se bornant à enchaîner en l'espace d'une dizaine de minutes trois crochetages de plus en plus complexes. Idéal pour agacer le joueur. Heureusement, le jeu se reprend juste après grâce au don d'imagination permettant à Sherlock de symboliser des éléments antérieurs ou à venir, un peu à l'image des scènes de crimes de Batman Arkham Origins. Toutefois, il est dommage de constater que ces reconstitutions s'avèrent moins intéressantes dans le cas présent puisque débouchant simplement sur de nouveaux indices ou, de manière plus ludique dans la dernière enquête, sur des pièges à poser pour tenter d'empêcher la fuite de malandrins.
Restons dans les nouveautés de gameplay avec le Sixième Sens permettant de trouver des indices invisibles à l'oeil nu. Au risque de me répéter, bien que l'élément de gameplay soit intéressant, il est frustrant qu'une icône nous indique tout le temps quand utiliser ce fameux « sens d'araignée ». Pourquoi ne pas avoir laissé le choix au joueur d'activer ou de désactiver ces icônes ? Enfin, mentionnons les interrogatoires, desquels découle la possibilité de jauger l'individu questionné pour en dresser un portrait. Simple à effectuer (il suffit de parcourir la silhouette du suspect pour dénicher des détails amenant ledit portrait), le tout devient un peu trop automatique au bout de quelques interrogatoires. On en viendrait presque à se demander si Frogwares n'a pas inclus cette option pour mettre principalement en avant la modélisation, par ailleurs très réussie, des personnages.
Toujours lors des interrogatoires, il faudra parfois se montrer rapide pour contredire un suspect en le confrontant à un indice ciblé via une QTE. Bien vu sauf qu'une fois de plus, le tout est ici rendu caduque par le simple fait qu'on ne puisse louper ladite QTE à moins d'avoir deux mains gauches. Qui plus est, si vous la manquez, le choix de dialogue sera toujours là, ceci vous permettant de retenter indéfiniment votre chance. Idem pour l'indice à soumettre au témoin (suite à l'action contextuelle), parmi une liste prédéfinie. En effet, si on se trompe d'indice, on pourra à nouveau réessayer et ce jusqu'à ce qu'on tombe sur le bon. On aurait donc apprécié quelque chose à la L.A. Noire via des échecs nous coupant par exemple l'accès à des indices et rendant par là-même la bonne conclusion d'enquête moins accessible. Enfin, citons l'art du déguisement grâce auquel Sherlock pourra changer de costume et opter pour divers postiches, lunettes et autres barbes.... Très bien, sauf qu'on ne pourra utiliser cette capacité que deux fois tout au long du jeu. Ok, en le terminant, il sera possible de rejouer toute l'aventure en se grimant comme on l'entend mais vu que la rejouabilité d'un jeu d'aventure est quasi nulle, on se demande encore pourquoi Frogwares a autant bridé cette feature.
Une difficulté trop effacée mais un vrai plaisir de jeu
Si tous les défauts énoncés plus haut débouchent sur un jeu trop assisté, auquel on rajoutera de légers soucis d'ergonomie (notamment en ce qui concerne l'archivage des conversations par personnage et non plus par dialogue), il est indéniable que Sherlock Holmes : Crimes & Punishments est bien plus agréable à parcourir que ses prédécesseurs. Ainsi, bien que reconnaissant toutes les errances et autres petits problèmes, n’entachant toutefois jamais l'expérience dans son ensemble, j'ai beaucoup apprécié cet épisode dont la segmentation en six enquêtes s'avère être sans doute la meilleure des idées bien qu'a contrario, elle amène une perte d'unité, de personnalité. Soyez donc conscient qu'avec cet épilogue et la note associée, on entre dans le domaine du subjectif côtoyant des faits objectifs mais leur préférant un ressenti global plutôt qu'une analyse bête et méchante. Non, Crimes & Punishments n'est pas le Sherlock parfait, oui, il risque de fortement diviser mais après y avoir passé une vingtaine d'heures sans regarder une seule fois ma montre, je me dis que c'est un signe valant bien toutes les conclusions du monde.
Points forts
- Vraiment joli grâce à l'Unreal Engine 3
- Doublages anglais réussis soutenus par une ambiance sonore mieux maîtrisée
- Six enquêtes
- Excellente durée de vie
- Pas mal d'ajustements et de nouveautés de gameplay
- Très agréable à jouer
Points faibles
- Trop assisté
- Manque de challenge
- Quelques problèmes d'ergonomie
- Plusieurs nouvelles idées sympathiques mais mal exploitées
Bien que Sherlock Holmes : Crimes & Punishments pèche par un vrai manque de challenge, quelques soucis d'ergonomie et plusieurs nouveautés mal exploitées, on reste en présence d'un jeu très agréable à parcourir. En ayant peaufiné la forme, et grâce au coup de polish dont a bénéficié le gameplay, les développeurs ont su élever leur série à un autre niveau, perfectible mais plus que jamais accessible. Certes, la progression reste fondamentalement identique à celle des précédents opus mais encore une fois, c'est bel et bien le plaisir de la découverte et de la bonne conclusion qui nous pousse à y jouer encore et encore. On espère donc que ce ne sera pas le dernier coup d'archet de Frogwares d'autant qu'en procédant à quelques ajustements, il pourrait bien nous offrir un très grand cru Holmésien.