Si les jeux de gestion de transport ferroviaire ne sont clairement pas les plus répandus dans l’univers vidéoludique, ils font incontestablement partie des petites madeleines de Proust de nombreux gestionnaires en herbe errant aujourd'hui un sourire nostalgique collé aux lèvres à la simple évocation d’un titre estampillé Railroad Tycoon. Assez pauvre en actualité depuis quelques années, le registre pourrait bien reprendre un peu de vigueur avec l’arrivée de Train Fever, qui entend manifestement rendre hommage à tout un genre de niche tout en dépoussiérant son concept pour le faire coller à l’air du temps. Pari réussi ?
C’est à un petit studio indépendant basé en Suisse, Urban Games, que l’on doit Train Fever. Financé à hauteur de 250.000 € par l’intermédiaire de la plate-forme Gamebitious, qui présente la particularité de proposer un retour financier à tous ceux ayant soutenu le titre en fonction de son succès commercial, le titre a profité d’une longue phase de bêta avant de se préparer pour sa sortie définitive. Il se retrouve donc aujourd'hui en vente sur Steam. Pour le plus grand plaisir des amateurs de jeux de gestion ?
L'art de la débrouille
Autant le dire tout de suite : Train Fever ressemble davantage à un jeu proposé en accès anticipé qu’à une version définitive. L’arrivée dans un menu particulièrement austère dévoile les maigres paramétrages de la partie : pas de campagne, juste la possibilité de prédéfinir la difficulté du jeu ou le relief du terrain de la carte jouable, qui sera par ailleurs générée aléatoirement. Une fois en jeu, une petite fenêtre s’affiche pour vous expliquer deux éléments de gameplay : placer une ligne de bus et placer une ligne de train. Et ce sera tout en guise de tutoriel. Aucun objectif, aucune explication sur le fonctionnement du jeu et ses mécaniques, vous êtes totalement laissé à l’abandon face à une carte immense (même si vous avez choisi les dimensions les plus modestes) et une interface rédhibitoire de prime abord. Non, Train Fever ne vous prendra pas par la main, et assimiler le fonctionnement du jeu ne sera pas une partie de plaisir. Pourtant, en tâtonnant ici et là se dévoilent la richesse et le potentiel étendu du jeu, aussi est-il préférable de persévérer pour percer les arcanes du titre d’Urban Games dans des parties longues, particulièrement étendues.
Voyage à travers le temps
La particularité et le charme de Train Fever résident incontestablement dans la possibilité de suivre l’évolution des transports de 1850 à 2000. Ainsi, lors de votre première partie, il conviendra en premier lieu de bien observer le terrain, son inclinaison et la répartition des différentes agglomérations et industries afin d’optimiser au mieux les trajets pour relier tout ce beau monde. Car Train Fever ne se résume pas simplement à jouer au petit train, il faudra prendre en compte minutieusement l’activité interne de chaque ville pour parvenir à vos fins. Les différentes localités sont réparties en différents quartiers (résidentiels, commerciaux, industriels…), et chaque résident devra rapidement rejoindre son lieu de travail. Il vous appartiendra alors de construire un réseau de transport en commun (des calèches, en 1850) pour acheminer vos ouailles vers leur dur labeur. Par la suite, il deviendra nettement plus intéressant de relier deux villes entre elles afin de générer des bénéfices.
Si vos villes sont convenablement desservies, l’argent devrait commencer à affluer et vous pourrez vous atteler à la gestion de l’industrie, elle aussi source de bénéfices à condition d’en respecter la chaîne de production. Effectivement, il faudra dans un premier temps trouver le moyen d’acheminer les matières premières vers un bâtiment chargé de les transformer en biens, avant de les distribuer vers les zones commerciales de la ville. Si vous placez vos lignes de transport (qu’elles soient routières ou ferroviaires), les villes commenceront à s’étendre et avec elles le nombre de passagers à acheminer d’un point à un autre. Les années se succédant, vous profiterez rapidement de nouvelles technologies (wagons plus grands, trains électriques etc.) qui seront tout à fait indiquées pour remplacer votre matériel devenu obsolète, un véhicule ayant dépassé sa durée de vie coûtant affreusement cher en entretien et pouvant ainsi mettre en péril la bonne santé de vos économies.
Les joies de la comptabilité
En parlant d’économie, si l’on peut largement saluer l’exhaustivité des informations financières, aisément accessibles via une interface certes austère mais très fonctionnelle, on déplorera l’absence de microgestion et de justification des revenus. Si les coûts s’expliquent aisément par l’entretien des voies et des machines en fonction de leur obsolescence notamment, les revenus, eux, ne bénéficient pas d’informations précises et vous n’aurez aucune prise sur le prix des billets par exemple, ou encore sur le coût de distribution des marchandises. Ainsi, on se retrouve à croiser les doigts pour que l’argent remplisse les comptes, afin d’adapter nos lignes aux technologies de l’époque et aux exigences du nombre de passagers. Un énorme manque dans un jeu qui vante les mérites d’une gestion poussée et qui devrait sans aucun doute ternir le plaisir de pas mal de fans.
Par ailleurs, le plaisir d’un jeu de ce type reste la création méticuleuse de voies afin de rendre les trajets courts et optimaux. N’espérez pas pour autant tracer vos lignes comme bon vous semble. Train Fever vous obligera, et c’est une qualité, à prendre en compte le relief du terrain pour construire une voie de chemin de fer à moindre coût. Particulièrement gourmande en ressources, la construction d’une voie ferrée devra être faite par étape si vous souhaitez éviter de creuser un tunnel pour acheminer au plus vite vos voyageurs par exemple. Si cette volonté de coller au mieux avec des contraintes très terre à terre, l’outil de construction est malheureusement très imprécis, forçant régulièrement le joueur à tracer des courbes inutiles s’il désire couvrir un maximum de terrain en quelques clics. Vous serez donc contraint de procéder segment par segment et de compiler avec des messages d’erreurs vous indiquant d’une manière brumeuse que vous ne pouvez pas placer une portion de voie à tel endroit alors que visuellement rien ne paraît entraver sa pose.
De plus, s’il est déterminant d’acheminer en bus les citadins vers la gare, le tracé des lignes de transports urbains est particulièrement mal pensé et adopte des détours parfois incohérents. Il ne sera donc pas rare de vous retrouver avec une ligne tournant dans le vide, les employés privilégiant alors la marche à pied pour rejoindre leur lieu de travail. En somme, Train Fever pâtit énormément de son aspect « débrouille » et présente des lacunes énormes dès lors qu’il s’agit d’informer le joueur sur la maladresse ou la pertinence de ses choix. C’est d’autant plus regrettable que le jeu possède de solides atouts : les cartes générées aléatoirement sont immenses, les nombreuses technologies sont parfaitement adaptées à l’échelle de la carte, les correspondances sont bien gérées et la difficulté est au rendez-vous. Il manque encore au jeu quelques éléments pour devenir un incontournable, et nous comptons sur Urban Games pour rectifier le tir.
Points forts
- Grande variété de véhicules
- Possibilité d'évoluer avec les époques dès 1850
- De quoi vous occuper de longues heures durant
- Niveau de zoom assez bluffant
Points faibles
- Optimisation à revoir
- Inutilement pauvre en indications et objectifs
- Tracé des lignes de bus imprécis
- Absence d'éléments importants de microgestion (prix des tickets, etc.)
- Pas de scénario
- Faible diversité d'environnements
- Intégralement en anglais
Train Fever aura sans doute du mal à rallier à sa cause les fans lassés d’Open TTD. Si les cartes sont immenses, le challenge relevé et les bonnes intentions nombreuses, il manque au jeu trop d’aspects déterminants pour conquérir le cœur des fans nostalgiques. L’absence de microgestion, d’indications claires permettant d’identifier les problèmes de transports et le manque de scénario font passer Train Fever pour un jeu inachevé derrière lequel on perçoit pourtant un potentiel immense. Faisons alors confiance à l'équipe de développement pour être attentif aux désirs de sa communauté et peaufiner Train Fever qui devrait toutefois vous occuper un bon paquet d'heures en l'état.