Depuis quelques années, des titres comme Binding of Isaac, Faster Than Tight ou Spelunky incarnent un certain renouveau du rogue-like, ne gardant que certaines des caractéristiques du genre, en particulier la génération aléatoire des niveaux, la mort permanente, ou l’évolution du personnage. Mais les rogue-likes « classiques », puisant directement leur source dans les grands ancêtres tels Angband, Nethack ou bien sûr Rogue, ne sont pas morts pour autant. Dungeon Crawl : Stone Soup s’inscrit clairement dans cette tradition, et en est l’un des meilleurs représentants actuels.
Au départ, Linley’s Dungeon Crawl a été développé par Linley Henzell à partir de 1995. Etant un logiciel libre, plusieurs contributeurs y ont participé, au point de créer un fork, une version indépendante entièrement nouvelle, en 2006, avec Dungeon Crawl : Stone Soup. Le projet continue toujours à évoluer, grâce aux efforts d’une poignée de développeurs passionnés, et propose environ deux versions majeures par an, tout en restant totalement gratuit.
Dungeon Crawl : Stone Soup est un rogue-like dans la plus pure tradition. Vous incarnez un personnage qui entre dans un donjon souterrain, généré aléatoirement, et avez pour mission de vous emparer d’un artefact fabuleux, l’Orbe de Zot, au niveau le plus profond, puis de remonter à la surface avec l’objet afin de sortir du donjon. Vous n’aurez pour cela qu’une seule vie, la mort étant bien sûr, c’est une constante du genre, définitive. Le jeu se déroule entièrement sur une grille, au tour par tour. A chaque tour, vous pourrez effectuer une seule action, comme vous déplacer, attaquer un ennemi situé sur une case adjacente, envoyer un projectile, lancer un sort, ou encore ramasser ou déposer un objet. Ainsi, rien n’est en temps réel, et, lors d’une rencontre délicate avec des monstres forts, ou nombreux, il est important de ne pas paniquer, de prendre son temps, et de ne faire aucune action à la légère. Pour autant, les tours sont très rapides, se limitant souvent à appuyer sur une flèche de direction, et le jeu est tout à fait dynamique.
Des possibilités de personnalisation incroyables
Une des grandes forces de Stone Soup est la variété des mécanismes en jeu, et, par voie de conséquence, les possibilités de personnalisation et d’évolution de son personnage. Vous voulez jouer un minotaure en armure lourde, fonçant hache à la main sur tout ce qui bouge ? Vous pouvez. Un archer centaure, se tirant des embûches grâce à sa grande vitesse ? Un elfe mage de feu, surpuissant mais fragile ? Vous pouvez. Vous cherchez un personnage plus original ? Vous pouvez par exemple incarner un homme poisson qui se bat à mains nues, et utilise la magie pour transformer ses mains en lames, ou même pour se transformer lui-même en dragon.
Lors de la création de votre personnage, vous avez le choix entre 26 races et 27 classes ! Si la classe définit uniquement l’équipement et les statistiques initiales, sans préjuger du reste de la partie, la race est plus importante. D'une part, elle détermine les affinités, c’est-à-dire la facilité à apprendre les diverses (nombreuses) compétences. Par exemple, un elfe pourra augmenter son niveau de magie bien plus facilement qu’un orc, mais ce dernier aura bien plus rapidement amélioré son adresse à la hache. D'autre part, presque toutes les races possèdent des caractéristiques spéciales. Par exemple, les cornes d’un minotaure lui interdisent de porter un casque, mais lui confèrent un avantage au corps-à-corps. Un centaure ne peut pas porter de bottes, mais est capable de courir bien plus vite que la moyenne. Pour parler des races plus exotiques, un félin ne peut porter ni arme, ni armure, mais dispose, comme un chat, de plusieurs vies. Un octopode ne peut pas porter d’armure, mais a l'option de porter un anneau à chacun de ses 8 tentacules. Et on pourrait continuer.
Rarement un jeu aura offert une telle liberté et une telle richesse dans l’évolution du personnage. Lors de son périple, le héros peut également choisir de vénérer un dieu, parmi la vingtaine disponible. Chacun a des demandes particulières, et offre à ses disciples un certain nombre d’avantages. La magie, enfin, est également très variée, et plus de 200 sorts existent, parmi lesquels des sorts de dégâts, des sorts de contrôle, des invocations d’alliés, des améliorations, des buffs ou de la nécromancie.
Un univers bariolé mais impitoyable
Une des caractéristiques des rogue-likes est leur grande difficulté. Dungeon Crawl : Stone Soup ne fait pas exception. Il est dur. Vraiment. Vous allez mourir. Beaucoup. Chaque mort étant définitive, il ne vous restera plus qu’à recommencer avec un nouveau personnage, dans un nouveau donjon généré aléatoirement. Mais chaque mort vous permettra de progresser. En effet, s’il est impitoyable, le jeu est pour autant juste, et il est très rare, passées les premières minutes de jeu, qu’une mort ne soit réellement inévitable. Presque toujours, vous finirez par comprendre les erreurs commises, et ce que vous auriez pu ou dû faire pour éviter une fin tragique. Votre personnage suivant pourra aller un peu plus loin, peut-être. Mais il mourra aussi. Ainsi que le suivant. Battu à mort par un ogre, envoûté par un prêtre orc, encorné par un yak, piétiné par un éléphant ou subjugué par une sirène, chaque mort vous permettra de progresser, mais chaque mort sera douloureuse, surtout si votre personnage était assez avancé. Le choix des compétences dans lesquelles investir son expérience, le choix des armes et des équipements, le placement lors des batailles et le choix des batailles à mener et celles à fuir, voilà qui pourra faire la différence entre la vie et la mort de votre héros.
Dans ce jeu, ne cherchez pas de scénario, ni même d’univers vaguement cohérent. Puisant aussi bien dans l’univers de Tolkien que dans la mythologie grecque, le bestiaire est assez foutraque. Au milieu d’un groupe d’orcs, vous pourrez croiser un cyclope qui garde ses moutons, ou Circée entourée d’hommes transformés en cochons. Vous pourrez même croiser la route d’un prince transformé en crapaud. Si les branches annexes du donjon présentent une certaine cohérence, avec un thème général et un bestiaire plus réduit, l’ensemble plonge allègrement dans le grand n’importe quoi.
Une interface aux petits oignons, malgré un aspect graphique peu engageant
Graphiquement, Dungeon Crawl : Stone Soup ne paie pas de mine, et c’est un euphémisme. L’interface ne fait aucun effort pour être jolie, les animations sont presque inexistantes et les dessins des divers ennemis sont de qualité très inégale. Le jeu est sobre, lisible, fonctionnel, mais personne ne prétendra qu’il est beau. Cela ne nuit pourtant pas au plaisir de jeu, à part peut-être les images des zombies et des squelettes, souvent identiques pour des monstres différents. Preuve de sa filiation assumée, Stone Soup peut même être joué entièrement en mode console, c’est-à-dire ASCII. L’expérience n’est pas désagréable, le jeu est tout à fait lisible et laisse alors une grande part à l’imagination. Si elle n’est pas soignée graphiquement, l’interface est en revanche un modèle d’ergonomie, et regorge de fonctions utiles, comme l’exploration automatique, le déplacement rapide ou la fonction de recherche très puissante. Une aide en ligne est également disponible à tout moment, décrivant un sort, un objet ou un monstre, malheureusement en anglais comme tout le jeu. Stone Soup possède en outre un tutoriel plutôt bien fait permettant d’apprendre les bases, ainsi qu’un mode donnant un certain nombre de conseils aux débutants au fil de la partie. Notez enfin qu’il est possible de jouer en ligne, sur un serveur officiel. Si cela permet notamment d’observer de très bons joueurs, le lag très important rend l’expérience bien moins plaisante qu’elle n’aurait pu l’être.
Avec toutes ses classes, races, tous ses dieux, toutes ses mécaniques, et avec sa grande difficulté, Dungeon Crawl : Stone Soup jouit d’une durée de vie colossale et d’une rejouabilité exemplaire. Vos premières parties ne dureront sans doute pas plus d’une demi-heure, mais une partie victorieuse pourra durer jusqu'à une dizaine d’heures. N’espérez toutefois pas ramener l’orbe de Zot à la surface avant plusieurs dizaines de tentatives.
Points forts
- Richesse des mécaniques
- Possibilités de personnalisation et d’évolution incroyables
- Durée de vie gigantesque
- Tutoriel plutôt bien fait
- Totalement gratuit
Points faibles
- Graphismes basiques et inégaux, prêtant parfois à confusion
- Lag important en ligne
- Bestiaire issu d’univers trop différents, parfois
- Entièrement en anglais
Pour tous ceux qui ne sont pas effrayés par des graphismes clairement en deçà des canons actuels, ni par une difficulté impitoyable, Dungeon Crawl : Stone Soup propose une richesse de mécanismes, un niveau de personnalisation rarement atteint. Technique, impitoyable, mais terriblement addictif, il s’agit tout simplement d’un des meilleurs rogue-likes jamais créés. Il est de plus totalement gratuit. Ne passez pas à côté.