« Encore un indépendant qui veut se la jouer rétro ? ». Voilà typiquement ce que de nombreux joueurs pourraient se dire devant des images de Shovel Knight, un jeu d'action / plates-formes qui sent bon la 8 bits. Mais si opter pour de bons vieux sprites est souvent une question de moyen pour la plupart de ces petites productions, nous sommes devant un cas résolument différent.
Si on faisait encore des jeux sur NES, à quoi ressembleraient-ils ? Voici la question que se sont posé les développeurs de Yacht Club Games, menés par un Sean Velasco tout droit sorti de WayForward Technologies (Shantae, DuckTales Remastered, bref, des experts du style 2D rétro). Comme nous le savons tous, la qualité des productions évolue au fil des années sur une même console, non seulement parce que les développeurs l'apprivoisent, mais aussi parce que la technologie permet de nouvelles choses. Ainsi, il est légitime de se dire que si on développait encore sur la NES aujourd'hui, malgré les limitations de la 8 bits, les jeux seraient sans doute plus détaillés, plus complets et moins buggés. Bref, c'est avec l'optique de faire un titre « d'époque » sans les défauts d'autrefois que Shovel Knight a été conçu. Pas de sprites clignotants, pas de ralentissements, quelques couleurs supplémentaires pour la palette (5 pour être exact) et aucun bug sonore, on part sur de bonnes bases.
Un jeu qui en vaut la pelle
Mais si Shovel Knight s'inspire de la technologie d'antan, il prend aussi ses sources dans les chefs-d'oeuvre qui ont fait notre enfance et qui ont permis au jeu vidéo de devenir ce qu'il est aujourd'hui. Ainsi, si Shovel Knight est clairement un jeu d'action / plates-formes à la Mega Man ou à la Castlevania, on retrouve beaucoup d'éléments inspirés par d'autres softs. Toutefois, il faut bien comprendre que la vraie force du titre de Yacht Club Games, c'est d'avoir réussi à garder le meilleur de tous ces joyaux tout en s'offrant une identité propre. Lorsque vous finissez le jeu, et malgré les nombreuses inspirations, vous n'avez pas l'impression d'avoir joué à « un bon jeu rétro » ou à « un Mega Man-like ». Non. Vous avez joué à Shovel Knight. Outre le pitch de base qui voit un chevalier armé d'une pelle à la recherche de Shield Knight, une chevalière à laquelle il tient énormément, le titre s'offre un character design de grande classe et des animations impeccables (sans doute impossibles à l'époque), donnant instantanément au titre une vraie légitimité. Ca sent le travail sérieux, le travail bien fait, bref, la véritable passion, de celle qui manque malheureusement à beaucoup de jeux, y compris de nombreux titres indépendants qui tentent de cacher leur manque d'idées derrière leur aspect rétro.
Des clins d'oeil à s'en faire une entorse à la paupière
Mais point de ceci dans Shovel Knight. Car ici, c'est le design qui fait tout. Se servant de sa pelle comme d'une épée, le héros part vaillant affronter les viles créatures aux services de L'Enchanteresse et de ses huit chevaliers qui forment le Order of No Quarter (le jeu n'est pour le moment disponible qu'en anglais). Votre arsenal est constitué d'un coup latéral, d'une attaque piquée « Pogo Stick » à la Zelda II ou DuckTales et... c'est tout. Pas de double saut, pas de coup vers le haut, on ne peut pas dire que Shovel Knight soit le chevalier le plus performant de l'existence. Si l'obtention de reliques permet toutefois d'évoluer, nous permettant d'utiliser différents pouvoirs, c'est en fait le level design qui retient l'attention du joueur, une arme pourtant difficile à maîtriser pour les développeurs. Plates-formes mouvantes, blocs qui disparaissent, scrollings forcés, faux murs, nombreux passages secrets, bestiaire varié et original, pièges fourbes, rien ne ressemble moins à un écran que le suivant et on est toujours à l'affût de la nouvelle phase de gameplay qu'on va nous refiler à grignoter. Et c'est cette variété, marque des plus grands, qui fait ici son office. Oui, on reconnaît aisément les clins d'oeil à Mega Man 2, Super Mario Bros 3, Castlevania III : Dracula's Curse ou encore Zelda II, mais Shovel Knight réussit aussi à nous surprendre avec des phases inédites, et de merveilleux contre-pieds pour nous rappeler qu'il ne faut jamais se reposer sur ses acquis.
L'aventure, c'est l'aventure
Hormis quelques exceptions (différents checkpoints par niveau, par exemple), on reconnaît avec aisance la structure de niveau d'un Mega Man. Toutefois, Shovel Knight a bien plus à offrir avec un aspect jeu d'aventure qui en fait un titre particulièrement complet. En dehors des niveaux, vous arpenterez une carte du monde via laquelle vous aurez aussi accès à des niveaux bonus où vous pouvez tenter de collecter de l'argent en utilisant une compétence spécifique. Parfois, vous ne serez pas seul à vous balader sur la map. D'autres personnages s'y baladent, tel des Frères Marteaux de Super Mario Bros 3. En les rencontrant, vous arriverez dans des niveaux spéciaux à faire d'une traite (sans checkpoint), voire directement sur un combat spécial accompagné de quelques dialogues qui posent un peu plus le background. Bref, cette carte du monde permet une nouvelle fois de varier les surprises, tout en offrant un petit peu de liberté puisque vous pouvez choisir l'ordre dans lequel vous affrontez certains chevaliers du Order of No Quarter.
C'est sur cette même carte du monde que vous avez accès aux villages, dans lesquels vous pouvez booster la vie et la magie de votre personnage, trouver des armures aux capacités spécifiques ou améliorer votre pelle pour utiliser des attaques chargées par exemple. Vous avez aussi accès à un mini-jeu plutôt fun où il faut envoyer des fioles sur des interrupteurs dans un temps imparti, un moyen facile de se faire quelques pépètes en dehors des niveaux. Enfin, c'est ici que vous pourrez acheter les reliques (pouvoirs) que vous auriez ratées dans un niveau, ce qui risque de vous arriver : en effet, non seulement elles sont cachées, mais en plus, il faudra débourser des sous pour les obtenir, ce que vous n'aurez pas toujours au moment voulu. Bref, si l'aspect aventure reste en retrait (pas de quêtes, ni d'énigmes), tout ce bric-à-brac permet au joueur de s'impliquer à fond, d'autant que d'autres petites (ou grosses) surprises peuvent pointer le bout de leur nez à tout moment. Du coup, ce qui transparaît le plus au fil de l'avancée du joueur, c'est qu'il n'y a aucun temps mort. On n'a jamais l'impression d'enchaîner bêtement les niveaux et quelques scènes par-ci par-là viennent faire avancer la trame de manière tout à fait réussie. Plus on approche du but, plus on a envie de connaître l'aboutissement de l'histoire.
Une affaire d'accessibilité
Bien que Shovel Knight soit un jeu résolument rétro, il y a une chose qu'il n'a pas vraiment fait à l'ancienne : la difficulté. Non, rassurez-vous, Shovel Knight ne vous guide pas tel un enfant apeuré avec un imposant tutorial, puisqu'il fait partie de ces jeux à la conception assez intelligente pour vous faire comprendre le gameplay par le gameplay. Toutefois, il faut avouer qu'il s'avère plus accessible qu'un Mega Man par exemple. Pour vous donner une idée, vous avez un nombre de vies infinies : en cas de mort, les pénalités consistent à vous renvoyer au dernier checkpoint (ni trop éloigné, ni trop rapproché) et à vous faire perdre un pourcentage de votre fortune. Si vous arrivez à l'endroit de votre mort, vous pourrez même récupérer les sacs d'argent perdus. Par contre, si vous mourez avant d'y accéder, c'est fichu. En prenant en compte que l'argent est loin d'être un problème dans Shovel Knight, on peut dire qu'on n'y craint pas trop la mort. Cela dit, en règle générale, Yacht Club Games a opté pour une difficulté plutôt corsée sans ne jamais être frustrante. Le fait de pouvoir toujours disposer de deux calices remplis (gratuitement) de potions qui rendent vie et magie ou qui permettent d'être invincible pendant 10 secondes est aussi d'une grande aide, même si les niveaux sont plutôt longs (quatre checkpoints ne sont parfois pas de trop). Si quelques puristes pourront râler, il reste possible de s'imposer des challenges : ne pas acheter d'amélioration, ne pas utiliser les reliques, détruire tous les checkpoints (oui oui, c'est possible) sont des solutions à vos problèmes de hardcore-gaming. A noter que Shovel Knight bénéficie d'un New Game+ dans lequel on garde toutes nos améliorations, mais dont la difficulté n'est sans doute pas assez corsée pour constituer un immense challenge.
Ils sont où les défauts ?
C'est en finissant ce test, cherchant un moyen de vous faire comprendre à quel point je vous conseille ce Shovel Knight, que je finis par me dire que la meilleure façon de le faire est de compter ses défauts. C'est bien simple, à mes yeux, je ne vois absolument pas ce que je pourrais lui reprocher. Quand bien même je l'aurais peut-être, personnellement, voulu un poil plus difficile, ce choix se respecte et se justifie, surtout avec la possibilité de s'imposer des challenges. Trop court ? Six heures pour le finir, deux de plus pour trouver les parchemins de musique cachés, et à peine terminé, j'ai juste envie d'y retourner. Sans compter que pas mal de contenu arrivera en DLC gratuit (mode multi, boss jouables dans des niveaux créés pour l'occasion, un challenge mode, etc). Même la bande-son, entièrement 8 bits, s'avère de grande classe, ce qui n'étonnera guère les fans du compositeur de Jake Kaufman qu'on a déjà vu derrière pratiquement toutes les productions WayForward Technologies. Sachez d'ailleurs que deux morceaux ont été composés par Manami Matsumae herself, la créatrice derrière les thèmes du premier Mega Man. Au final, Shovel Knight est tout ce que beaucoup de jeux indépendants ont toujours voulu être : un vrai hommage aux jeux rétro qui réussit à prendre le meilleur de l'époque, sans les défauts, le tout en y apportant sa propre touche. Chapeau !
Points forts
- Un jeu rétro qui ne se fiche pas du joueur
- Un character design soigné
- Des animations de très bonne qualité
- Aucun temps mort
- Plus complet qu'il en a l'air
- La bande-son : 46 morceaux, pas un à jeter
- Les rencontres surprise
- Difficulté bien dosée (challenges auto-imposés)
Points faibles
Shovel Knight n'est pas le jeu indépendant rétro que vous croyez. Non seulement le titre s'inspire des jeux d'antan, et précisément de quelques chefs-d'oeuvre NES, pour en tirer le meilleur, mais il s'offre une véritable personnalité grâce à un character design efficace, des animations particulièrement soignées, un rythme effréné et une trame fignolée. Aucun détail n'a été oublié, les petits clins d'oeil sont nombreux et on n'a aucune envie de lâcher la manette. S'il était sorti en 1991, il aurait été un chef-d'oeuvre. En fait, non : Shovel Knight EST un chef-d'oeuvre.