Après le succès rencontré auprès des fans par ses deux précédents et brillants remakes des premiers épisodes de la série King’s Quest, AGD Interactive poursuit sur sa lancée en offrant un lifting bienvenu au troisième volet, To Heir is Human. Sobrement rebaptisé "Redux", celui-ci a bénéficié de l’expérience acquise par le studio amateur, qui a publié une première version de grande qualité. Est-il pour autant à la hauteur de ses illustres aînés ? Vérifions-le tout de suite.
Alors que la saga King’s Quest est délaissée pour diverses raisons par ses créateurs depuis la fin des années 1990, de sa solide base de fans a émergé un petit studio amateur qui, tout en attendant avec impatience la renaissance de la série, s’est donné pour mission de faire connaître les premiers épisodes de celle-ci aux plus jeunes, en en faisant des remakes. AGD Interactive, anciennement Tierra Entertainment, a ainsi publié un remake non officiel de la toute première aventure de Graham de Daventry, pensé pour s’inscrire dans la continuité visuelle des épisodes V et VI. Le jeu a séduit non seulement les amateurs de la série, mais également les critiques, qui lui ont décerné plusieurs récompenses. Mieux encore, avoir avoir salué le travail, Vivendi Universal, alors propriétaire de la licence, a très officiellement donné sa bénédiction au studio pour continuer le projet. Ce qui lui a permis de développer un épisode II de fort bonne tenue, se payant le luxe d’un scénario entièrement refondu tout en restant dans l’esprit et le respect le plus strict de son modèle. Plus récemment, nos joyeux fans-développeurs se sont attaqués à l’un des épisodes les plus difficiles et controversés de la série. Toujours avec talent.
Gwydion, un héros en mode "Cosette"
Dans cet épisode, Graham cède la place à un nouveau venu, nettement moins bien loti que le chevalier-roi de Daventry. Exit le beau pays de ce dernier, bienvenue à Llewdor, une contrée moins accueillante. Les débuts du troisième volet sont, en effet, bien moins glorieux, puisqu’il n’y plus là de trône à conquérir ou de princesse à sauver. Le héros, Gwydion, est domestique, ou plutôt esclave, du sorcier Manannan, personnage odieux et cruel, adepte des châtiments corporels définitifs au moindre pas fait de travers. Le but dans la vie de notre infortuné héros : s’échapper de sa condition misérable et sans espoir, fuir loin de sa prison. Pour ce faire, il va devoir déployer des trésors de patience, de ruse et de mauvais coups, dans le dos de son geôlier, avant de pouvoir enfin se venger de celui-ci et lui échapper définitivement.
Point de Graham, donc, et point de Daventry non plus, ce qui avait littéralement fait hurler les fans à l’époque. Il faut dire aussi que le lien n’était fait que dans le dernier tiers du jeu, que beaucoup n’ont jamais atteint, d’autres ayant mis plusieurs semaines, voire mois à y parvenir, tant la quête était difficile. Cette fois-ci, AGD avait préparé le terrain. Tout d’abord, le grand méchant de l’épisode III, Manannan, a été introduit dans l’épisode II, de même que certains événements auxquels sera confronté Gwydion. Ensuite, le studio a développé une introduction inédite mettant en scène le rapt de notre héros, lorsqu’il n’était qu’un nourrisson. Aucune parole n’est prononcée, cependant le fan attentif peut reconnaître assez aisément les lieux. Enfin, le déroulement de l’intrigue a été modifié, afin de permettre une rencontre plus précoce avec l’Oracle, et donc la révélation de la véritable identité de notre protagoniste avant qu’il ne se débarrasse du sorcier. Si cela permet de faire plus facilement le lien avec Graham, ces modifications, qui ne trahissent en rien l’original, rendent surtout le scénario plus cohérent et plus intéressant également. D’autres éléments ont également été rajoutés, mais ne prêtent pas à conséquence, sauf le passage avec les pirates, qui rallonge inutilement l’intrigue, sans pour autant se révéler désagréable.
Pour le reste, l’histoire de ce Redux conserve tout ce qui faisait le charme de l’original : la quête pour la survie, le climat oppressant, l’empathie que l’on peut ressentir pour notre personnage, dont le caractère a d’ailleurs été un peu étoffé. Le remake est aussi, bien entendu, plein de l’humour caractéristique de la série, ainsi que de toutes les références mythologiques et légendaires ayant inspiré la faune qui le peuple. On notera enfin que de nombreux dialogues ont été rajoutés ou modifiés, là encore pour le plus grand bénéfice du joueur, qui profite de textes de meilleure qualité.
De la nécessité de revoir complètement le gameplay
Outre les corrections scénaristiques, le système de jeu a également été entièrement revu. Comme pour Quest for the Crown et Romancing the Stones, AGD Interactive a définitivement abandonné le gameplay original, qui nécessitait d’ouvrir en permanence des fenêtres de dialogue pour entrer les actions. Gameplay obsolète, irritant et frustrant, en plus d’être peu maniable s’il en est. Là encore, et au grand soulagement des joueurs, le remake fait place au point’n click adopté par Sierra à partir de l’épisode V. Soit le système le plus simple, clair et efficace inventé pour un jeu d’aventure. Mais surtout, surtout, l’indispensable inventaire a été créé, dont l’absence se faisait particulièrement sentir dans l’épisode original, plus encore que dans les précédents. Aucune exagération là-dedans, vu le nombre invraisemblable d’objets qu’il fallait collecter et retenir pour pouvoir les réutiliser plus tard. Un inventaire facilement accessible et utilisable était donc indispensable et c’est désormais chose faite. Avec ses menus complets et faciles d’utilisation, ce "nouveau" système est des plus aisés à utiliser et la prise en main, immédiate, ne pose aucun problème. Les mêmes options que dans les premiers remakes ont été ajoutées, comme le réglage de la vitesse du jeu ou la capture d’images. La précision, cependant, reste visiblement la bête noire des développeurs : il faut cliquer exactement au bon endroit, à quelques pixels près, sous peine de rater votre cible. Vu le peu d’actions urgentes du soft, ce n’est, en général, pas vraiment embêtant, juste irritant. Quand vous devez échapper au sorcier, c’est cependant un poil plus gênant. Il faudrait qu’AGD pense à corriger ce "détail" dans le prochain remake. Néanmoins, dans l’ensemble, le jeu est correctement équilibré et donc très accessible, l’adoption du point’n click y étant pour beaucoup.
De l’art de résoudre des énigmes
Un King’s Quest sans ses énigmes, ce serait un peu comme un Super Mario sans champignons. Pas grand-chose. Heureusement, Redux relève haut la main le défi posé par ses aînés en la matière. Un peu trop, même. Comme d’habitude, il faut passer de très longues heures à collecter différents objets et interagir avec eux au bon moment et au bon endroit pour résoudre divers problèmes et avancer, comme dans tout jeu du genre qui se respecte et comme dans chaque épisode de la série. Le début reste toujours assez difficile, dans la mesure où vous ne disposez strictement d’aucune information, d’aucun indice sur les moyens à mettre en œuvre pour vous débarrasser de Manannan. Au fur et à mesure, et une fois que vous aurez trouvé l’accès à son laboratoire et les bonnes recettes magiques, la logique des recherches deviendra plus évidente (encore que…). Néanmoins, au tout début, vous êtes lâché dans le grand bain sans bouée. Vous pouvez allez faire un tour à la bibliothèque du coin pour en apprendre plus sur le pays et récolter des indices, mais elle est cependant nettement moins utile que dans l’épisode précédent. Ensuite, la logique des interactions fait parfois appel à vos connaissances en matière de contes et légendes : Méduse, on la bat avec... ? Mais si, pensez à Persée ! Il convient tout de même de préciser que le joueur a désormais le choix : vous n’êtes, par exemple, pas obligé de tuer Smaude, la Méduse, vous pouvez également essayer de lever sa malédiction. Plus long et plus risqué, mais plus gratifiant. D’autres énigmes sont au contraire absurdes ou capillotractées et pourront vous bloquer un moment. Il n’y a pas de schéma ou de routine dans la résolution des énigmes, impossible de s’ennuyer. En plus, AGD en a rajouté un certain nombre, pour faire bonne mesure, et elles valent largement celles de Sierra. Autre ajout dont on se serait cette fois bien passé, la multiplication des retours de Manannan chez lui, qui vous contraignent à de plus nombreux allers-retours et à surveiller votre timer comme le lait sur le feu. Et oui, parce qu’en plus, une bonne partie de vos mésaventures sont chronométrées, comme dans le jeu original. Le temps est compté durant les absences du sorcier, puis, un peu plus tard, pour aller affronter le dragon. AGD, craignant visiblement que le jeu le plus difficile de la saga ne le soit pas assez, s’est ainsi ingénié à compliquer un peu plus la tâche des joueurs. Un studio de vilains farceurs, dira-t-on.
En dehors de cela, la difficulté reste similaire à celle de l’ensemble de la série. Il faut faire très attention aux erreurs, par exemple : un faux pas, le mauvais objet utilisé, le mauvais PNJ croisé et c’est la mort. De manière souvent tout aussi ridicule que dans les autres épisodes. Préparez-vous à tourner au moins une bonne douzaine d’heures aux quatre coins du pays, et bien au-delà, avant d’arriver à la toute fin. Et attention à ne pas rater un objet au passage, sous peine de vous retrouver définitivement coincé à un endroit et contraint de recommencer. Il est indispensable de sauvegarder souvent et de conserver plusieurs sauvegardes pour éviter de devoir reprendre depuis le début. Le jeu reste donc particulièrement dur et à déconseiller aux joueurs manquants de patience ou n’ayant pas l’esprit un minimum tordu. Enfin, comme pour les précédents épisodes, afin de rajouter un peu de challenge, les objets ramassés et les actions effectuées vous rapportent des points. Pour réussir le jeu à 100%, vous devez obtenir un score de 210 points, ce qui est tout sauf évident. De ce fait, la durée de vie du soft s’avère tout à fait respectable.
Le jeu à l’ancienne, c’est le bien
Comme pour les volets I et II, en plus d’avoir réadapté le scénario et modifié le gameplay, AGD a également procédé à une refonte graphique totale du jeu. Dans la ligné des deux premiers remakes, l’objectif reste d’inscrire le travail dans la continuité des numéros V et VI, sortis respectivement en 1990 et 1992. Le style, les dessins et la réalisation sont donc très proches de ceux de leurs aînés et leur rendent honneur. Les développeurs nous offrent des graphismes toujours en 2D, assez fins et détaillés à la mode des années 90, en clair furieusement rétro. Alors, certes, face au dernier épisode des Chevaliers de Baphomet, le jeu fait un peu pâle figure et dépassé au regard des moyens des années 2010. Pourtant, il remplit parfaitement son rôle d’adaptation un poil nostalgique des standards des épisodes phares de la série d’origine. Et, là encore, le but est pleinement atteint. Les différents tableaux sont conservés et améliorés, fourmillant de détails et joliment colorés, inspirés des contes et légendes occidentaux. Certaines ambiances sont glauques, d’autres lumineuses. On alterne entre paysages tourmentés et sereins, plaines et montagnes, désert et neige. Le côté beau livre de contes et le style de Sierra sont fidèlement conservés, pour notre plus grand plaisir. Les animations, bien que parfois sommaires, sont tout à fait satisfaisantes. Les quelques défauts de proportions des personnages lors des tableaux fixes, relevés dans l’épisode II, ont disparu, ce qui est une excellente nouvelle. Et pas de vilaine introduction 3D non plus, autre point positif. Les personnages conservent quant à eux leurs portraits animés affichés lors des dialogues. Tous doublés, pour la plupart avec talent, et de bien meilleure façon que dans les deux premiers épisodes, aucun doublage raté n’étant cette fois-ci relevé. Par contre, le fan éploré regrettera l’absence de Josh Mandel, l’iconique doubleur originel de Graham, qui avait repris son rôle dans les remakes I et II, mais pas dans Redux. Certes, Graham n’a que quelques lignes de dialogues, mais le manque se fait sentir. Heureusement, John Bell, l’excellent narrateur, rempile pour l’épisode III. Enfin, les musiques, plus nombreuses que dans les épisodes I et II, marquent les divers événements ou ambiances et collent parfaitement à ceux-ci. Certaines sont des reprises de l’épisode original, mais la plupart sont des créations propres au remake. Nombre d’entre elles sont très réussies, et la bande originale concoctée par AGD ne cesse de s’améliorer d’épisode en épisode. Cette fois encore, le studio fait du très bon travail.
Points forts
- De très beaux graphismes, dans la lignée des épisodes V et VI
- Le passage au point’n click, encore et toujours
- Des doublages de qualité
- Des musiques qui accompagnent parfaitement l’histoire
- Une difficulté particulièrement relevée
- Une histoire plus originale que dans les volets précédents
- Un scénario étendu et amélioré
- Des environnements variés et un univers féérique
- Une durée de vie respectable
- Toujours gratuit
Points faibles
- Josh Mandel ne double plus Graham
- Il n’était peut-être pas utile de rendre encore plus ardu un jeu déjà difficile à l’origine
- Uniquement en anglais
Aussi réussi visuellement que ses prédécesseurs, malgré quelques défauts mineurs récurrents, King’s Quest III Redux nous gratifie d’un scénario amélioré et étendu. Bien que légèrement modifiée et étoffée, l’histoire reste fidèle au jeu original et change agréablement des perpétuelles quêtes héroïques lambda, offrant au joueur des objectifs plus concrets et mettant en scène un héros plus humain et touchant que le sans peur et sans reproche Sir Graham. Toujours plein d’humour, de drames, de rebondissements et de références aux contes et légendes populaires, cet épisode fait honneur tant à la série originelle qu’aux précédents remakes. Malgré une augmentation certaine de la difficulté qui n’était pas utile, le jeu séduira aisément les amateurs de point’n click comme les fans de la série. Tout ça gratuitement. L’excellent travail d’AGD attend donc que vous vous jetiez dessus. Avant un remake de l’épisode IV ?