Dans le jeu vidéo comme ailleurs, le plumage attise souvent l'enthousiasme le plus fou. Mais il est bon de se souvenir qu'un joli coup de crayon ne garantit pas la pertinence d'un game design. Monochroma en est malheureusement une parfaite illustration.
Le producteur de Monochroma, développé par la quinzaine de développeurs de Nowhere Studio, ne s'en cache absolument pas : Limbo est l'un de ses jeux favoris et il a directement influencé son bébé. Il serait difficile de dire le contraire tant les bases des deux jeux sont similaires, du noir et blanc, un enfant et beaucoup de morts. Monochroma n'est cependant pas un simple clone de Limbo et le réduire à ce constat serait assez peu fair-play. Lorsque Monochroma débute, son héros évolue en toute quiétude en rase campagne avec son petit frère, le programme du jour est simple et réjouissant, c'est champ de blé et cerf-volant à volonté. Mais lorsque le petit cadet se blesse après une chute, c'est à l'aîné que revient la tâche de ramener son frère en lieu sûr en le portant sur son dos. Commence un drôle de voyage.
La vie en gris
Contrairement à son influence directe, Monochroma n'est pas un pur noir et blanc sans entre-deux, mais une photo en nuances de gris qui ne laisse filtrer que le rouge d'une écharpe ou d'un éclairage et conserve les nombreux détails de l'environnement. Subtilement, la direction artistique mêle styles et époques sans heurts ni incohérences, on progresse en douceur de la campagne vers des zones industrielles, urbaines, commerciales, quelque part entre les années 50 et nos jours et même un futur angoissant aux inspirations passablement matrixiennes. Par petites touches, les artistes de Nowhere Studio perdent le joueur dans un monde éparpillé entre traditions et une assez évidente dénonciation d'un consumérisme sauvage, corrupteur et mangeur d'enfants. Le tout saupoudré d'une bande-son discrète mais très agréable, qui se pare de quelques accents jazzy / pop / psyché à l'occasion. Artistiquement, Monochroma est vraiment une réussite. Pour le reste en revanche...
Quand il me prend dans ses bras...
Comme il est aisé de s'en rendre compte en jetant un coup d'oeil aux images, Monochroma est un assez classique jeu de plates-formes / puzzle avec tout ce que cela comporte de mécanismes à activer et de timings à respecter. Un classique auquel on a ajouté un "handicap", l'obligation de trimbaler le petit frère sur son dos. Lorsqu'il le transporte, l’aîné perd une bonne partie de sa mobilité, ses sauts se faisant plus courts et moins hauts. Pour retrouver de l'amplitude et atteindre les zones les plus hautes, il peut déposer son frère au sol, mais uniquement dans des lieux illuminés. Le concept est facile à saisir, la progression est ponctuée de zones de puzzles dont on devra sortir après avoir actionné interrupteurs et plates-formes afin de créer un chemin que l'on pourra emprunter avec le petit dernier sur le dos. Le problème c'est que la production de Monochroma souffre d'une prise en main légèrement pénalisante dans certains cas et carrément calamiteuse dans d'autres.
Il y a une différence subtile entre une légère inertie du personnage apportant un peu de challenge et l'impression de contrôler un 33 tonnes sur des œufs, tout comme il existe une frontière entre une lenteur apaisante, voire lénifiante des actions, et une mollesse horripilante. Dans un cas comme dans l'autre, Monochroma passe du côté obscur. Les déplacements sont terriblement imprécis, les sauts variant en longueur sans que l'on comprenne vraiment pourquoi et on se retrouve à rater le coche pour quelques pixels ou à buter sur des objets, l'inertie, qui devient en fait une latence entre la saisie de la commande et son exécution compliquant encore la tâche, on ne saute pas immédiatement alors on chute ou on ne parvient pas directement à s'accrocher à un rebord, on effectue des sauts indésirables, on continue de courir alors qu'on approche d'un piège, on bute sur une caisse au lieu de grimper dessus, descendre une échelle implique d'abord de tomber sur le rebord puis de s'agripper aux barreaux, etc. A cela s'ajoute donc la lenteur d'exécution de certaines tâches, activer un interrupteur prend du temps, de même que déposer le frangin ou le récupérer (3 secondes précisément)... Même la physique pose des problèmes avec par exemple des cordes qui se balancent... ou pas. En bref, on se traîne en permanence, dans un jeu qui comprend énormément de puzzles aux timings très, très serrés. Il suffit parfois d'un simple saut parasite pour perdre le temps nécessaire à sauver le frangin de la mort ou simplement effectuer une action clef. Et aussi improbable que cela puisse paraître, Monochroma est encore moins jouable au pad qu'au clavier ! Ce qui est un comble pour un jeu à forte dominante plates-formes.
Jolies formes, mauvais fond
Entre l'inertie, l'imprécision et la lenteur, la moindre erreur, la moindre butée contre une caisse vous condamne à l'échec et à un agacement qui va grimpant. Et pour couronner le tout, même mourir prend des plombes puisqu'il n'est pas rare de voir les personnages se tortiller pendant 10 à 15 secondes avant que l'écran de chargement apparaisse. Monochroma prend alors de faux airs de die and retry mais dans lequel on doit supporter des temps d'attente interminables. Tout cela alors même que le level design et les puzzles n'ont rien de bien complexe, la plupart du temps, ils sont même plutôt classiques et convenus, même si le jeu compte quelques moments plus brillants et ingénieux. Mais globalement, même avec une prise en main calibrée, on ferait face à un gameplay sympa, mais guère plus. Ce qui aurait finalement suffi en l'associant à son excellente direction artistique et son ambiance. Mais en l'état, Monochroma est un tabouret à deux pieds qui s'appuie sur son atmosphère et son design, mais perd l'équilibre faute d'un élément un tantinet essentiel : le jeu. Et c'est regrettable au plus haut point.
Points forts
- La direction artistique
- L'ambiance générale
- La bande-son
- Parfois touchant
Points faibles
- Contrôles imprécis et brouillons
- Tout est affreusement lent
- Physique approximative
- Puzzles pas folichons
On ne prendra certainement pas Monochroma en défaut sur le plan artistique. Nowhere Studio a mélangé différentes influences pour donner vie à un monde pris entre deux eaux. Monochroma est beau, profite d'un joli sound design et sait même se montrer touchant à quelques occasions. Mais sa prise en main est complètement à revoir, au point d'en devenir rédhibitoire.