Nous vous proposons aujourd'hui de faire un bond dans le temps et de revenir 16 ans en arrière. A cette époque existait un genre aujourd'hui oublié : les jeux d'aventure en Full Motion Video (FMV). Chris Jones, cocréateur de la licence des Tex Murphy, a été l'un des premiers à exploiter le filon à travers 6 jeux dont le dernier en date, Overseer, a marqué plus d'un joueur jusqu'au long silence radio auquel Tesla Effect : A Tex Murphy Adventure entend mettre fin. Chris Jones revêt donc l'imper de l'indécrottable détective Tex Murphy pour une nouvelle enquête à la mise en scène résolument ancrée dans les années 90.
Ce bon vieux Tex Murphy n'a décidément pas de bol. Voilà qu'il se réveille avec un mal de tête carabiné causé par une méchante balafre sur le front, dans son appartement criblé de trous qu'il peine à reconnaître. Une brève conversation avec un camarade lui apprendra qu'il se trouve au cœur de l'année 2050, alors que ses derniers souvenirs remontent à 2043. Il appartiendra alors à Tex Murphy de découvrir les raisons de cette amnésie de 7 ans, de ce coup sur le front et des étranges marques d'injections qui stigmatisent son bras.
On rembobine (Telsa)
Par la pirouette bien célèbre de l'amnésie, la justification du retour de Tex Murphy et du vieillissement de l'acteur qui lui prête ses traits passe comme une lettre à la poste, Tesla Effect faisant figure de suite directe à Overseer. Vous le verrez immédiatement si vous êtes coutumier des 3 derniers épisodes de la série, Tesla Effect reprend les bases du jeu d'aventure de ce type, posées il y a plus de 20 ans. Les longues phases de dialogues sont en FMV et les acteurs sont intégrés directement dans des décors en 3D, qui semblent avoir eux aussi oublié que plus d'une décennie d'évolution du jeu vidéo est passée par là. Les phases d'exploration et de réflexion se déroulent quant à elles en vue subjective et vous permettent de vous déplacer librement dans le monde post-apocalyptique de Tex Murphy. Les textures sont laides, la réalisation datée, l'intégration des acteurs franchement ratée. Une fois que l'on a accepté ce retard technique, concentrons-nous sur les mécaniques de jeu en elles-mêmes.
Pour mettre à jour la vérité qui se cache derrière votre amnésie, vous devrez commencer par arpenter les rues de Chandler Avenue, dans laquelle une grosse portion de l'aventure se déroulera. En dépit d'une technique particulièrement en retard, il faut concéder à Tesla Effect qu'il dégage un charme fou, avec cette représentation du futur comme on l'imaginait dans les années 80. Le feeling de la ville de New San-Francisco rappelle comme à l'époque celui de Blade Runner, nous avons connu pire comme référence. Au cours de vos pérégrinations, vous croiserez quelques têtes connues, comme ce bon vieux Louie, l'inénarrable Clint ainsi qu'une galerie de nouveaux personnages tous plus déjantés les uns que les autres. On saluera le travail apporté à la diversité des nouvelles têtes et à l'originalité de leurs personnalités.
Un sous-titrage français catastrophique
Bien évidemment, toutes ces rencontres seront autant de prétextes à débloquer de nombreux dialogues en FMV vous permettant de progresser dans votre enquête. Si l'écriture en elle-même est plutôt correcte, sachez en premier lieu que la localisation française est tout bonnement catastrophique. Si votre niveau le permet, n'hésitez pas à mettre les sous-titres en anglais, cela vous permettra de ne pas avoir à vous confronter à des fautes monumentales, des portions non traduites et pire encore, à une incompréhension partielle de l'histoire faute d'une traduction appropriée. Une fois ceci fait, vous vous prendrez vite au jeu d'une intrigue qui s'épaissit avec le temps, mais dont les éléments s'assemblent peu à peu sous vos yeux, comme dans tout bon film ou bouquin de détective qui se respecte. Si les ramifications de l'histoire sont parfois un peu confuses, l'ensemble se suit sans déplaisir et la qualité d'écriture fait souvent mouche, notamment avec cet humour désuet qui vous fera sourire si toutefois vous y êtes sensible. Le casting est néanmoins inégal : si certains protagonistes sont vraiment à l'aise face à la caméra, d'autres sont un peu trop statiques et finalement peu crédibles.
Des mécaniques à l'ancienne pas assez dépoussiérées
La bât blesse également lorsqu'il s'agit pour Tex de choisir parmi 3 lignes de dialogues dont certaines, en de rares occasions, auront un impact direct sur le déroulement de l'histoire. Effectivement, dans de nombreux cas, pour ne pas dire tout le temps, les choix en question ne retranscrivent pas l'intégralité de la phrase qui sera énoncée, mais sont censés résumer en quelques mots l'idée générale de la réponse. Le problème étant que ledit résumé ne révèle en rien la nature exacte de votre pensée, tant et si bien qu'il vous arrivera de choisir au hasard l'une des trois options en croisant les doigts pour que Tex Murphy ne balance pas d'âneries susceptibles de modifier le cours de l'aventure. Voilà une mécanique qui aurait gagné à être peaufinée, un Mass Effect parvenant, par exemple, parfaitement bien à appliquer ce type de procédé sans jamais donner au joueur la sensation de choisir une réponse au hasard.
Au-delà des phases de dialogues se trouvent les phases d'exploration qui amènent bien évidemment leur lot d'énigmes. Ces sessions se déroulent d'une manière tout à fait traditionnelle : vous collectez les objets nécessaires à l'avancée de votre enquête, au besoin vous en combinez quelques-uns ou en forcez l'interaction avec certains éléments du décor. Malheureusement, si les énigmes sont toujours logiques, elles sont dans un premier temps beaucoup trop rares et les premières actions à réaliser se résument trop souvent à discuter plusieurs fois avec les personnages de Chandler Avenue quand de nouveaux éléments d'enquêtes sont découverts. Certes, il s'agit d'une enquête policière, basée donc sur les interrogatoires, mais nous aurions tout de même préféré construire notre progression sur un peu plus d'actions manuelles. Les énigmes sont relativement simples si vous prenez la peine de réfléchir quelques minutes et fort heureusement elles se multiplient avec le temps. Par ailleurs, si vous avez choisi un niveau de difficulté que l'on qualifiera de « facile », la lampe torche de votre inventaire illuminera les objets à ramasser et une aide intégrée, si vous le désirez, vous dévoilera les étapes nécessaires à la résolution d'une énigme. Pas indispensable, le système de surbrillance des objets interactifs peut néanmoins s'avérer bien utile, car c'est bien souvent que votre progression sera bloquée non pas en raison d'une énigme trop corsée, mais par un objet que vous n'aurez pas aperçu.
Un charme désuet qui fonctionne parfaitement
Mais en dépit de ses mécaniques aussi vieillissantes que sa réalisation, Tesla Effect : A Tex Murphy Adventure a plus d'un atout pour séduire les joueurs, les plus anciens et / ou les plus nostalgiques en tête. De nombreux éléments du décor peuvent être observés par notre détective et donnent régulièrement lieu à des flash-back diffusant des extraits des précédentes enquêtes de Tex, comme une manière de clamer haut et fort l'amour pour l'héritage perdu de l'âge d'or du jeu d'aventure en FMV. Il en va de même pour le jeu des acteurs. Certes, les plus jeunes trouveront qu'ils en font des caisses, que l'ensemble est surjoué, mais cela serait négliger cet aspect « série B », assumé jusqu'au bout des ongles par l'équipe de développement, qui confère un charme fou à Tesla Effect. Par ailleurs, le contraste entre inspiration délibérée des films et romans noirs, humour décalé et univers futuriste est toujours aussi charmant, et si l'on s'y plonge, on peine à en sortir avant d'avoir vu le terme de l'aventure. En somme, on trouve tous les ingrédients d'un bon vieux polar, la touche d'humour en plus : femmes fatales, meurtres, trahison, double jeu, l'ensemble est parfaitement respecté et si certains y verront un trop net retard par rapport à ce qui se fait aujourd'hui, il faut bien avouer qu'ils ne sont pas le public cible de cette nouvelle enquête de Tex Murphy.
La durée de vie quant à elle est plus que décente puisque vous pouvez compter entre 15 et 20 heures pour une première partie et les embranchements menant à plusieurs fins différentes offrent au jeu un très fort potentiel de rejouabilité. Mais refaire une partie impliquera aussi de s'exposer au problème d'inconstance du rythme de l'aventure et à quelques errances de gameplay qui viennent nuire à la cohérence de l'enquête, comme par exemple cette phase dans le deuxième tiers de l'aventure qui vous proposera d'enchaîner les puzzles du genre bien traditionnels et pas passionnants, qui arrivent comme un cheveu sur la soupe, comme si Big Finish Studio s'était obligé à intégrer des énigmes très classiques, parce qu'il le fallait. Un faible reproche néanmoins, lorsque l'on sait que si l'on est botté à l'idée de retrouver Tex Murphy ou à celle de parcourir un jeu d'aventure qui est résolument figé dans le temps mais qui exploite parfaitement les mécaniques des jeux de l'époque, on ne parvient à quitter Tesla Effect qu'au moment où on le termine.
Points forts
- Un vrai jeu d'aventure à l'ancienne
- Galerie de personnages réussie
- Enquête intéressante
- Bonne durée de vie
- Humour de "série B" assumé
- L'hommage aux films noirs à la sauce Tex Murphy
- Pour les fans du FMV et de Tex Murphy avant tout
Points faibles
- Techniquement daté
- Sous-titrage français catastrophique
- Certaines portions manquent de rythme
- Choix de dialogues peu clairs
- Des énigmes pas toujours inspirées
Apprécier cette nouvelle aventure de Tex Murphy passera d'abord par une phase d'acceptation. Il faudra accepter que l'esprit du jeu, son esthétique, son gameplay, ses dialogues sont restés coincés dans les années 80 / 90. Une fois ceci assimilé, on pourra légitimement reprocher au jeu l'imprécision de sa roue de choix de dialogues, ses sous-titres français catastrophiques ou les problèmes de rythme qui surviennent à certains moments de l'enquête. Mais se focaliser sur ces défauts reviendrait à rater l'essentiel du jeu : une aventure en FMV qui hurle son amour pour le gaming old-school, assumée jusqu'au bout des ongles, gavée de personnages hauts en couleur et d'un scénario parfois obscur mais dont tous les éléments s'assemblent à la fin, comme dans tout bon polar qui se respecte. Tex Murphy est de retour, presque aussi frais qu'avant, pour le plus grand plaisir des fans. Pour les autres, qu'ils soient bien avertis de l'approche du jeu sous peine d'être désappointés.