Mana Khemia : Alchemists of Al-Revis est un titre peu connu du public européen. Publié en France en 2009, sur une PS2 moribonde, à l’ère de la PS3 triomphante, il a en outre souffert de la sortie concomitante de son portage désastreux sur PSP. Résultat, le titre de Gust n’a rencontré que l’indifférence générale. Un accueil froid totalement immérité pour celui qui reste, à ce jour, l’un des titres les plus aboutis du studio et l’un des meilleurs RPG de la console. Et voici pourquoi…
Vayne à l’Académie des alchimistes
L’histoire débute de manière assez classique. Vayne, adolescent taciturne vivant à l’écart du monde avec son chat – parlant – Sulpher, est un jour contacté par l’un des professeurs de l’Académie d’Al-Revis, pour y suivre une formation d’alchimiste. Sur place, notre nouveau héros fait la connaissance de Jessica, nouvelle venue également, un peu fofolle et fan d’explosifs. Dès le premier jour, tous deux seront recrutés de force par Flay Gunnar, crétin magnifique, cancre notoire plein de grands principes, cauchemar du corps enseignant, justicier pour de rire (sauf à ses yeux), autoproclamé Duc de la Destruction… Ce dernier a, en effet, besoin de quatre membres pour maintenir son atelier d’alchimie ouvert… et comme personne ne veut plus faire équipe avec lui, il recrute de force. Vayne et Jessica se retrouvent donc à devoir collaborer avec lui et Nikki, fille-chat délurée, également engagée involontaire. La joyeuse équipe sera, au fur et à mesure de l’intrigue, rejointe par Pamela, fantôme de jeune fille un poil sadique, Roxis, le bon élève un peu pédant, Anna, épéiste surdouée qui comprend tout de travers et a tendance à virer "machine à tuer" dans ces cas-là, et Muppy, un extra-terrestre manipulateur et romantique caché. Une belle brochette de cinglés, en somme, à côté desquels Vayne, atteint du syndrome Ikari Shinji, fait malheureusement un peu pâle figure. Notre vaillante équipe devra travailler ensemble pour maîtriser l’alchimie et venir à bout des cours et missions qui parsèmeront leurs trois années et douze chapitres d’études. Mais ils devront également percer le mystère qui entoure Vayne et ses origines, qui semblent préoccuper certains membres du corps enseignant, à commencer par l’énigmatique Isolde, le personnage le plus sérieux du jeu.
L’important, c’est le rire
Ce qui frappe avant tout dans Mana Khemia, c’est son ambiance complètement barrée, à la fois scolaire et farfelue. Le scénario, découpé en chapitres, est intéressant, maîtrisé, haletant par moments et recèle son lot de tragédies, surtout vers la fin. Bien que le début soit un peu mou, l’histoire se lance finalement assez rapidement et on attend chaque développement scénaristique, en début et fin de chaque chapitre, avec impatience, comme on tourne avidement les pages d’un roman bien ficelé. En outre, ce découpage a son importance. En effet, durant chacun desdits chapitres, outre l'avancée du scénario, les joueurs devront assister à des cours et résoudre des quêtes en rapport avec ceux-ci, qui vous permettront de découvrir l’univers d’Al-Revis plus en profondeur. Chaque mission vous entraîne dans l’exploration d’une zone différente autour de l’Académie, faisant de Mana Khemia un dungeon-RPG qui ne dit pas son nom, même si ce n’est pas vraiment dérangeant. Chacune de ces quêtes vous donnera ensuite droit à une note, de A à F, qui déterminera si vous réussirez votre session ou si devrez subir une semaine de rattrapage. En cas de succès, vous avez droit à du temps libre pour remplir de nombreuses quêtes annexes pas forcément passionnantes mais qui rapportent un peu d’argent, et les quêtes personnelles des membres de l’équipe, nettement plus intéressantes. Ce type de déroulement vous permet de plonger en plein cœur de la vie du campus d’Al-Revis, qui est assez fun et variée. Mais surtout, cela donne nombre d’occasions de rire avec ou aux dépens de vos personnages. Ceux-ci ont le chic pour se placer dans des situations farfelues ou ridicules, voire gênantes. Les quêtes liées à Flay (tiens donc !) sont particulièrement gratinées et il serait vraiment dommage de les manquer. D’autant qu’il est indispensable de mener à bien complètement l’une des histoires de compagnons si l’on veut obtenir la bonne fin du jeu (qui compte sept variations possibles, autant que de personnages). Globalement, on baigne souvent dans le grand n’importe quoi et la comédie pure. Difficile de s’ennuyer. Certains ont comparé l’ambiance du jeu à un mélange entre Persona et Harry Potter, ce qui est assez pertinent, mais l’on peut également y ajouter un zeste d’Académie des Ninjas pour avoir une idée assez proche de l’ambiance. Les allergiques à l’humour absurde n’apprécieront peut-être pas, mais les autres passeront un très bon moment. Et un très long moment puisque le jeu se termine en une cinquantaine d’heures, en faisant les quêtes annexes, et dispose d’un new game + qui permet de débloquer un donjon bonus retors vers la fin de partie.
Alchemy for ever
A l’instar de la série des Ateliers, Mana Khemia tourne entièrement autour de l’alchimie. Non seulement vous êtes dans une école qui enseigne cette science et l’histoire est construite autour de sa pratique, mais de surcroît, l'alchimie impacte tout le gameplay. Votre atelier, en effet, n’est pas là pour faire joli ou servir uniquement le scénario de temps à autre. Vous y passerez du temps pour créer tout un tas d’objets et visiterez aussi l’Athanor voisin pour fabriquer de l’équipement. A l’aide de recettes, achetées, découvertes ou inventées, et d’éléments récoltés un peu partout, vous devrez fusionner objets, armes, vêtements et autres, non seulement pour réussir vos examens, mais aussi et surtout pour faire évoluer vos personnages. En effet, il n’y a pas de passage de niveaux lié aux combats. Tout au plus, vous obtenez un peu d’argent, quelques objets et des points d’aptitude. Cependant, vous ne pourrez pas dépenser ceux-ci et acquérir des compétences ou augmenter vos statistiques sans avoir préalablement créer le bon objet. Chaque personnage possède ainsi un "Grow Book" qui doit être complété en créant différents types d’objets, certains communs à toute l’équipe, d’autres propres à chacun. Une fois le bon objet débloqué, vous pouvez acquérir les compétences ou améliorations qui y sont liées et faire progresser votre personnage. C’est un peu le sphérier du jeu, mais en nettement plus complet, contraignant et, avouons-le, plutôt plus amusant que ce que l’on trouve dans d’autres RPG. Une bonne partie du déroulement de Mana Khemia s’axe donc autour de la chasse aux recettes et aux ingrédients, ainsi que de l’expérimentation. Et pour ça, tout est bon : scénario normal, quêtes annexes, exploration, achats, expériences… on peut même laisser ses compagnons aller récolter de leur côté ou fabriquer des objets. Ça n’en a pas l’air, dit comme ça, mais une fois que l’on a mis le doigt dans l’engrenage, cela devient incroyablement addictif. L’alchimie est donc vraiment au cœur du jeu, côté scénario et gameplay. Ce qui change agréablement d’un déroulement plus classique habituel à ce genre de titres.
Let’s fight, guys !
Bien évidemment, il n’y a pas que l’alchimie dans la vie. Il y a aussi l’exploration et la baston. Et là, quoi de beau ? Pour la première partie, rien de vraiment particulier : vos pérégrinations se font dans des zones délimitées, accessibles au fur et à mesure de la progression de l’histoire. Vous pouvez vous y promener, sauter pour atteindre un point plus élevé, gravir des marches ou éviter un ennemi. Il est également possible d’interagir avec l’environnement pour récolter des ingrédients : couper de l’herbe, pêcher, miner, cueillir des fruits, bêcher. Par ailleurs, dès que l’on met le pied dans une zone d’exploration, le temps est compté et s’écoule assez rapidement, mettant ainsi en place une alternance jour / nuit. A noter que les ennemis sont d’ailleurs plus agressifs et difficiles à éviter une fois le soir venu, ce qui peut rendre la progression passablement ardue. Vos adversaires potentiels sont visibles à l’écran sous forme de sortes de slimes rouges, ou bleus quand ils sont devenus trop faibles pour vous et vous pouvez alors les tuer d’un simple coup sans engager le combat. Autrement, vous pouvez déclencher les hostilités en les touchant, sachant que si vous leur donnez préalablement un coup d’épée, vous aurez l’avantage au début du combat, alors que si vous les laissez vous toucher, ce sera l’inverse.
Le combat, parlons-en, et parlons-en en bien, car il est très réussi. Dans un premier temps, on peut avoir l’impression qu’il s’agit d’un bête tour par tour dépendant de l’initiative de chaque protagoniste, dont le nombre serait limité à trois, avec le traditionnel choix attaque physique, attaque magique / capacité, objets, protection, fuite. La seule originalité semble venir de la possibilité de sonner les adversaires pour faire reculer leur moment d’action et la faculté de remplir une jauge de "burst" pour augmenter les dégâts infligés et déclencher une attaque spéciale si l’on remplit la condition demandée (attaquer avec un élément particulier, encaisser des dégâts, etc.). Très rapidement, cependant, le système s’étoffe. Tout d’abord, vous pouvez placer trois autres personnages en réserve, qui pourront remplacer l’un de vos attaquants à tout moment, pour peu que leur jauge d’action soit pleine. Vous avez ainsi trois personnages en première ligne et trois autres en renfort, avec possibilité de les intervertir. Là où ça devient intéressant, c’est que vous pouvez les interchanger soit au moment d’une attaque adverse, pour qu’ils encaissent les dégâts à la place d’un autre personnage (préférez Muppy, qui prend pour toute l’équipe), soit à la fin d’une attaque alliée, pour qu’ils s’y ajoutent. Si vos trois alliés en soutien sont prêts à agir, vous pouvez ainsi les faire attaquer tous les trois à la suite du personnage en première ligne. Et si Vayne agit en dernier, vous déclenchez en plus une attaque spéciale dévastatrice, le "Variable Strike". Sachant que les alliés placés en seconde ligne peuvent intervenir à nouveau une fois leur jauge d’action remplie, vous pourrez jongler à loisir entre vos vaillants attaquants. Vous disposez également de sorts ou attaques spéciales, qui, une fois lancés, se répètent sur plusieurs tours sans empêcher le personnage d’agir normalement par la suite, rajoutant ainsi des dégâts à ceux que vous causez de manière plus classique. Tout cela en fait un système de combat extrêmement complet, stratégique et très dynamique, particulièrement bien pensé. Bien maîtrisé, il vous permettra de faire des ravages dans les rangs ennemis. Ce qui ne sera pas du luxe face aux adversaires spéciaux plus coriaces, matérialisés sur la carte par des slimes plus gros, et surtout face aux boss, qui peuvent se révéler vraiment redoutables. Niveau gameplay, Gust a donc fait un excellent travail.
Une réalisation de qualité
Au niveau de la réalisation, le studio délaisse le tout 2D pour faire une incursion dans la 3D isométrique, du moins au niveau des décors. Les personnages et les combats demeurent, en effet, réalisés en 2D. Le tout se marie très bien : les environnements, colorés, sont fouillés et très détaillés, tandis que le character design est particulièrement soigné et ne dépareille pas avec les autres productions Gust. Les animations hors combat ne sont pas très nombreuses, mais suffisamment bien faites pour s’intégrer parfaitement. Les combats eux-mêmes sont d’une grande fluidité et bénéficient de nombreuses animations, très réussies. Les dialogues sont également ponctués de portraits expressifs, de même que les attaques spéciales. On a même droit, en introduction, à une petite séquence animée assez sympathique. Le seul reproche qu’on peut faire vraiment faire à Mana Khemia tient aux quelques ralentissements, ponctuels et localisés, qui émaillent l’exploration. Rien de bien méchant, mais cela gâche un peu l’ensemble. A part ce détail, c’est du tout bon, pour peu qu’on ne soit pas allergique au style très "anime" du soft, évidemment. Enfin, autre belle réussite, la bande originale. Celle-ci alterne les mélodies discrètes, rigolotes, d’ambiance, épiques, j-pop ou rock, qui collent à l’intrigue de manière quasi parfaite. Certains morceaux sont même anthologiques, comme le très impressionnant Stigmata, thème du dernier boss. Ken Nakagawa et Daisuke Achiwa, les compositeurs habituels des Atelier, ont fait un excellent boulot. Si vous avez la chance d’acquérir la version "collector" du jeu, vous pourrez d’ailleurs bénéficier d’un CD regroupant une sélection d’une trentaine de morceaux, dont les meilleurs. Enfin, last but not least, le jeu vous offre le choix entre le doublage anglais, dispensable, et l’excellent doublage japonais, chaudement recommandé. Là encore, c’est un quasi-sans-faute. On regrettera juste que la localisation ne soit qu’anglaise…
Points forts
- Des personnages complètement barrés
- L’humour débridé
- Des musiques éclectiques et très réussies
- Le système de combat dynamique et le gameplay très complet
- L’alchimie
- Les doublages japonais
- Un character design soigné
- Une bonne durée de vie et le new game +
Points faibles
- Un début un peu mou
- Quelques ralentissements
- Vayne (au début)
- Les doublages anglais
- Localisation anglaise uniquement
Mana Khemia Alchemists of Al-Revis est probablement le meilleur jeu réalisé par le studio Gust et également l’un des meilleurs RPG sortis sur PlayStation 2. Malgré quelques défauts mineurs, le titre est très joli, drôle, inventif, addictif, dynamique et passionnant. Il méritait mieux que l’indifférence polie rencontrée à sa sortie et le torpillage dû au portage catastrophique sur PSP. S’il est probable qu’il ne plaira pas à tous les publics, il n’en reste pas moins que Mana Khemia est une des références du J-RPG sur cette génération de consoles. Il serait dommage pour les amateurs du genre de passer à côté. Qu’on se le dise !