Dans les couloirs sombres de ce bunker aux allures de forteresse imprenable, le mercenaire s’avance à petits pas, le doigt nerveusement collé à la gâchette de son fusil. La pénombre l’empêche de voir clairement ce qui se faufile face à lui, dans les ténèbres du bâtiment qui le font paniquer davantage. De son côté, le coelophysis attend patiemment, aussi petit que grande est sa faim. Encore quelques mètres et les deux tomberont nez à nez, prêts à s’éviscérer dans les règles de l’art. Une seule question se pose : Lequel des deux êtes-vous ? Pour la réponse, l’unique moyen de savoir reste Carnivores Cityscape. Œil pour œil, dent pour dent.
Sélection non naturelle
La première surprise majeure du titre vient de son orientation scénaristique. Pour la toute première fois dans la longue lignée des Carnivores, le concept de chasse libre est abandonné au profit d’une campagne scénarisée et découpée en niveaux distincts. Fini les longues randonnées pédestres et bonjour à l’action pure et dure, car c’est bien ce dont il est question dans cet épisode pour le moins particulier. Les événements prennent certes place sur la fameuse planète-réserve de chasse chère à la série mais bien des décennies plus tard. Pendant ce temps, les employés de DynoCorp ont transformé une partie de la planète en base militaire, dans le but de modifier les dinosaures en armes biologiques (syndrome Umbrella, quant tu nous tiens…). Cela dit, suite à une erreur de manipulation, les féroces sauriens parviennent à se faire la malle et causent le chaos dans la petite cité jusque-là tranquille. Rien de bien nouveau, d’autant qu’ici si vous « n’avez pas le mot magique » pour régler ce problème, il vous suffira de faire parler la poudre ou vos griffes.
A campagne scénarisée, progression relativement linéaire. Relativement dans la mesure où les divers environnements que vous visiterez, depuis la jungle jusqu’aux bidonvilles en passant par des laboratoires et des bâtiments d’Etat, vous offrent une certaine liberté de progression en ce sens que la porte à emprunter pour changer de zone n’est pas forcément unique. Pour autant, rien à voir avec les larges îles explorables dans les anciens opus : ici, la possibilité d’explorer différents chemins n’a pour but que de vous faire dézinguer davantage de dinos, ou de tailler une bavette avec les mercenaires en ayant après vous.
Man VS Wild
Jouer l’humain en vue subjective ne surprendra pas les habitués de la série, surtout si cet humain a pour destin de faire apprendre le goût du plomb à des engeances squameuses d’une époque censée être révolue. Pourtant ici, la subtilité de la traque n’est plus de rigueur : en progressant à travers les niveaux pour remplir divers objectifs, dont 50% seront le classique "sortez d’ici en un morceau", vous serez encouragé à vider vos chargeurs sur tout ce qui passera à votre portée, surtout si ça ressemble à un dinosaure. Fusil à pompe, lance-grenades, pistolet, X-gun, lunettes thermiques… Tout un arsenal meurtrier est à votre disposition pour survivre, à condition de garder l’œil sur une barre de vie bien fragile. Les bestioles à écailles s’avérant rapides pour la plupart, il ne sera pas rare de sursauter au détour d’un couloir en voyant filer vers nous une créature venue du fond des âges, face à laquelle il s’agira de ne pas finir en dino-burger.
L’originalité pointe cependant le bout de son museau quant il s’agit d’incarner nos amis mangeurs de viande. Eux aussi jouables en vue subjective, la vision de vos bras griffus à la place de l’habituel fusil pourra en surprendre plus d’un durant les premières minutes de jeu, avant d’apprendre à contrôler la bête. Plusieurs reptiles sont d’ailleurs de la partie, allant du petit mais rapide Coelophysis au titanesque Giganotosaure, chacun ayant sa propre vitesse, force et résistance aux dégâts. Mieux vaudra donc préférer la fuite quand les humains ont sur vous l’avantage de la taille, ou bien foncer dans le tas quant ils vous font l’effet de ridicules insectes. La navigation est plus dynamique que celle de l’humain, les dinosaures pouvant en effet bondir plus haut et loin, ainsi qu’utiliser leurs sens aiguisés pour visualiser les environs et leurs proies grâce à une "dino vision" des plus predatoresques. Qui plus est, nos amis dentus peuvent, à l’instar de leurs adversaires bipèdes, utiliser portes et ascenseurs pour visiter leurs nouveaux terrains de chasse. Petits futés…
Primal Park ou Jurassic Carnage ?
Comme peut le laisser suggérer le second amalgame de ce sous-titre, il se pourrait que Carnivores Cityscape ne soit pas une réussite, voire même qu’il s’agisse d’un mauvais jeu. Et c’est à peu près le cas. Affublé d’une réalisation des plus approximatives, le jeu souffre de bon nombre de textures à rendre aveugle un ptéranodon et offre parfois au joueur des environnements anguleux à l’extrême. Pire encore, lesdits environnements sont trop souvent désespérément vides (pas de caisses, de chaises ou d’objets quelconques) et une fois tous les ennemis du coin abattus, on s’y ennuie comme un alphadon mort… Ne comptez pas sur le bestiaire pour remonter le niveau : si les espèces présentées sont certes pour la plupart les seuls représentants de leur genre dans le monde vidéoludique, les créatures à affronter sont moins d’une dizaine et il faut donc s’attendre à croiser la plupart du temps le même genre d’adversaires encore et encore, jusqu’à ce que mort s’ensuive. Bien triste constat, là où la variété des cibles faisait jusqu'ici la richesse de la série.
L’IA enfonce également le clou en s’avérant des plus maladroites, les dinosaures décrivant souvent des cercles sans but avant de vous atteindre, pour peu qu’ils y parviennent. Les adversaires humains ne sont pas beaucoup plus malins, restant immobiles jusqu’à vous repérer au détour d’une coursive. Ne viennent sauver le titre que la réalisation correcte des dinosaures et de quelques niveaux, ainsi que les brèves portions jouissives où vous luttez pour votre survie virtuelle, malheureusement trop rares. Les modes multijoueurs (Coop / Deathmatch / Chacun pour soi) peuvent eux aussi apporter leur dose de fun, limitant la casse sans pouvoir l’empêcher.
Loin d’être un ratage intégral, Carnivores Cityscape présente trop de tares impossibles à taire pour que ses qualités puissent réellement briller. L’exemple typique du jeu qui pourra surprendre agréablement une ou deux heures, avant de lasser définitivement par ses défauts trop évidents. Conscients du résultat, les responsables de la série n’ont pas tardé à remettre la lignée sur le droit chemin de la chasse, oubliant cet épisode qu’ils auraient pu nommer sans honte "Extinction"…
Points forts
- Nouvelle orientation pour la série…
- Arsenal conséquent pour les humains.
- Plusieurs dinosaures jouables : à chacun ses particularités.
- Design des dinosaures plutôt réussi.
- Quelques niveaux sympathiques.
- Modes multijoueurs assez fun (humains vs dinos vs humains).
Points faibles
- … hélas pas forcément judicieuse.
- Scénario inexistant.
- Objectifs répétitifs.
- Bestiaire très limité.
- Techniquement daté.
- IA souvent à la ramasse.
Trop rares sont les jeux présentant des affrontements humains-dinosaures et c’est toujours une déception de se rendre compte que l’un d’entre eux n’est pas à la hauteur de nos espérances. Carnivores Cityscape fait partie de ceux-là. A vouloir frayer dans la même direction que Vivisector, des mêmes développeurs, notre ami saurien s’y brise de nombreuses dents tant à travers une réalisation préhistorique que faute à une IA des plus limitées. Si le plaisir d’incarner un dinosaure ou un mercenaire surarmé est réel, la progression en dents de scie au niveau technique rebutera le joueur moyen, qui ne verra en ce Carnivores qu’un jeu inabouti. Qu’il aurait peut-être fallu soit tuer dans l’œuf, soit couver plus longtemps…