Alors que les vieilles légendes du point'n click ressuscitent des licences cultes (Broken Sword 5 pour Charles Cecil) ou en créent de nouvelles (Broken Age pour Tim Schafer) après des années de silence, certains acteurs de l'ombre n'ont jamais baissé les bras face à la baisse de popularité du style. Daedalic est de ceux-là. Fort connu pour la qualité de ses jeux en 2D (la trilogie Deponia en tête), le studio allemand aime les paris et soutient de nombreux projets, dont ce 1954 : Alcatraz, que les fervents défenseurs du jeu d'aventure à l'ancienne attendaient de pied ferme, face à la promesse d'une double intrigue, d'une atmosphère envoûtante et de choix ouvrant la porte à des fins multiples.
Conjointement développé par Irresponsible Game et Daedalic Entertainment, 1954 : Alcatraz vous propose, quelle surprise, de vous replonger dans les années 50, à San Francisco, derrière les murs d'Alcatraz où vous incarnez Joe, qui a écopé de 40 ans de prison suite à l'attaque d'un fourgon blindé. Alors qu'il purge sa peine, Christine, sa chère et tendre, attend impatiemment les visites mensuelles qu'elle peut rendre à son mari sur le rocher. Malheureusement, un mafieux local, Mickey, menace de tuer Christine si elle ne lui révèle pas où est planqué le butin issu du braquage. N'étant manifestement au courant de rien, Mickey lui enjoint d'obtenir des informations de la part de son mari à propos de la localisation du pactole. Votre temps étant compté, vous devrez d'une part retrouver le magot grâce aux infos fournies par votre mari en incarnant Christine, et d'autre part fomenter votre évasion aux commandes de Joe.
Bienvenue sur le Rocher
Les premiers instants de 1954 : Alcatraz ne perturberont pas les habitués du point'n click. Vous incarnez Joe, emprisonné dans sa minuscule cellule. Un clic droit pour observer, un gauche pour interagir, le titre de Daedalic suit un chemin tout balisé et ne change heureusement pas une formule gagnante. Si nous nous trouvons d'un point de vue gameplay en terrain connu, l'esthétique de 1954 : Alcatraz risque bien de diviser. Si les décors dessinés à la main ne manquent clairement pas de charme, même s'ils auraient gagné à être plus accentués, le physique des personnages laisse au départ dubitatif. Joe, avec sa carrure de videur de boîte de nuit, ses traits anguleux, donne l'impression qu'un train lui est passé dessus (deux fois) et il en est de même pour de nombreux autres personnages qui ont subi un traitement similaire. Assez déstabilisante, voire parfois grotesque, l'esthétique des personnage divisera sans aucun doute. Il en va différemment pour la bande-son qui a bénéficié d'un soin tout particulier, participant grandement au développement de l'atmosphère typique des années 50. Bien que discrètes, les musiques jazzy interviennent toujours à point nommé et plongent immédiatement le joueur dans l'ambiance.
Des environnements peu nombreux et trop cloisonnés
Si vous contrôlez Joe pendant les premières minutes du jeu, peu d'interactions seront possibles avec votre univers, l'essentiel de cette première portion étant axé sur les dialogues. Vous parlerez avec vos compagnons d'infortune et chacun d'entre eux vous proposera des méthodes d'évasion. Vous recevrez rapidement une première visite de votre épouse que vous dirigerez ensuite. Les phases aux commandes de Christine sont un peu plus élaborées. Vous pouvez naviguer d'un endroit à un autre grâce à une carte répertoriant certains lieux importants, chacun apportant sont lot de personnages clés qui vous aideront à localiser le fameux butin. Malheureusement, chaque endroit que vous visiterez est particulièrement cloisonné, tant et si bien que les interactions sont peu nombreuses et les énigmes vite expédiées. En clair, si vous êtes rompu à l'exercice du point'n click, vous n'aurez aucune difficulté à venir à bout de 1954 : Alcatraz en 7 à 8 heures. Rentrez dans une pièce, récoltez tous les objets possibles et imaginables, attendez patiemment que votre avatar vous suggère très fortement les actions à effectuer, et continuez ainsi jusqu'à la fin. La matière grise n'est pas énormément sollicitée, Christine, Joe ou les autres personnages du titre étant un peu trop enclins à vous mâcher le boulot. Une échelle est cassée ? « Il me faudrait la réparer avec quelque chose » nous dit Joe. Par chance, un rouleau de scotch est dans les parages. L'exemple n'est pas isolé, la difficulté comme la pertinence des énigmes dans 1954 : Alcatraz prennent du plomb dans l'aile.
Un jeu plein de promesses pas franchement tenues
Mais outre la difficulté quasi inexistante du jeu, d'autres problèmes viennent entacher cruellement le plaisir pris à arpenter le San Francisco des années 50. Alors que l'on aurait pu croire que l'aventure solliciterait un peu de finesse, la résolution de certaines énigmes tient davantage à l'épuisement de toutes les lignes de dialogues plutôt qu'à une réflexion millimétrée. De plus, si l'univers est cohérent, le comportement de vos personnages l'est nettement moins. Les réactions des protagonistes dans des situations d'urgence prêtent clairement à sourire, Christine ne se sentant pas particulièrement concernée, par exemple, lorsque l'occupant d'un appartement se met à lui tirer dessus à travers la porte. Ces incohérences couplées à des déplacements d'une lourdeur agaçante montrent clairement que 1954 : Alcatraz est un point'n click mal maîtrisé. L'interface, quant à elle, maladroitement placée dans le coin gauche de l'écran, sera source de nombreuses crises de nerfs. En effet, lorsque vous devez quitter une pièce par la gauche, vous devez bien entendu placer votre curseur sur le bord de l'écran, déclenchant une fois sur deux le déploiement de votre inventaire. Si vous avez le malheur d'être un peu nerveux de la souris, un clic trop prompt ouvrira le menu principal du jeu. Ce n'est pas dramatique en soi, mais c'est suffisamment mal pensé pour en devenir gênant.
Enfin, les promesses de choix multiples ne sont disponibles qu'en filigrane. Les éléments vous permettant d'obtenir des fins différentes ne sont conditionnés que par l'attitude que Joe et Christine entretiennent l'un envers l'autre au cours de leur aventure. En somme, si vous jouez une Christine indifférente à son mari, un choix supplémentaire sera débloqué en fin de partie, rien de plus. Un peu décevant de ce point de vue-là. Par ailleurs, s'il est tout à fait possible de passer d'un personnage à l'autre d'un simple clic de souris, cela n'a pas une grande utilité car il sera plus souvent préférable d'attendre que l'un des protagonistes ait fini toutes ses actions avant de passer à l'autre. L'idée était donc clairement séduisante sur le papier mais sa mise en pratique ne répond pas à nos attentes.
Tout ceci apparaît comme le gâchis énorme d'une généreuse quantité de bonnes idées, car tout n'est pas noir sur 1954 : Alcatraz. Outre l'ambiance immersive à souhait que nous évoquions plus haut, nous ne pouvons que saluer le travail d'écriture des dialogues, parfois drôles, toujours matures et « libérés ». Il ne pouvait en être autrement lorsque l'on apprend que Christine se revendique de la génération « Beat », un mouvement littéraire et artistique né dans les années 50, dont les membres ont été notamment les précurseurs d'une certaine idée de la libération sexuelle. Ainsi, les compagnons de Christine, poètes, écrivains et peintres, appartenant tous à la Beat Generation abordent des sujets adultes et décomplexés, grâce à une écriture de qualité. Par ailleurs, si pas mal de défauts gâchent les qualités intrinsèque de 1954 : Alcatraz, on le parcourt sans franchement voir le temps passer et le joueur est désireux d'arriver au terme de l'aventure afin de savoir de quelle manière elle se termine. C'est déjà ça de gagné.
Points forts
- Une bande-son discrète mais réussie.
- La maturité du propos.
- Une écriture de qualité, parfois sérieuse, parfois drôle.
- Des décors souvent jolis...
Points faibles
- ... contrastant avec des plans franchement ratés.
- Difficulté inexistante.
- Environnements trop cloisonnés.
- Inventaire mal pensé.
- Des choix qui n'en sont pas vraiment.
- L'incohérence du comportement des personnages.
- Assez court (entre 6 et 8 heures).
1954 : Alcatraz exhale un vrai parfum de déception. Sa difficulté inexistante, sa réalisation datée ou la lourdeur des déplacements des personnages ne permettront pas au titre de tirer son épingle du jeu dans l'univers confiné des point'n click. Un fait d'autant plus regrettable que les bonnes idées, elles, sont bien là. Avec son atmosphère immersive à souhait, son propos mature, son écriture de qualité et sa bande-son impeccable, 1954 : Alcatraz avait tout pour séduire, il est donc franchement dommage que l'ensemble soit desservi par des mécaniques de jeu manifestement mal maîtrisées.