La vie est parfois rude. Injuste. Cruelle. Quand le sort s’acharne, il est difficile de se relever, et de ne pas finir au fond du trou. D’un point de vue psychique du moins, car il existe bien pire encore. Imaginez qu’un sortilège ancien vous prenne subitement pour cible et vous réduise en l’objet même de votre dégoût : perspective intéressante, n’est-ce pas ? C’est précisément ce qui risque de vous arriver si vous vous aventurez dans le sillage de Bad Mojo, un titre unique à plus d’une raison. A commencer par l’objet de votre transformation.
Men in Blattes
L’histoire de Bad Mojo tourne autour de Roger Samms, un jeune entomologiste (expert en bébêtes à pattes multiples) qui depuis les recoins d’une chambre d’hôtel crasseuse a découvert le moyen de se faire enfin connaître. Il a en effet trouvé la formule d’un nouvel insecticide qu’il pense capable d’exterminer définitivement les cafards. Seul, sans autre ami qu’Eddie, le propriétaire de l’hôtel, il reçoit subitement une subvention pour son invention, subvention vite détournée tant la chance n’a jamais été à ses côtés. Bien mauvaise idée : parmi ses effets personnels, l’un des anciens bijoux de sa mère laisse échapper un sort étrange qui s’en prend à Roger. Alors que ce dernier reprend conscience, il se retrouve à même le sol de sa chambre où tout lui semble bien différent : les chaises font la taille d’un immeuble, les mégots abandonnés sont tels des troncs d’arbres… Il faut se rendre à l’évidence que quelque chose ne va pas : et comment, ce pauvre Roger n’est à présent plus rien d’autre qu’un periplaneta americana. En d’autres termes, une blatte américaine !
Si cette introduction vous rappelle peut-être quelques ouvrages ou films bien connus, tels que La Métamorphose de Kafka, Les Fourmis de J. Weber ou encore L’Homme qui rétrécit, le scénario de Bad Mojo n’est pas non plus en reste. Car même dans la peau de pareil arthropode, Roger n’a pas l’intention de se lustrer davantage les élytres : il compte bien retrouver sa forme originelle, tout en se découvrant lui-même (le passé du personnage est en effet trouble) et en en apprenant plus sur Eddie. Pour ce faire, il lui faudra survivre aux dangers du quotidien de la blatte moyenne, et en finir avec cet étrange maléfice. Le titre proposant plusieurs fins, libre à vous de traîner vos antennes dans la sombre issue de certaines, ou alors de réussir à sauver tout ce qui peut l’être. Mais pour en arriver là, il vous faudra parcourir un long voyage, où chacun de vos pas peut être le dernier.
Scratched like a roach…
Difficile de mieux résumer l’aventure de Roger, au détriment des moins anglophones. Car s’il s’est toujours écrasé face aux autres, Roger Samms va devoir relever la tête et s’en tirer vivant, tout en avançant à travers les nombreux tableaux statiques du jeu. En bon arthropode, escalader les surfaces ne sera pas un problème, rendant la progression des plus labyrinthiques mais extrêmement visuelle, alors que vous entamez par exemple l’ascension d’une canette de bière. Vos pattes et vos antennes sont autant de membres à votre disposition pour faire bouger de petits objets et ainsi avancer en résolvant les nombreuses énigmes qui vous attendent. Doté de votre sens de blatte (ça le fait moins que le sens d’araignée), vous pourrez communiquer avec vos congénères pour avoir des indices sur les défis qui vous attendent, et pour mieux rester en vie.
Car l’existence d’une blatte est loin d’être de tout repos : chaque élément du décor veut littéralement votre peau, ou du moins votre carapace. Du rat en maraude à l’araignée patientant dans sa toile, en passant par le ruban adhésif, le gel insecticide, la peinture en train de sécher, les couverts en équilibre instable ou encore un aspirateur qu’on a oublié d’éteindre... ces dangers sont d’autant plus redoutables que certains pourront vous surprendre, passant pour de simples éléments de décor et vous coûtant une existence virtuelle. Au bout de quelques heures de jeu, vous en viendrez à appréhender le moindre objet, le moindre bruissement tant vos capacités de survie sont limitées. Le plus souvent, des cadavres de vos congénères vous indiqueront d’ailleurs le risque potentiel, risque à ne jamais prendre à la légère !
A chercher la petite bête, on la trouve…
Tout du moins techniquement. Car avec Bad Mojo, il est bien compliqué de dénicher le moindre travers tant l’aventure s’avère exceptionnelle. Dépourvu de toute forme de HUD ou d’inventaire, le titre propose une progression parfois extrêmement réaliste (les cinématiques sont souvent de véritables séquences filmées), où chaque détail a été pensé avec attention. La qualité graphique des tableaux n’a d’égal que leur noirceur et leur côté délicieusement glauque, vous forçant à patauger dans ce qui doit constituer le quotidien de nos amis à six pattes. Au point qu’on en viendrait presque à les prendre en pitié.
Vous l’aurez compris, Bad Mojo n’est définitivement pas un titre comme les autres. Pour parler franchement, c’est même une véritable pépite, que chaque recoin crasseux fait luire davantage. Surprenant le joueur à chaque instant et diaboliquement intelligent, ce titre assure le spectacle autant cérébral, à travers des énigmes aux allures simplistes mais retorses, que visuel via des tableaux tout à fait splendides, qu’on qualifierait presque de "magiques" s’ils n’étaient pas si malsains. Pour faire simple, si vous recherchez une aventure atypique et jouissive, scénaristiquement surprenante et vous glissant dans la peau d’une blatte, vous l’avez trouvée.
Points forts
- Se retrouver dans la peau d’une blatte !
- Progression extrêmement visuelle
- Enigmes tordues et savoureuses
- Chaque centimètre carré est votre ennemi
- Un réalisme parfois troublant
- 4 fins disponibles, souvent très sombres
Points faibles
- Rejouabilité limitée (une fois en tête, difficile d’oublier la résolution des énigmes)
Bad Mojo est un jeu exceptionnel, dans la mesure où il surprend son joueur à chaque seconde. Impossible de s’ennuyer alors que l’on erre parmi ces objets du quotidien transformés en pièges infernaux, notre cuticule comme seule protection. En ressort un plaisir inégalé amalgamé à une tension de tous les instants, ne rendant le jeu que plus délicieux encore. Bref, si vous attendiez cette phrase, sachez qu’elle a ici tout son sens : contrairement aux attentes, Bad Mojo est tout sauf un titre qui vous donnera le cafard…