Attendu, redouté, le reboot de Thief par le studio qui avait brillamment relancé Deus Ex n'a cessé de semer le trouble. Aujourd'hui, les fans de Garrett vont enfin être fixés sur le sort réservé à l'un des pères de l'infiltration.
Quand un développement traîne en longueur et laisse filtrer un certain chaos, ce n'est jamais très bon signe. Inutile de vous faire languir, Thief porte les stigmates de sa gestation malmenée et celui qui fut naguère un maître étalon de l'infiltration fait aujourd'hui pâle figure, à commencer par son scénario sans queue ni tête, pétri d'incohérences, de séquences métaphysiques pénibles, de transitions abruptes et ponctué d'un ou deux twists que seul ce pauvre Garrett n'avait pas vu venir. Par chance, la Cité et les missions dégagent une ambiance plaisante, crasseuse et obscure qui compense quelque peu une écriture pataude.
La Cité de la Peur
La Cité justement, est un bien étrange endroit qui servira au joueur de point central, présentée comme une zone ouverte au sein de laquelle il trouvera missions annexes, marchands de matériel ou de compétences et e qui sera bien évidemment le point de départ des missions principales. Mais en fait de zone ouverte, la Cité est un enchevêtrement de minuscules segments reliés entre eux par des voies parfois tortueuses. Se déplacer dans ce dédale prend un temps considérable, non seulement parce que la navigation y est difficile, mais également en raison de chargements nombreux et longuets. Aller du beffroi qui sert de QG à Garrett, à celui qui lui confiera sa prochaine mission, puis se rendre au point de départ de la mission en question peut nécessiter jusqu'à 4 ou 5 loadings... quand on ne réalise pas qu'on est allé dans le mauvais quartier, parfois pour quelques centaines de mètres à parcourir. La Cité est sans doute le complexe urbain le plus bêtement biscornu qui soit, ce qui lui donne un affreux air de ville en carton-pâte, un simple décor. La sanction ne tarde pas à tomber, la patience s'amenuise et on finit par laisser tomber les nombreuses petites quêtes annexes (vols d'objets divers au sein de la Cité) pour se concentrer sur les missions principales ou le simple ravitaillement en gadgets : les flèches à eau pour éteindre les torches, les grappins, les flèches étouffantes et autres grenades aveuglantes. Tout le nécessaire à une bonne infiltration.
Le kit du parfait voleur
Sur le papier, Garrett est bien équipé pour se faufiler. Il peut grimper, se glisser dans un conduit après avoir acheté une clef anglaise, utiliser ses flèches grappins, crocheter des serrures, éteindre bougies et torches et effectuer une glissade (un poil abusée) qui lui permet de filer comme une ombre sur une courte distance. Ou au contraire il choisira de faire diversion en provoquant des explosions ou en lançant des bouteilles au loin. Et comme tout bon pratiquant de l'infiltration, c'est un busard quand il s'agit de se battre, faible, peu puissant, Garrett est quasiment impuissant s'il est pris à parti par deux gardes. Tout est fait pour pousser le joueur à chercher des voies détournées et à éviter le moindre contact avec les vigiles. Il est d'ailleurs possible de terminer le jeu sans même en assommer un. Las, ce qui est vrai sur le papier ne survit pas longtemps à l'expérience. Les compétences de Garrett sont en vérité limitées par un level design excessivement restrictif et des actions contextuelles qui sont autant de panneaux indicateurs autorisant ou interdisant le passage.
Tu passes là, pas là
Sans réelle raison, Garrett ne peut grimper que là où on veut bien le laisser grimper. Qu'importe qu'un chemin évident soit formé par une suite de caisses en escaliers débouchant sur un petit toit qui mène lui-même à une conduite qui file droit vers votre destination. Vous essaierez de monter dessus, pour découvrir que ça n'est pas possible, et avec un peu de chance, ce faisant, vous aurez alerté la garde. A contrario, un rebord exactement à la même hauteur sera lui accessible parce que... parce que c'est comme ça. Le coup est dur, surtout après la déferlante d'exploits acrobatiques d'un Dishonored qui vous laisse déambuler sur les câbles d'un pont suspendu. Le joueur est prié de passer par le chemin qu'on lui a tracé. Certaines missions, ou sections de missions plutôt, sont plus inspirées que d'autres et offrent plusieurs voies au joueur qui pourra alors s'amuser à chercher son chemin comme il l'entend. Et quelques-uns apprécieront peut-être les niveaux « Tomb Raider » où l'infiltration cède la place à l'exploration et à la résolution d'énigmes, même si on est limite hors sujet. Mais d'une manière générale, Thief souffre d'un level design affreusement dirigiste, étriqué, dont le décryptage peut à l'occasion devenir complexe tant il lui arrive de manquer de crédibilité et de logique. Il n'est d'ailleurs pas rare, même après 10 heures de jeu, de se demander si oui ou non Garrett arrivera à sauter vers telle ou telle plate-forme ou s'il va s'écraser comme un flanc entre deux gardes en contrebas. On sent nettement les conséquences d'un développement difficile en discernant ce qui semble à l'évidence avoir été pensé comme un chemin possible, relégué finalement au simple rang d'élément de décor. Et pour ne rien épargner au joueur, Thief s'encombre encore d'une multitude de portes factices impossibles à ouvrir. Au détour d'un couloir, on trouvera du coup une conduite d'aération menant vers une salle secrète dans laquelle on lootera avec joie un gobelet, pour découvrir un peu attristé qu'il n'existe aucun moyen "réel" d’accéder à cette pièce condamnée par une fausse porte. Ca fait tache en 2014 dans un jeu de ce calibre.
Finitions à revoir
Ce sombre tableau parvient malgré tout à s'éclaircir de temps à autre grâce à quelques passages plus maîtrisés, offrant un peu de liberté au voleur et des séquences d'infiltration plus motivantes. Les amateurs de challenges pourront de surcroît opter pour le mode de difficulté personnalisée qui permet de s'imposer quelques contraintes, même s'il est vrai que les habitués du genre ont déjà tendance à le faire d'eux-mêmes (zéro kills, pas de gardes assommés, pas d'utilisation du mode Concentration, etc.). Au rang des qualités, on citera également une certaine richesse de contenu avec un bon paquet de quêtes annexes et de bidules à collectionner. Et d'une manière générale, en dépit de ses limites consternantes, Thief n'est pas une torture absolue, plutôt un titre très moyen entaché de défauts qui passent fort mal. Des tares qui n'aident pas à pardonner les autres soucis de la production d'Eidos Montréal qui manque clairement de finition. L'IA pour commencer, brille par moments en venant contrôler les portes qu'on aurait laissées ouvertes ou en rallumant les torches éteintes, mais peut rester de marbre quand on se glisse sous son nez d'une glissade bienvenue. Grimper en difficulté la rendra cependant plus alerte, mais pas moins buggée. A plusieurs reprises, des gardes ont curieusement cessé tout mouvement, demeurant figés sur place comme si Garrett avait soudainement acquis le pouvoir de stopper le cours du temps. Autre problème dont il conviendra de se méfier : la perte violente d'une sauvegarde après un chargement de niveau planté, probablement due à l'impudence d'un joueur ayant omis de lancer immédiatement le téléchargement du patch day one du jeu... ce qui n'a pas restauré pour autant la sauvegarde corrompue.
Enfin, on terminera par un mot sur la réalisation en dents de scie du jeu qui souffre sur PC de son statut de titre multisupport et multi-génération. Déjà pas extraordinaire sur consoles nouvelle génération, Thief ne brille pas vraiment sur PC même en le poussant dans les options graphiques. Si la direction artistique s'en sort assez bien, sur le plan technique, il en va autrement. Textures grossière, framerate irrégulier (certaines cinématiques virent au diaporama), mixage sonore à revoir avec des voix parfois à peine audibles, parfois bien trop fortes (un garde qui ronfle à l'étage semble dormir à 1 mètre du joueur), modélisation d'un autre âge, on a même droit à de grandes manifestations d'une foule composée de... 2 clampins perdus dans la rue. Cette version PC s'accompagne de surcroît de problèmes en tout genres, même après l'application d'un premier patch, nombreux sont ceux qui peinent à la lancer ou qui voient le jeu planter à certains points clefs. On ne sait pas si Square et Eidos comptaient relancer une nouvelle série Thief, mais si c'est le cas, elle prend un bien mauvais départ.
Points forts
- Diversité des lieux.
- Quelques passages assez sympas malgré tout.
- L'obligation réelle de fuir la confrontation.
Points faibles
- Level design ultra dirigiste et pas adapté.
- Architecture des niveaux très artificielle.
- Les mouvements limités de Garrett.
- L'IA capricieuse.
- La réalisation à bout de souffle.
- La bande-son fofolle.
- L'enfer du hub et ses loadings incessants.
- Le scénario aux fraises.
- Problèmes de stabilité sur PC
Il est facile de conclure en osant balancer que Thief n'est plus que l'ombre de lui-même. D'une telle licence, on attendait beaucoup, à commencer par un environnement ouvert offrant moult chemins possibles aux voleurs avisés. Las, ce reboot du roi de l’infiltration se paie un level design d'un dirigisme absolu, bardé de murs invisibles, et une architecture de la ville et de certaines missions qui leur font perdre toute vraisemblance. Le tout associé à une réalisation passable manquant de finition et à un hub central qui donne des cauchemars. On garde toutefois en tête quelques séquences plutôt sympas, qui permettent au jeu de taper la note moyenne, de justesse.