"Le jeu de gestion est mort". Une phrase assassine que l'on entend ici et là au gré des pérégrinations que l'on peut faire dans le milieu des amateurs du genre et qui témoigne de l'état de santé peu engageant d'un registre qui pourtant compte de nombreux adeptes tout droit issus de l'âge d'or du City builder. Très peu de studios s'aventurent sur la voie de la gestion pure à l'heure actuelle, fait regrettable auquel un certain Banished entend bien mettre un terme.
Luke Hodorowicz doit assurément être un homme très occupé. Après avoir fait ses armes pendant 10 ans dans l'industrie vidéoludique, l'homme s'est retranché seul dans son propre studio Shining Rock Software et s'est attelé en solitaire à la confection de Banished, un jeu de gestion qui redessine les contours et les enjeux propres aux City builders, proposant un challenge relevé et particulièrement différent de ce à quoi nous étions jusqu'alors habitués.
Peu de manières de réussir, de nombreuses façons d'échouer
Banished ne fait résolument pas comme tout le monde. Son principe est simple : vous êtes lâché en plein cœur d'une carte générée aléatoirement (dont certains données telles que la taille ou le climat peuvent être paramétrés) à la tête d'une poignée d'individus en pleine époque médiévale. Jusqu'ici rien d'anormal, mais les enjeux prennent une tournure assez particulière lorsque vous comprenez qu'il vous appartient de faire survivre tout ce petit monde plutôt que de faire prospérer votre ville et vos économies. En effet, dans Banished, il n'y a pas de scénario, pas d'objectifs à remplir et aucun bâtiment à débloquer. Dès les premières secondes de jeu, vous avez déjà accès à absolument toutes les infrastructures et aucune directive ne vous est donnée quant à la marche à suivre pour pérenniser votre partie. Vient alors le premier coup porté aux nerfs du joueur impatient : la difficulté à comprendre votre échec et la connaissance des moyens pour y remédier.
De l'importance de l'autosuffisance
Vos réflexes de vieux briscard du jeu de gestion vous conduiront sans doute à chercher l'aspect pécuniaire de Banished. Il n'existe pas. Votre principale ressource est votre main-d’œuvre, qui s'emploiera à bâtir des maisons, cultiver des champs ou élaguer le terrain environnant votre village afin d'en extraire du bois et de la pierre. Pour y parvenir, vous pouvez librement affecter une certaine quantité d'ouvriers aux opérations de récolte de ressources, tandis qu'une autre sera dédiée à la construction des bâtiments ou à l'un des 20 métiers existants. Votre première nécessité sera de construire un abri pour votre maigre population. Une fois les habitants logés, il va falloir sérieusement vous préoccuper de la nourriture, en allouant des ressources à un port de pêche, à la culture d'un champ ou à la chasse. Tout cela sera proprement déterminant pour la survie de votre groupe, qui devra besogneusement récolter le matériel nécessaire pour survivre à un hiver rigoureux.
Il fait froid ? Ou ça vient de moi ?
L'hiver a une importance capitale dans Banished. Les rigueurs de la saison étant ce qu'elles sont, il sera indispensable de munir vos citoyens de bâtiments décents, de vêtements chauds et de bois de chauffage, qu'il faudra préalablement couper par l'intermédiaire d'un bâtiment spécialement dédié à cette tâche. Si vos stocks s'avèrent insuffisants à l'approche de l'hiver, de nombreux habitants passeront de vie à trépas tant et si bien que les premières parties de Banished sont souvent synonymes d'échec. Les erreurs commises dans vos parties rythmées par les saisons ne se payent pas comptant, mais des mois plus tard, lorsque vous vous apercevez qu'un banal oubli d'allocation de ressources à une activité primordiale terrasse la majeure partie de votre population un hiver plus tard. Fort heureusement, ce City builder tendance « die and retry » base son charme sur le plaisir que vous prendrez à recommencer une carte sans reproduire les erreurs du passé... tout en en commettant de nouvelles.
Si vous sortez sans trop de casse de votre premier hiver, vous vous apercevrez de la faible quantité de main-d’œuvre à affecter aux divers métiers assurant le confort de votre population : récolte d'herbes pour garder vos citoyens en bonne santé, bûcherons chargés de couper des arbres puis de les replanter afin de conserver une forêt suffisamment dense pour ne pas être en pénurie de ressources élémentaires, tout cela demande des bras et il vous faut aussi veiller à avoir suffisamment de forces vives pour approvisionner vos greniers en précieuses denrées. Toutefois, Banished ne génère pas artificiellement des nouveaux venus dans votre cité, seul un comptoir d'échange permet d'attirer de nouvelles têtes et encore, en très faible quantité. Votre population doit donc prospérer, veiller à sa santé, procréer afin qu'à terme les jeunes enfants passent en âge de travailler. Il faut prendre son temps, bien asseoir ses ressources et veiller au bien-être de votre petit monde, en croisant les doigts pour que des éléments perturbateurs (comme les désastres) ne viennent pas réduire à néant des années d'efforts et de gestion millimétrée. Banished est un jeu lent, qui vous demande de prendre le temps avant d'ériger des édifices plus évolués et donc plus coûteux en ressources. Ne jamais construire plus que nécessaire est le mot d'ordre et abuser de la pause en jeu pour placer ses constructions intelligemment est nettement plus recommandé que d'accélérer le temps, réflexe qui sera souvent fatal en ce qu'il est régulièrement synonyme d'étourderies qui ne pardonnent pas. Ne pas confondre vitesse et précipitation, un adage que vous prendrez très vite pour mètre étalon.
Des bases solides, des détails qui manquent
Vous l'aurez compris, le système de Banished repose sur une excellente connaissance de ses mécaniques et du réalisme de ses enjeux. Vous serez régulièrement amené à réviser votre répartition de ressources, chercherez à diversifier l'alimentation de vos habitants en veillant à ensemencer les champs au printemps pour qu'ils donnent leurs premières denrées en automne. Vous consulterez en permanence vos stocks d'outils, de vêtements chauds et donnerez des sépultures décentes à vos anciens pour que le moral de vos habitants ne souffre pas trop de ses pertes. Et lorsque tout se passe pour le mieux, que votre ville s’agrandit et se peuple de citoyens heureux et bien portants mais que la vie est injuste, il arrivera qu'un événement climatique fâcheux, entre autres, mette en péril votre cité. Frustrant, sévère, mais crédible. Alors naît l'envie de durer davantage de temps, d'effectuer la partie parfaite, de penser à tout. Banished s'appuie pour cela sur une interface plutôt laide, mais si elle semble hermétique en début de partie et ce malgré le tutoriel plutôt bien fichu mais qui ne reprend que les grandes lignes du jeu, l'interface est en fait assez exhaustive, les informations indispensables à la bonne gestion de votre communauté étant accessibles en un regard. Le minimalisme de l'interface permet par ailleurs de conserver la plupart des onglets d'informations en permanence affichés à l'écran sans qu'ils n'empiètent trop sur la surface de jeu, élément dont de nombreux City builders devraient s'inspirer.
Malheureusement, Banished n'est pas exempt de défauts et souffre du fameux syndrome de nombreux City builders. Sans campagne et sans objectifs autres que ceux que vous vous fixez, la maîtrise parfaite des mécaniques du titre sera sans doute synonyme de lassitude chez de nombreux joueurs. La courbe d'apprentissage est plus longue que chez les autres jeux de genre, et les personnes les plus volages abandonneront Banished une fois celui-ci parfaitement assimilé. Les autres, plus perfectionnistes, pourront bien entendu enchaîner les cartes, augmenter la difficulté ou tenter de survivre avec une technique différente des précédentes parties. En somme, la durée de vie de Banished s'adaptera à votre comportement de joueur usuel et son estimation ne dépendra que de vous. Dans le même esprit, le manque réel d'évolution des bâtiments et de certaines statistiques font dans l'immédiat défaut mais il y a fort à parier que les outils de création de mods en cours d'élaboration viennent pallier ce manque. Les correspondances entre les besoins de votre population et la quantité de ressources stockées n'est pas forcément claire et il n'est pas évident de savoir quel bien vous avez en excédent pour vous adonner au troc, même si la construction de l'hôtel de ville vient partiellement rectifier le tir. Enfin, sachez que des notions correctes d'anglais sont nécessaires pour apprécier pleinement le titre de Shining Rock, Banished n'ayant pas encore bénéficié d'une localisation française.
Points forts
- Exigeant
- Rythme imposé par la rigueur des saisons
- Le plaisir de l'apprentissage par l'échec
- Assez mignon
- Très gratifiant une fois maîtrisé
- Une interface complète qui n'empiète pas trop sur l'écran
- Des objectifs libres et personnels...
Points faibles
- ... qui ne sont pas assortis d'une vraie campagne
- Tutoriel trop expéditif
- Un facteur chance qui peut être frustrant
- Une difficulté décourageante pour les moins persévérants ou les débutants dans le style
Banished a cette force typique du jeu austère de prime abord qui ne révèle ses charmes et sa profondeur qu'une fois de nombreux essais passés à en appréhender les mécaniques. En optant pour le mode bac à sable, certains hurleront à la pauvreté de Banished en raison de son absence de buts concrets tandis que d'autres invoqueront la liberté d'objectifs accroissant considérablement sa durée de vie. En résumé, le titre de Shining Rock vaut pour sa difficulté qui ne pardonne pas, son réalisme et sa gestion pointilleuse. Un jeu de gestion qui requiert patience, équilibre et réflexion, n'est-ce pas là l'essence du style ? Si vous répondez par l'affirmative à cette question, Banished a largement de quoi vous séduire.