Après une première version de démonstration parue en 1983, King’s Quest sortait officiellement le 10 mai 1984, développé par Roberta Williams et sa société Sierra On-Line. A une époque où les jeux étaient conçus par une ou deux personnes, ce jeu d’aventure d’un nouveau genre nécessita plus d’une demi-douzaine de développeurs et 700.000 $ d’investissement. Un pari risqué qui s’avéra payant.
La quête pour le trône
Le jeu originel, sorti en version de démonstration en 1983, dispose d’une trame basique et tient en quelques lignes. Le bon roi Edward de Daventry est mourant et n’a pas d’héritier. Il s’inquiète légitimement des maux qui frappent son pays et, pour éviter le chaos, demande à son fidèle chevalier Graham de retrouver les trois trésors perdus du royaume : un miroir, un bouclier et un coffre, tous magiques évidemment, et susceptibles de résoudre tous leurs problèmes. S’il réussit, il lui léguera le trône. Et c’est tout. Notre héros se contentera ensuite de chercher les reliques demandées, sans aucun développement narratif. Lorsque Sierra ressort le jeu en 1984, puis en 1987 et encore en 1990, affublé d’un sous-titre, Quest for the Crown, il sera ajouté une introduction bien plus complète sur l’histoire du royaume de Daventry, le contexte, le roi et son épouse, et la façon dont les trois trésors ont été dispersés. Cependant, seul le début est étoffé, le reste du jeu reste, peu ou prou, inchangé puisque les nouvelles explications n’influent nullement sur le déroulement. Graham va ainsi croiser quidams, monstres et créatures magiques, tous issus ou presque des contes de fées de notre enfance, qui l’aideront ou lui mettront des bâtons dans les roues, sans plus d’explications. Rien de bien passionnant à ce niveau, et malheureusement le jeu demeure, de ce point de vue, dans la norme des titres de l’époque. Cependant, là n’est pas son intérêt.
Et l’animation et la profondeur de champ furent
Quand King’s Quest débarqua en 1984, il révolutionna totalement le jeu d’aventure au niveau de la réalisation. Alors qu’auparavant le joueur n’évoluait que dans des décors pré-dessinés avec des personnages complètement statiques, seuls des textes explicatifs s’affichant de temps à autre, le jeu de Sierra introduit pour la première fois un protagoniste et des personnages secondaires animés. Graham se déplace à l’écran, ramasse des objets, ouvre des portes, barbote dans l’eau, opère des retraits stratégiques opportuns, etc. Tout cela a l’air évident de nos jours, mais au début des années 80, c’était une première pour un jeu d’aventure. Autre révolution technique d’importance, l’introduction de la profondeur de champ. Là encore, une grande première. Notre fier aventurier ne se contente pas d’aller de droite à gauche et inversement. Il peut également s’éloigner ou se rapprocher, apparaissant ainsi plus petit ou plus grand selon le trajet emprunté, les différents décors intégrant une perspective certes sommaire, mais bel et bien là. De même, il peut se cacher derrière des éléments du décor ou les cacher lui-même – décors qui sont pour leur part variés et assez nombreux, plus de soixante-dix en tout, ce qui était considérable à l’époque. En outre, les environnements bénéficient d’une palette de 16 couleurs différentes, ce qui peut sembler bien maigre aujourd’hui, mais ce détail prend tout son intérêt quand on garde à l’esprit que la plupart des jeux n’en utilisaient que 4. Enfin, et pour de ne pas mobiliser trop d’espace disque, Sierra a fait le choix de l’image vectorielle plutôt que du bitmap pour réaliser son jeu. L’un des effets amusants d’un tel choix est de voir littéralement chacun des décors se dessiner et se colorier à chaque changement d’écran, ce qui rajoute un petit côté coloriage pas désagréable. Techniquement parlant, et à l’exception notable d’une bande-son anémique, King’s Quest est une véritable référence.
Un gameplay un poil rigide et archaïque
Il n’en va pas forcément de même pour son gameplay. Les joueurs sont désormais habitués, pour les jeux d’aventure, soit au point’n click, soit à l’interaction directe avec l’environnement, via les commandes et menus. Dans King’s Quest, rien de tel. Enfin, si, un peu. Vous dirigez Graham d’un point A à un point B au clavier, avec les flèches directionnelles. Mais pour le reste, vous êtes systématiquement obligé d’entrer des commandes dans la boîte de dialogue pour progresser. Le jeu étant uniquement en anglais, cela suppose donc un minimum de maîtrise de cette langue pour pouvoir exprimer les actions souhaitées. Il faut aussi être en mesure d’identifier l’objet désigné, ce qui n’est pas forcément évident quand un gros tas de pixels peut représenter aussi bien des feuilles que des noix. Le jeu ne reconnaît pas non plus n’importe quelle commande. N’essayez pas de faire danser Graham pour rigoler, ça ne marche pas. Et il faut aussi éviter les fautes ou erreurs de frappe, sinon, rebelote, votre personnage vous dira qu’il ne comprend pas. Ce qui est légèrement embêtant quand vous devez neutraliser le dragon… Autre problème de taille, l’absence d’inventaire. Il faut retenir, ou noter sur une feuille, ce que vous récupérez pour pouvoir l’utiliser plus tard. Si cela reste dans la norme des gameplays de l’époque, ce système de jeu n’en demeure pas moins rigide et peu pratique, voire même totalement archaïque aujourd’hui. Cet aspect peut rebuter les joueurs, ce qui serait quand même bien dommage.
Un effort de réflexion
Quant au déroulement de la quête elle-même, Graham va devoir collecter différents objets et interagir avec eux au bon moment et au bon endroit pour avancer, comme dans tout jeu du genre qui se respecte – à condition de réussir à les identifier au préalable sur l’écran, ce qui n’est pas toujours évident. Et c’est là que ça devient drôle – ou énervant, c’est selon. Tout d’abord, vous n’avez strictement aucune information, aucun indice sur votre destination en commençant l’aventure. Ensuite, la logique des interactions échappe souvent à toute réflexion raisonnable. Par exemple, il ne viendrait à l’idée de personne d’utiliser une chèvre pour se débarrasser d’un troll. Et pourtant… La plupart des quêtes sont à l’avenant. Et attention aux erreurs : un faux pas de trop, un objet utilisé trop tard ou à mauvais escient, et c’est la mort. Souvent de manière ridicule, en plus. Autant être honnête : sans solution, on peut tourner des heures sans progresser – avec, le jeu se termine en moins d’une heure, mais n’a alors plus aucun intérêt. Par ailleurs, en ratant un objet, vous pouvez vous retrouver définitivement coincé à un endroit et contraint de recommencer. Aussi, il est recommandé de sauvegarder souvent et de conserver deux sauvegardes distinctes pour éviter de devoir reprendre depuis le début après vous être retrouvé dans un cul-de-sac. Enfin, et pour rajouter un peu de challenge, les objets ramassés et les actions effectuées vous rapportent des points. Pour réussir le jeu à 100 %, vous devez obtenir un score de 158 points, ce qui est loin d’être évident. Patience et persévérance sont deux qualités requises pour terminer King’s Quest. Avoir un esprit tordu peut aussi aider.
La naissance d’une saga mythique
Lorsque Roberta Williams développa King’s Quest, se doutait-elle qu'elle posait également les bases d’une grande saga, en plus de donner un sacré coup de fouet aux jeux d’aventure de l’époque ? Peut-être pas. Et pourtant. D’abord sorties sur PC Junior sans vraiment rencontrer de succès, les aventures de Graham furent ensuite publiées sur PC normaux et Apple II et se vendirent alors comme des petits pains. Un an plus tard, Sierra gratifiait King’s Quest d’un second épisode, suivi par six autres jusqu’en 1998. De nombreux remakes et portages du premier épisode furent également publiés. Et la saga se classa au panthéon des jeux d’aventure. Rien que pour cela, ce premier volet mérite d’être (re)découvert.
Points forts
- Des graphismes en couleurs, variés et à la pointe de la technologie de l’époque
- La profondeur de champ, une première dans un jeu d’aventure
- Des personnages animés
- Une difficulté relevée
- Un univers varié et sympathique
Points faibles
- Une histoire ultra simpliste
- Le système de boîte de dialogues, rébarbatif et peu précis
- Le manque d’effets sonores et de musiques
- Uniquement en anglais
Bien que son histoire soit simpliste, le premier épisode de King’s Quest a marqué l’histoire du jeu d’aventure, et du jeu vidéo tout court, en proposant une quête plus construite et des graphismes exceptionnels pour l’époque. Bien que le gameplay se révèle pour le moins contraignant et ait très mal vieilli, le jeu offre un challenge relevé dans un univers agréable, ancêtre de nombre de titres actuels. Il connaîtra lui-même plusieurs versions et remakes, ainsi que six suites.