Entre Teslagrad et moi, l'attraction fut comme magnétique. C'est d'abord par ses graphismes faits main que le courant est passé, puis son gameplay électrisant s'est peu à peu dévoilé. Entre plate-forme et énigmes, le premier titre des Norvégiens de Rain Games fait le pari osé d'investir un genre surexploité du jeu vidéo indépendant. Comment alors tirer son épingle du jeu ? Comment attirer un public repu de puzzle plateformer ?
Disponible depuis le 12 décembre sur Desura, Teslagrad s'est frayé le chemin d'une sortie sur Steam grâce à une campagne Greenlight couronnée de succès. Les ambitions des développeurs ne s'arrêtent pas là puisque le jeu est aussi annoncé par la suite sur PS3 et Wii U. Tout commence par une fuite, celle d'un petit garçon s'échappant par les toits d'une rafle menée par les soldats d'un terrible monarque régnant sur une cité mélangeant agréablement architecture des villes d'Europe de l'Est du siècle dernier et esprit steampunk. La représentation la plus évidente de cette association de styles est incarnée par l'immense bâtiment dans lequel le héros trouvera refuge : la tour Tesla. Symbole de l'avancée technologique de cette civilisation, elle sera à la fois le cadre du jeu mais aussi le vecteur permettant au scénario de se construire tout en finesse.
Choc électrique et visuel.
Ici, nul besoin de paroles ou de cinématiques alambiquées pour transmettre l'histoire, la tour s'en chargera de manière très visuelle au moyen de tableaux ou de petites scènes de théâtre jouées par des automates. Il y a des années, le royaume prospère dans lequel le jeu se déroule subissait les assauts incessants de peuples rivaux convoitant ses richesses et son savoir. Soucieux de protéger son peuple, le souverain demanda aux plus talentueux scientifiques de mettre au point une arme capable de repousser les barbares. Désormais capable de contrôler l'électricité, la menace fut rapidement repoussée. Toutefois, aveuglé par le pouvoir conféré par cette science nouvelle, le roi finit par se transformer en tyran et ordonna à ses hommes de pourchasser les savants afin de conserver une main de fer sur cette puissante technologie. Nous incarnons donc le fils de l'un de ces scientifiques déchus, enfermé malgré lui dans l'immense tour Tesla.
Visuellement, Teslagrad joue la carte du fait main en proposant des personnages et des décors en 2D rappelant l'esthétique d'anciens dessins animés. Le résultat prend vie à l'écran avec une remarquable finesse tout en parvenant à créer une identité visuelle forte. Propulsé par le moteur Unity (comme beaucoup de productions indépendantes en ce moment), le jeu offre un rendu global techniquement maîtrisé dont le souci du détail de certains décors laisse supposer de l'important travail artistique du studio norvégien. Trente-six bobines dévoilant des parties secrètes de l'histoire seront à dénicher par des méthodes impliquant plus ou moins de skill et il faudra se défaire de cinq boss assez corsés entrecoupés de centaines d'énigmes originales pour parvenir à boucler l'aventure.
Attraction magnétique.
A défaut d'un coup de main, comptez plutôt sur un coup de jus pour progresser. L'idée de base du gameplay de Teslagrad repose sur les champs magnétiques et leur contrôle. Pour tous ceux ayant passé l’essentiel de leurs cours de physique endormis sur un radiateur, voici un bref rappel d'une règle élémentaire ô combien cruciale à la compréhension de la mécanique du jeu : deux éléments de charge opposée s'attirent tandis que ceux chargés identiquement se repoussent. Une fois cette notion en tête, l'exploration peut commencer. En digne représentant du genre des "metroidvania", le cheminement logique nous fera régulièrement tomber sur divers objets nécessaires à la progression.
Au départ limité à utiliser de petits robots pour polariser certaines structures, le jeune héros dénichera bien vite une paire de gants permettant de charger positivement ou négativement les mécanismes à sa portée. Puis viendront s'ajouter des bottes conférant la capacité de dasher en avant pour traverser des grilles et des faisceaux électriques mortels, une capuche polarisante capable de créer un champ magnétique autour du personnage et enfin un bâton pouvant envoyer des courants électriques à distance. Un éventail complet de capacités à utiliser et à combiner au bon moment pour arriver à déjouer les mécanismes retors des nombreuses salles de la tour. Et il faut dire que sur ce point-là, Rain Games n'a pas fait les choses à moitié car les énigmes s'enchaînent et ne se ressemblent pas. Chaque nouvelle porte ouverte garantit son lot de réflexion et de casse-têtes parfois compliqués au premier abord mais dont la résolution sera toujours d'une logique implacable. Ne reste plus qu'à habituer vos doigts aux contrôles méticuleux de la polarité au clavier ou à la manette et la progression devrait se dérouler sans trop d'encombres... à moins de tomber sur un boss.
Ça boss dur ici !
Car oui, l'une des principales qualités de Teslagrad pourrait aussi être l'un de ses rares défauts. Construit autour d'un élévateur magnétique central bloqué par des portes à ouvrir, il faudra pour y parvenir se débarrasser de quelques boss aux patterns n'autorisant pas la moindre petite erreur. En effet, notre jeune électromancien ne dispose que d'un misérable point de vie pour arriver à se sortir vivant de combats enchaînant plusieurs phases à comprendre et à maîtriser. Le problème ici réside dans l'absence de checkpoint au cours de ces rencontres. Mourir à la dernière seconde d'un affrontement ramènera inexorablement le joueur au début de celui-ci. Convenons-en, cela pourra quelque peu agacer les moins patients d'entre-nous. Mention spéciale à l'avant-dernier boss sur lequel il est possible d'enchaîner les essais infructueux au point d'en finir par en vouloir à l'intégrité physique de sa manette (et je parle d'expérience, pauvre contrôleur 360). Autant cette absence de point de contrôle sera à même de satisfaire les amateurs de challenge old-school, autant elle pourra s’avérer frustrante dans certaines salles débordant de pièges mortels à éviter avec une précision d'horloger suisse.
Toutefois, il serait dommage de s'arrêter uniquement sur ce point tant la qualité globale du titre parvient à excuser ses quelques légers défauts comme une carte pas forcément des plus faciles à lire. Classique, Teslagrad l'est assurément et ne revendique d'ailleurs aucunement une originalité qu'il ne saurait mettre en avant. Néanmoins, les quelques 6 à 8 heures de jeu constituant l'aventure (voire plus si comme moi vous perdez votre temps sur un satané boss ou que vous souhaitiez récupérer toutes les bobines) proposent un enchaînement de bonnes idées servi par une direction artistique d'excellente facture et une bande-son discrète mais totalement adaptée à la subtilité ambiante de cet univers.
Points forts
- Un univers steampunk fait main visuellement très réussi
- Une grande variété d'énigmes utilisant intelligemment la panoplie de gadgets et de mouvements du héros
- Une narration et une bande-son pleines de subtilité
- Une difficulté progressive
Points faibles
- L'absence de checkpoint sur certaines phases (dont les boss)
- Les contrôles au clavier parfois exigeants
- Une carte parfois peu lisible
Avec Teslagrad, Rain Game prouve avec une grande maîtrise que le genre du puzzle plateformer a encore de beaux jours devant lui. A grands coups d'énigmes souvent corsées mais toujours logiques, le jeu et ses multiples outils de contrôle de la polarité permettent de faire émerger un gameplay classique mais diablement efficace. Bercé par une ambiance fait main des plus agréable à l’œil, on pourrait lui reprocher sa trop grande exigence sur certaines phases comme les boss sur lesquels il est possible de s'arracher les cheveux durant un bon moment. Proposé entre 7 et 9 € en version dématérialisée, il serait dommage de passer à côté si l'attraction pour cette expérience ludique se faisait ressentir.