Dans le courant des années 90, les point'n click battaient leur plein et trouvaient toute leur légitimité dans les rayons des boutiques spécialisées. Néanmoins, le genre a disparu progressivement des étalages pour finalement connaître une période de vache maigre, ne parvenant plus à trouver un public face à une concurrence graphiquement toujours plus ambitieuse. Mais le point'n click dit « à l'ancienne » n'a pas dit son dernier mot et connaît un regain d'énergie ces dernières années, de quoi donner l'envie à pas mal de créatifs de ressusciter les vieilles légendes, comme c'est le cas pour ce nouvel épisode des Chevaliers de Baphomet, sous-titré La Malédiction du Serpent. Est-ce pour le meilleur ou pour le pire ?
Les Chevaliers de Baphomet (Broken Sword pour le titre original) ont commencé leur épopée en 1996. Encore aujourd'hui considérés comme indispensables à toute personne se revendiquant d'une culture point'n click, les deux premiers épisodes en 2D ont marqué toute une génération de joueurs. Malheureusement, le contexte aidant et en raison d'un passage à la 3D pour les volets suivants des plus discutables, Charles Cecil et son studio Revolution Software ont peiné à conserver la flamme qui animait les origines du titre. Néanmoins, Charles Cecil ne s'est pas laissé abattre et a proposé par, l'intermédiaire de Kickstarter, de développer un tout nouvel épisode des Chevaliers de Baphomet... avec le retour des décors en 2D. Inutile de préciser qu'il n'aura pas fallu longtemps pour que les fonds soient levés et dépassent les objectifs initialement fixés, tant le fait de retrouver dans une version plus traditionnelle les éternels Georges Stobbart et Nico Collard dans de nouvelles aventures trépidantes cristallisait les plus vifs espoirs... Lesdites aventures seront cette fois-ci séparées en deux chapitres, dont le premier est décortiqué dans ces colonnes.
Le retour aux sources
Dès l'introduction, et une brève cinématique passée, la volonté de renouer avec les origines de la série saute aux yeux. « Paris, en été » soulève immanquablement un soupir ravi de nostalgie chez « ceux qui savent ». Nous retrouvons notre Américain favori, Georges Stobbart, qui se trouve au vernissage d'une exposition en tant que représentant de sa compagnie ayant assuré l’événement, accompagné de sa bien aimée journaliste Nicole Collard avec laquelle il partage un verre en évoquant les vieux souvenirs. Malheureusement, et c'est bien le drame de la vie de notre expatrié et de son amie, un homme armé et coiffé d'un casque de moto intervient et tente de voler un tableau baptisé « La Malediccion ». Au cours du braquage, Henri, le commissaire de l'exposition, tente de s'interposer mais écope malheureusement d'une balle tirée par le malfrat, qui finit par s'enfuir avec la précieuse toile, laissant pour mort le pauvre Henri. Les vieilles habitudes ont la vie dure, et c'est ainsi que Georges et Nico décident d'enquêter sur les raisons de ce forfait. Le vol était-il animé par des motifs pécuniaires ou les raisons seraient-elles (nos protagonistes devraient finir par s'en douter, à force) un peu plus complexes que cela ?
Deux épisodes qui gagneraient à être fusionnés
Ce n'est malheureusement qu'à la première question que vous trouverez une réponse dans ce premier épisode de La Malédiction du Serpent. En effet, votre aventure ressemblera davantage à une enquête policière, bien ficelée mais pas transcendante non plus, qu'à une véritable aventure fleurant bon les origines des Chevaliers de Baphomet. Attention néanmoins, et soyez rassuré, la fin du premier volet laisse présager du meilleur pour sa suite, avec tout ce que l'intrigue comporte d'occultisme, de religion et autres conspirations si chères à la licence. Néanmoins, une légère frustration naît de ce parti pris et de cette aventure trop brutalement coupée. En effet, au-delà du simple fait que la première partie se boucle en 5 heures, la manière de la conclure est amenée bien trop sèchement. On a le sentiment d'une fin bâclée là où Revolution Studio voulait manifestement faire monter la sauce pour mieux faire saliver les fans dans l'attente du prochain volet, à paraître début 2014. Une maladresse assez préjudiciable mais pas inexcusable pour autant, car, en dépit du fait que nous ne voyageons qu'entre Paris et Londres (très succinctement), la promesse de péripéties plus lointaines, qui sont tout de même une caractéristique de la saga, se profile pour l'épisode 2 et la première partie de l'aventure renoue suffisamment avec la tradition des Baphomet pour plaire aux anciens, voire même séduire les nouveaux.
Un fan service discret qui n'égare pas les nouveaux venus
Bien entendu, la première chose qui séduit est sans doute la plus évidente : le retour à la 2D, pour les décors du moins. Exit la 3D qui n'était pas du meilleur goût sur les deux derniers volets, La Malédiction du Serpent revient à ses premières amours. Les décors sont franchement réussis, et l'on retrouve avec une joie mâtinée d'une douce nostalgie le Paris au charme désuet que nous avions laissé au premier épisode. Cette sorte d'anachronisme séduisant entre un Paris qui semble figé dans le temps et la modernité des propos des personnages et de leurs objets d’inventaire fait mouche, l'ambiance est fixée, ce sera joli, tout le long de l'aventure. Les personnages en 3D, eux, présentent un aspect assez particulier avec leurs couleurs presque pastel et ne s'intègrent parfois pas spécialement bien dans les décors. Si parfois les avatars en mouvement se fondent parfaitement dans leur environnement, il arrive que le parti pris 2D / 3D crée un décalage trop prononcé avec un arrière-plan figé. Rien de bien dramatique néanmoins, l'ensemble fonctionne globalement très bien et la patte artistique des environnements nous ferait pardonner presque n'importe quoi.
Autre point fort qui devrait ravir les fans, les doubleurs des principaux protagonistes ont été conservés. Nous retrouvons ainsi l'irrésistible accent américain de Georges et la voix de Nico, avec des doubleurs toujours aussi impliqués même si l'on sent que les années sont passées par là. Quelques lignes de dialogues manquent un peu de conviction, mais la qualité du doublage est de très bonne facture. Par ailleurs, l'écriture est tout simplement faite au cordeau. Si l'on n'évoquera pas pour le moment la maigreur apparente d'un scénario qui devrait s'étoffer en début d'année prochaine, l'ensemble des dialogues sont eux parfaitement bien sentis et trouvent un équilibre parfait entre sérieux et humour. Un vrai travail a été effectué sur les personnages, anciens comme nouveaux. Les têtes connues sont fidèles à elles-mêmes, Georges notamment, est toujours un modèle de cynisme, ses racines américaines ne l'empêchant pas de faire montre d'un humour très britannique. C'est un régal et c'est souvent que l'on sourit voire que l'on rit de bon cœur.
Par ailleurs, et c'est là un vrai tour de force de la part de Revolution Software, les clins d’œils aux situations vécues dans les épisodes précédents sont très discrets, mais suffisamment présents pour enchanter les amateurs. Des allusions trop appuyées auraient sans doute fini par agacer les nouveaux arrivants, ce n'est absolument pas le cas ici. Du fan service bel et bien palpable en filigrane, voilà ce que propose La Malédiction du Serpent. A ce titre, la présence des personnages déjà croisés au cours des péripéties passées se justifient pleinement, ne choqueront absolument pas les néophytes mais évoqueront de précieux souvenirs aux inconditionnels des Chevaliers de Baphomet. Bien vu.
Un manque de challenge décevant
Côté jouabilité, ce cinquième volet des Broken Sword renoue avec ce qui faisait l'essence des vieux point'n click. On cherche des objets, on dialogue, on interagit et on trouve la clé de l'énigme. Quelques mini-jeux viennent diversifier un peu le tout (trouver le nom d'une enseigne en anagrammes, reconstituer une lettre déchirée...) mais ne viennent pas pour autant rehausser l'un des points noirs de cette mouture 2013 des Chevaliers de Baphomet : la difficulté. Inutile de créer le suspense : le jeu est facile, terriblement facile. Si de nombreuses personnes invoqueront la cohérence des énigmes, qui en effet répondent toutes à une vraie logique (n'imaginez pas devoir combiner un pingouin avec une antenne pour en faire un parapluie, par exemple), l'ensemble reste beaucoup trop assisté, de plusieurs manières différentes. La première, et sans doute la plus injuste, est que Georges vous donne des indices sans que vous lui demandiez quoi que ce soit. Encore que « donner des indices » reste un doux euphémisme tant on a parfois l'impression qu'il vous donne carrément la solution pour progresser. Finalement, les seules fois où vous resterez « bloqué », ce sera parce que vous aurez manqué un élément interactif du décor.
L'autre façon d’assister le joueur se trouve dans l'inventaire qui, lorsque vous sélectionnez un objet, grise automatiquement les autres items avec lesquels il ne pourra pas être combiné. Autrement dit, on vous mâche clairement le boulot. Et si ça ne suffisait pas, vous pouvez toujours vous en référer à la solution complète directement fournie dans le menu. Alors certes, on ne peut pas reprocher à un point'n click moderne de dépoussiérer un peu des mécaniques ou des logiques absurdes, mais tomber dans l'extrême inverse n'est pas non plus forcément gratifiant pour le joueur. Certains trouveront ça très bien, d'autres nettement moins. Libre à vous certes d'utiliser l'assistance ou non, les astuces et l'interface grisée étant désactivables, mais il vous faudra avant tout passer par les menus et faire sauter ces deux dernières options, Georges lui, restera toujours aussi bavard. Et quitte à emprunter à ce qui se fait actuellement dans l'univers toujours un peu fermé du point'n click, pourquoi ne pas avoir choisi d'en prendre le meilleur plutôt que d'en conserver certains défauts ?
Un léger manque de finition
Un exemple est très simple. Alors que la plupart des point'n click proposent des « déplacements rapides » par l'intermédiaire d'un simple double clic, Broken Sword 5 n'a manifestement pas implémenté cette fonction. Ainsi il vous faudra patienter jusqu'à ce que votre flegmatique Georges arrive tranquillement en marchant très lentement vers le point que vous lui avez ordonné. Si par mégarde vous devez faire plusieurs allers-retours, prenez votre mal en patience, car votre personnage avance comme une tortue, et l'on ne peut ni courir, ni abréger les parcours. Frustrant. Par ailleurs, les animations sont pour certaines à revoir. Parfois longues à déclencher, il vous faudra patienter une poignée de secondes avant d'entamer un dialogue, ce qui devient pénible lorsque vous devez tailler un brin de causette plusieurs fois à un personnage qui vaque à ses occupations.
Points forts
- Le retour réussi à des décors en 2D
- Le respect de l'esprit de la série
- Les décors très jolis
- La qualité de l'écriture
- Bande-son impeccable
- L'humour toujours bien senti
- Les clins d’œil nombreux et habilement introduits
- Des énigmes toujours logiques...
Points faibles
- ... mais trop faciles, avec ou sans astuces
- L'intégration des personnages en 3D parfois bancale
- La coupure brutale en fin de première partie
- Un scénario pour le moment un peu maigre
- On voyage peu (pour l'instant)
- Lenteur des déplacements
- Attendre la suite !
Georges et Nico nous reviennent en pleine forme, au plus grand ravissement des fans des origines des Broken Sword. Ce premier épisode des Chevaliers de Baphomet : La Malédiction du Serpent renoue avec des décors en 2D splendides, avec un humour cynique et une écriture toujours juste. Son dépoussiérage devrait sans nul doute conquérir un nouveau public, tandis que les nostalgiques de « la grande époque » seront ravis de retrouver cet univers si particulier et salueront d'un sourire béat les multiples mais discrètes allusions faites aux volets précédents. Et même si elle est trop facile, même si les personnages en 3D s'intègrent parfois mal aux environnements figés, même si elle est trop brutalement coupée en deux et même si elle manque un poil de finition, cette nouvelle mouture des aventures de Georges et Nico est une vraie réussite qui sait réconcilier deux générations de joueurs. Dans l'attente (impatiente) de la suite.