Au printemps dernier, Hex : Shards of Fate rencontrait un grand succès sur Kickstarter, avec plus de deux millions de dollars récoltés (sur 300.000 demandés) ! Etonnant pour un jeu de cartes en ligne, genre alors considéré comme une niche – c'était avant HearthStone. Mais il faut dire que le projet est prometteur, comme nous avons pu le constater à l'occasion d'une visite chez son géniteur Cryptozoic.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, une petite présentation s'impose. Cryptozoic n'est pas connu des amateurs de jeux vidéo, et pour cause : Hex est son premier projet dans le domaine. En réalité, la boîte est spécialisée dans les jeux de plateau et les jeux de cartes à collectionner (JCC). Cory Jones, son fondateur, a notamment œuvré chez Upper Deck sur le désormais défunt JCC World of Warcraft (à ne pas confondre avec HearthStone), avant de travailler directement chez Blizzard. Et pour son entrée dans le monde vidéoludique, Cory a su s'entourer de personnes expérimentées, issues de Cryptic et Sony Online Entertainment. Deux studios spécialisés dans les MMO, ce qui n'est pas un hasard : Hex ambitionne de mélanger MMO et JCC. Une vision pas forcément facile à vendre : M. Jones a démarché – sans succès – une trentaine d'éditeurs avant de se tourner vers le financement participatif. L'engouement autour de la campagne a porté ses fruits : aujourd'hui, Cryptozoic n'a plus aucun mal à trouver des partenaires. Le jeu sera ainsi publié par Gameforge en Europe, et a déjà trouvé preneur en Asie et en Amérique latine. Bref, alors qu'il est encore au stade d'alpha, Hex suscite un vif intérêt. Il faut dire que Cory Jones a une vision : selon lui, le genre MMOJCC pourrait devenir rien de moins que le nouveau MOBA ! Et son bébé, en tant que précurseur, serait alors le nouveau League of Legends... En ce sens, il ne voit donc pas HearthStone comme un concurrent. Au contraire : en rendant le JCC très abordable, le dernier-né de Blizzard ne peut qu'amener de nouveaux joueurs à s'intéresser au genre. Des joueurs qui, s'ils finissent par chercher une expérience plus riche, devront se tourner... vers Hex, par exemple.
The color of Magic
Il faut dire que Hex ne joue clairement pas dans la même catégorie que HearthStone. La profondeur de ses mécanismes le rapproche davantage d'un Magic. Eh oui, on en revient toujours au pionnier, qui a établi les bases il y a 20 ans déjà, et avec qui Hex partage beaucoup de points communs. Tenez, prenez les écoles de magie : on en trouve cinq, qui ne sont pas sans rappeler le jeu de Wizards of the Coast. La magie Rubis est basée sur les dégâts directs, et notamment les sorts de feu. L'école Wild est une magie elfique centrée sur les pouvoirs de la nature. La magie bleue, pardon, Saphir, permet de manipuler le temps ou la réalité : pioche, contre-sorts et autres joyeusetés... Enfin, les adeptes du Diamant auront un jeu plutôt basé sur la défense, tandis que ceux du sang (Blood) invoqueront zombies, squelettes et autres créatures nécromantiques pour combattre à leurs côtés. Oui, on frôle le plagiat, même si Magic n'a évidemment pas inventé ces poncifs de la fantasy... Heureusement, nous verrons plus loin que Hex présente aussi quelques différences. En outre, si l'univers paraît classique au premier abord, il possède en fait quelques originalités. Prenant exemple sur WoW, le jeu divise ses huit races en deux factions antagonistes, mais la répartition sort des sentiers battus. Ainsi, les fiers Orcs combattent aux côtés des Humains et des Elfes dans la coalition des Ardents, les « gentils » du jeu ! La quatrième race étant les Coyotles, des canidés anthropomorphes au mode de vie inspiré des Indiens d'Amérique. Côté « méchants » (la faction Underworld), on trouve les Necrotics (des morts-vivants) et les Vennens (des orcs-araignées), mais aussi... les Nains, et une race de lapins maléfiques (les Shin'Hare) ! Voilà qui change un peu des clichés habituels. Cryptozoic a développé un riche lore, ainsi qu'une trame qui sera distillée au fil des sets. L'auteur principal nous a dévoilé quelques parcelles de son travail, qui semble bourré d'humour et de trouvailles. Mais nous les garderons pour nous...
Le dessous des cartes
Côté gameplay, Hex s'appuie sur le socle érigé par Magic : vous jouez un champion doté de 20 points de vie, d'un deck d'au moins 60 cartes, et d'une main de départ de 7 cartes. Les créatures possèdent une valeur d'attaque et des points de vie, ces derniers étant régénérés à la fin de chaque tour, et disposent de capacités comme le vol ou encore Crush, qui n'est autre que le Piétinement de Magic. Et comme dans ce dernier, c'est au joueur attaqué de déclarer les défenseurs. Il y a aussi des artefacts, des permanents (ici appelés « constants ») et des « quick actions », l'équivalent des éphémères, pouvant être jouées pendant le tour de l'adversaire. Bref, on est en terrain connu. Hex se distingue toutefois par sa gestion des ressources. Chaque carte possède deux coûts : un coût en ressources proprement dites, et une valeur de « Threshold » (seuil), qui représente le nombre minimal de ressources d'une couleur donnée requis pour jouer la carte. Les ressources ne dépendent pas de la couleur mais sont dépensées (pour ce tour) en jouant la carte, tandis que les Threshold dépendent d'une couleur mais ne sont pas dépensés. Un exemple : vous avez en jeu 2 ressources Rubis et 2 ressources Wild. Vous pouvez donc jouer une carte avec un coût de 4 et un Threshold de 2 Rubis. En revanche, vous ne pourrez pas jouer une carte ayant un coût de 4 si son Threshold est de 3 Rubis, ou s'il est de 1 Blood. Un peu difficile à appréhender au départ, ce système est en fait plus simple qu'il n'y paraît.
Poser des ressources permet aussi de bénéficier du pouvoir spécial de votre champion, utilisable après un certain nombre de charges. Les développeurs promettent pas moins de 20 champions différents ! Mais la principale originalité de Hex n'est pas là. Le jeu de Cryptozoic se distingue surtout par plusieurs fonctionnalités affectant les cartes elles-mêmes. Certaines peuvent se transformer en d'autres cartes, comme ce moine qui, s'il atteint la transcendance, devient une véritable machine à piocher. D'autres cartes peuvent être serties à l'aide de gemmes aux effets divers. Une gemme Wild pourra par exemple réduire le coût de la carte, alors qu'une gemme Diamant lui octroiera un bonus de vie. Notez que le sertissage n'est pas permanent : vous pourrez changer de gemme entre deux parties. Enfin, toutes les cartes possèdent un « double back », c'est-à-dire un dos supplémentaire où sont stockés des succès, des badges, des statistiques détaillées et une barre d'expérience. Une fois celle-ci remplie (par exemple après avoir infligé X points de dégâts), la carte devient dorée. Pour conclure sur ce chapitre, signalons que Hex propose pour l'instant un premier set PvP de 370 cartes, mais un deuxième set est quasiment bouclé, et un troisième déjà en conception ! Cory Jones souhaite sortir des sets au rythme effréné habituel du genre, soit tous les trois mois.
Une main de fer dans un mulligan de velours
Après cette présentation, j'ai pu m'adonner à quelques parties avec 4 decks préconçus. L'un mettait en scène les Nains et leur insatiable besoin de construire des machines délirantes. Le deck consistait à invoquer plein de petits robots inoffensifs (des 0/1), qui servaient à poser des compteurs sur le plan d'un terrible engin de guerre. Une fois le nombre de compteurs atteint, la machine prenait vie et pouvait alors semer la dévastation dans les rangs ennemis. Un deck plutôt orienté late-game, donc. A l'opposé, celui des Orcs était très agressif, avec des créatures à faible coût possédant la capacité Speed (l'équivalent de la Célérité de Magic). Le deck Shin'Hare était assez fun à jouer : il s'agissait de remplir le champ de bataille avec une horde de lapins 1/1, puis de les booster avec des lapins spéciaux ou des sorts. Voilà qui devrait ravir les amateurs des decks tribaux de Magic ! Enfin, le deck des Humains reposait sur leur capacité d'Inspiration, qui octroie des buffs aux créatures invoquées grâce à celles déjà présentes sur le terrain. Notez que ces 4 decks n'étaient là qu'à titre d'exemples. Hex permet évidemment de construire n'importe quelle combinaison de races et de magies, même si certaines synergies semblent se dégager. Mais si vous voulez mélanger des Humains et des morts-vivants, le tout avec des sorts Wild et Rubis, c'est possible. Il vous faudra juste mettre les ressources adéquates pour espérer jouer des cartes aussi différentes... En plus des classiques duels, Hex propose également le populaire mode Draft, introduit par une récente mise à jour, sans oublier les tournois. Les développeurs pensent déjà streaming et eSport, ce qui augure du bon pour la scène compétitive.
Une économie ouverte et respectueuse
Comme la plupart des jeux de cartes en ligne, Hex est basé sur un modèle économique free-to-play. Deux monnaies virtuelles différentes cohabitent. Le PvE (voir plus bas) fait gagner de l'or, qui peut ensuite être utilisé pour acheter de l'équipement ou des recettes d'artisanat. Il est aussi possible de le jouer dans une machine façon casino, et de remporter des coffres contenant diverses récompenses. Les starters, boosters et tickets d'entrée aux tournois, eux, devront être achetés avec du platine, obtenu après conversion d'argent réel. Le platine servira aussi à faire des transactions entre joueurs dans l'hôtel des ventes. Car oui, Hex permet de faire des échanges entre joueurs ! En ce sens, il s'agit d'un véritable TCG (Trading Card Game), au contraire de HearthStone, pour qui l'appellation est abusive puisqu'il n'y a pas d'aspect « trading » (le terme français JCC n'a pas cette ambiguïté). L'équipe de Cryptozoic annonce d'emblée sa volonté de ne pas contrôler l'économie, mais de laisser celle-ci entre les mains des joueurs. Chaque carte gardant en mémoire son histoire dans le double back, différents exemplaires d'une même carte n'auront pas forcément la même valeur sur le marché. Les boosters de chaque set arrêteront d'être vendus au bout d'un certain temps. Un joueur ayant gardé des boosters d'un ancien set pourra les remettre sur le marché des années plus tard pour profiter de leur rareté. L'essentiel, c'est que vous pourrez obtenir du platine, donc des boosters, en vendant vos cartes inutiles, limitant ainsi le syndrome pay-to-win fréquent dans le genre... Pour les joueurs les plus investis, Hex proposera aussi un abonnement autour de 4 dollars par mois. Ces « membres VIP » se verront offrir régulièrement des boosters, ainsi que l'accès à des tournois spécifiques. Enfin, Cryptozoic a fini de nous convaincre de son respect des joueurs en annonçant des tarifs adaptés aux taux de change des différentes monnaies. Les Européens seront ravis de ne pas se faire enfler par la conversion dollar = euro !
Les promesses du PvE
Je l'ai dit en introduction, Cryptozoic considère son bébé comme un MMOJCC. Vous vous demandez sans doute encore la raison de cette appellation. C'est qu'au-delà de tout l'aspect PvP, Hex possède aussi une composante PvE similaire à ce que l'on trouve dans les jeux de rôle massivement multijoueurs. Des donjons, des raids, des boss, des tables de loot, de l'artisanat, un système de guildes... Enfin ça, c'est sur le papier. Tout cette partie est encore en conception, et, de l'aveu de Cory Jones, sortira « plus tard » (un peu comme le futur mode Aventure de HearthStone...). Tout juste sait-on qu'il y aura une quarantaine de donjons, qu'ils proposeront des expériences variées grâce à des règles spécifiques, sans parler des nombreuses cartes qui seront exclusives à ce mode. Il sera en outre possible de modifier ces cartes grâce à l'équipement récolté, comme on peut déjà en avoir un aperçu sur le site officiel du jeu. Votre champion évoluera aussi grâce à un système de talents. Tout cela semble prometteur, mais nous devrons patienter pour le découvrir de manière plus concrète pour pouvoir en juger. En attendant, l'aspect PvP seul de Hex suffit à en faire un titre digne d'intérêt. Si vous êtes fan du genre, je ne peux que vous conseiller de le suivre de près ! Le jeu devrait entrer en bêta fermée autour du mois de mai, et s'ouvrir progressivement par la suite.
Bien qu'il ne soit qu'au stade d'alpha, Hex : Shards of Fate est déjà séduisant. La richesse de son univers, la profondeur de ses mécanismes, la volonté de ses développeurs d'en faire un free-to-play respectueux des joueurs, sont autant d'atouts jouant en sa faveur. Reste que si le PvP constitue déjà une expérience solide, Cryptozoic a encore tout à prouver concernant l'aspect PvE, dont nous n'avons pour ainsi dire rien vu. Alléchante sur le papier, cette partie du jeu n'arrivera que plus tard, mais c'est bien elle qui fera de Hex plus qu'un simple JCC : un véritable MMO.