Sam Fisher poursuit la reconversion professionnelle entamée avec l'épisode Conviction, achevant sa mutation en un Jack Bauer à la sauce Tom Clancy. Officiellement revenu aux affaires, le grisonnant agent se la joue no limit pour stopper net une nouvelle menace terroriste.
Dans Splinter Cell Conviction, Ubisoft coupait les ponts avec l'héritage de sa série : fini les gadgets, fini l'infiltration pure, on change de voie et on propose un titre qui n'a plus grand-chose à voir avec ses aînés. Avec Blacklist, l'éditeur joue un peu plus sur la nuance, la route empruntée par Conviction se poursuit, mais on sent que Fisher garde un oeil sur le rétro en direction des opus précédents, avec pas mal de clins d'oeil appuyés. De retour au service actif, l'agent prend la tête de la nouvelle unité Echelon 4, composée d'une poignée d'agents : Charlie le jeune hacker, Isaac Briggs le super soldat qui tient tête à papa mais l'admire en secret et cette bonne vieille Grimsdottir avec qui les rapports sont plus que jamais tendus depuis les événements de Conviction. Première nouveauté, tout ce beau monde loge dans un QG mobile volant, le Paladin, un gigantesque avion cargo faisant office de hub depuis lequel on accède aux missions (de campagne, secondaires, coop et multijoueur) et où on pourra se promener pour taper la causette avec notre petit monde et même téléphoner à Sarah. Oui, un peu comme à bord du Normandy dans Mass Effect, mais dans une bien moindre mesure. En sus d’accéder aux missions, c'est également depuis le Paladin que l'on peut personnaliser son équipement et orienter le style de jeu qu'on souhaite adopter.
Garde-robe ultra tech
Chaque mission et action spéciale (collecte de donnée, capture de cibles prioritaires) vous rapportent du cash à dépenser dans diverses améliorations, qu'elles concernent l'avion lui-même (débloquant un radar plus efficace ou la possibilité de personnaliser l'équipement en cours de mission) ou Fisher lui-même. On retrouve, contrairement à Conviction, tout l'arsenal d'Echelon, caméra et émetteur glu, lunettes thermiques ou sonar, arbalète, tazer, une floppée d'armes classiques dont la moindre pièce peut être améliorée et différentes tenues plus ou moins furtives ou protectrices. L'idée étant évidemment d'orienter votre style de jeu, entre furtivité ou agressivité. Si l'infiltration reste la voie la mieux récompensée par le jeu, sachez que vous pouvez très bien vous frayer un chemin à la grenade frag, ce sera d'ailleurs parfois une méthode quasiment incontournable dans la campagne solo. Notez en revanche que certaines missions annexes et coop sont intransigeantes et vous renverront au vestiaire à la moindre détection, une bonne nouvelle pour les amateurs de challenges furtifs qui devront donc s'adresser à Anna Grismdottir pour se mettre à l’épreuve. Les missions coop représentent au passage une excellente plus-value pour le jeu d'Ubisoft Toronto, jouable en ligne ou en local.
Une fois sur le terrain, on retrouve évidemment la liberté offerte par le choix de l'équipement. Chaque mission propose plusieurs approches, le classique chemin direct, la plus frontale soutenue par des routes détournées facilitant la discrétion. On trouvera toujours ça et là quelques gouttières à escalader, des rebords de fenêtres à longer ou des conduits d'aération bien pratiques pour faire des blagues aux gardes ou éviter les chiens de garde capables de vous repérer à des kilomètres. La mécanique Marquer / Exécuter introduite dans Conviction est toujours présente (sauf dans les niveaux de difficulté élevés) permettant de repérer la position des ennemis à l'écran et de réaliser des exécutions instantanées, mortelles ou non, qui font souvent office de bouton panique en cas de boulette et de détection malencontreuse. Un événement assez fréquent provoqué par quelques errances de gameplay surprenantes. On passera sur le fait que Sam ait la curieuse manie de systématiquement se mettre debout après une séance de gymnastique (comme une descente en rappel) pour se concentrer sur l'IA au comportement déroutant. Si elle peut se montrer assez brillante, attirée par un détail comme une porte supposée fermée qu'elle découvre ouverte, ou l'absence d'un garde, elle fait également preuve d'une bêtise à faire peur. Tirer sur un néon au-dessus de deux gardes en pleine conversation interrompra à peine leur flot de paroles, ce qui ne les empêchera pas quelques secondes plus tard, et dans le noir complet, de vous détecter sans plus de raisons. A signaler également quelques approximations dans les commandes : il n'est ainsi pas rare de pinailler pour s'agripper à un rebord si un tuyau se trouve à proximité, surtout si on est pris de court et qu'on cherche à évacuer rapidement le faisceau d'une lampe torche. Le genre de cafouillages qui fait un peu tache, se retrouver accroupi à 10 cm du sol quand on voulait basculer derrière une barrière, c'est le moyen de pourrir sa réputation d'agent auprès des ennemis de la liberté qui vont s'échanger des gifs animés de Sam Failer. Des détails pas vraiment bienvenus dans un AAA de 2013. Dans le même ordre d'idées, il est un peu décevant de constater que changer de zone permet (trop souvent) d'échapper à des gardes alertés et donc de faire retomber le niveau de défense, sauf dans certains niveaux comprenant des systèmes de sécurité plus élaborés qui s’activent en cas d'alarme.
Infiltration rime avec exécution
Autre étrangeté : les checkpoints curieusement placés qui peuvent tout à fait vous faire réapparaître dans un lieu où vous n'avez jamais mis les pieds et qui sont surtout trop espacés pour les joueurs purement furtifs qui mettront un temps fou à parcourir de courtes distances et devront donc se retaper de longues séquences en cas d'échec. En revanche, si on aime le challenge, on appréciera l'aspect parfois aléatoire du placement des gardes que vous ne trouverez pas toujours au même point lors d'un respawn, même si cela complique la progression essai-erreur qui va souvent de pair avec l'infiltration totale. Une approche qui, si elle est possible, n'est pas vraiment celle qui se trouve être la plus mise en avant par le level design tendant à inciter le joueur à user de méthodes plus spectaculaires, à enchaîner les neutralisations et exécutions tout en profitant de l'arsenal de Fisher, comme les mines chocs ou ces bonnes vieilles caméras glu, idéales pour attirer des gardes et les endormir au gaz. D'une certaine façon, Blacklist est en effet l'opus qui propose le plus de possibilités d'action en théorie, mais dans la pratique, l'infiltration pure (sans aucun contact) que l'on aimerait mettre en oeuvre s'avère souvent trop frustrante et finit par céder la place à une infiltration plus « fun » consistant à dégommer le plus de monde possible sans se faire choper. C'est assez clairement de cette façon que l'on profite le plus du titre et du plaisir qu'il a à offrir. Une fois encore, la rupture avec les premiers épisodes est consommée.
Des hauts et des bas
Plus cinématographique qu'autrefois, Blacklist tente aussi de renforcer sa narration avec divers artifices et un scénario qui se voudrait percutant. Hélas, le résultat n'est pas des plus convaincants. L'intrigue ne manque pourtant pas d'un certain intérêt malgré un côté un poil déjà-vu. Un mystérieux groupe terroriste nommé les Ingénieurs menace de frapper diverses cibles américaines si la Maison Blanche refuse de retirer ses troupes de tous les pays dans lesquels elles sont présentes, le tout en exposant un peu trop clairement ses intentions et ses objectifs dans cette sorte de méta-attentat géant. Bien évidemment, les Ingénieurs cachent un autre but... mais le temps d'en arriver à percer leurs intentions, on a déjà plus ou moins lâché l'affaire. Trop poussive, la narration est surtout plombée par des dialogues et un doublage mollassons, manquant souvent de crédibilité et n'hésitant pas à sombrer dans les inévitables clichés et rebondissements attendus. La mise en scène n'a jamais été un point fort des jeux Tom Clancy, et ce n'est malheureusement pas cette fois que les choses vont s'arranger. C'est bien dommage dans la mesure où cette histoire "technoterro" a l'avantage de nous faire voir du pays, avec quelques niveaux franchement enthousiasmants, dont on ne peut malheureusement pas trop en dire pour cause de spoiler d'embargo. Des moments de grandeur peut-être un peu dilués au milieu d'autres séquences trop génériques qui affaiblissent le rythme, voire un ou deux passages carrément dispensables comme (SPOILER) la prise de contrôle de Briggs en vue subjective (SPOILER). Une progression en dents de scie certes, mais la campagne solo n'en reste pas moins agréable à traverser. Notez d'ailleurs qu'il vous faudra entre 8 et 10 heures pour en voir le bout.
Du contenu à gogo
La bonne nouvelle, c'est que le contenu ne manque pas pour compléter le solo. On a déjà évoqué les missions coop toujours aussi fun à jouer avec un pote avec qui l'entente se doit d'être parfaite, ou encore des missions coop ou solo proposées imposant zéro détection, il manquait au tableau le grand retour du mode Spies Vs Mercs apparu dans Pandora Tomorrow puis l'excellent Chaos Theory mais rangé au placard depuis trop longtemps. On le retrouve sous deux formes, la classique et la moderne. La formule n'a pas changé : deux espions affrontent deux mercenaires avec deux gameplays radicalement opposés, les deux premiers se jouent à la Fisher, comptant sur l'agilité et les gadgets, les deux autres en vue subjective avec armes lourdes et force brute, chaque équipe étant dotée d'un matériel calqué sur les faiblesses et points forts du camp adverse. La version moderne, pour sa part, double le nombre de joueurs et passe en 4 contre 4 avec un plus large choix dans le matériel embarqué en cours de partie. Cette formule n'ayant jamais vraiment été reprise depuis Chaos Theory, elle permet à Blacklist de s'offrir un multijoueur unique et diablement efficace qui mise tout sur la coordination entre les équipiers et la mise en place d'une solide stratégie et une connaissance de son équipement et des dangers qui vont avec. Un sacré atout pour le titre. En revanche, on s'interroge encore sur la pertinence d'avoir intégré une poignée de missions dont le seul et unique but est de survivre à des vagues d'ennemis... Bon, on se contentera de faire comme si elles n'existaient pas, histoire de rester sur un bon point.
Points forts
- La variété des environnements
- Certaines missions franchement enthousiasmantes
- Un gameplay plus ouvert
- L'infiltration dynamique plutôt fun
- Le multi et le coop qui font le boulot
Points faibles
- Des passages dispensables en solo
- La narration poussive, le scénario convenu et les doublages peu convaincants (sauf in-game)
- Quelques mécaniques rouillées côté prise en main
- L'IA qui ne sait plus où elle habite
Splinter Cell Blacklist tente un grand écart périlleux, s'efforçant de faire le pont entre un Chaos Theory pur jus et l'approche plus dynamique et action de Conviction, dans un essai de séduction de l'amateur d'infiltration pure mais aussi d'approche plus bourrine, en quête d'un effet best of. Au final, c'est pourtant la voie du milieu qui s'avère être la plus plaisante et surtout largement favorisée par le level design, celle qui consiste à dégommer le plus de monde en faisant le moins de remous possible, l'infiltration dynamique et « au contact » à la Jason Bourne, plus fun certes, mais aussi moins profonde. Par ailleurs, on recommande chaudement de ne pas passer à côté des missions coop et du mode Versus de retour après une longue et regrettable absence.