Avant Fumito Ueda (Ico, Shadow of the Colossus), il y a eu Panzer Dragoon. C'est par un hommage aussi radical qu'il est naturel de commencer notre rétrospective de cette série phare de la Saturn, tant les deux œuvres ont des choses en commun, tout en ayant chacune leur propre identité. Dès le premier opus, la Team Andromeda parvint à enchanter le monde du jeu vidéo avec un rail-shooter où action frénétique et univers poétique vivent en harmonie. Notre rétrospective – qui s'adresse aussi bien à ceux connaissant déjà la série qu'aux autres, curieux de la découvrir – nous ramène plusieurs milliers d'années dans le futur, alors que l'humanité a perdu sa toute puissance et lutte désormais pour sa survie. “Le destin du monde repose sur les ailes d'un dragon bleu cuirassé...”
Au départ, Panzer Dragoon ne semble pourtant qu'une démo graphique à la sortie de la 32-bit de Sega, un shoot'em up comme la compagnie sait déjà en faire depuis longtemps (After Burner, Space Harrier...), mais en véritable 3D cette fois. Menée par le jeune visionnaire Yukio Futatsugi, la Team Andromeda est composée de développeurs passionnés du genre issus de la Mega Drive et de l'arcade. A l'aube de la cinquième génération de consoles, le choix est cependant risqué : le rail-shooter est par définition une catégorie de jeu où la liberté de mouvement est limitée, et par conséquent susceptible de frustrer le joueur avide des nouveautés offertes par la 3D. Panzer Dragoon, à grands coups d'innovations de jeu et de mise en scène, évitera cet écueil en réalisant un détour inattendu.
Mais Panzer Dragoon, c'est d'abord un univers fantasy sans équivalent dans le jeu vidéo, un univers fait de terres désolées et des ruines d'une humanité au bord de l'extinction. Les bio-armes, des créatures génétiques mises au point par les Anciens, ont fini par décimer les hommes aujourd'hui dispersés parmi quelques tribus et nations. Ces véritables ruines vivantes menacent encore à tout moment d'achever l'humanité, mais de ce passé surgit en même temps l'espoir : une ancienne tour est découverte par la tribu des Impériaux, qui utilisent alors les technologies qui s'y trouvent pour chasser les bio-armes et commencer la reconstruction d'une civilisation... Bien sûr, la puissance acquise par l'Empire finit par accroître ses ambitions, jusqu'à s'étendre à la conquête du monde et la victoire sur les autres tribus. La mystérieuse Tour, sans plus d'explications, montre alors des signes d'activité... C'est ici qu'apparaît notre personnage et que démarre la superbe cinématique d'introduction du jeu : longue de plus de sept minutes, celle-ci marque à jamais les joueurs tant sa narration minimaliste est en accord avec l'univers de Panzer Dragoon. Il ne faudra que très peu de dialogues pour comprendre que notre personnage (le manuel préfère à juste titre ne pas donner son nom) choisit d'accepter un destin qui le dépasse, quand il se retrouve à contempler le fier combat entre le Dragon Bleu et le Dragon Noir, et quand celui-ci blesse mortellement le Sky Rider, cavalier du Dragon Bleu. Le Sky Rider et sa monture s'approchent alors doucement du jeune homme, afin de lui demander de prendre le relais et de partir à la poursuite du Dragon Noir. “Ne... le laissez pas retourner à la Tour...” dit le cavalier, “... mon dragon... connaît le chemin...”
A partir de ce moment et de cette phrase, le lien qui va unir notre personnage et le dragon bleu est l'une des grandes forces de Panzer Dragoon. Le rail-shooter prend tout son sens dans la mesure où seul le dragon connaît le chemin, mais a en même temps besoin d'un cavalier pour survivre aux assauts multiples qui parsèment ce chemin. Nos héros sont ensemble et seuls à la fois, unis contre le reste du monde par un destin fragile. Le rôle du jeune homme est d'autant plus crucial que les ennemis ne se contenteront pas d'attaquer de front comme c'est le plus souvent le cas dans ce genre de jeux. On tient là l'originalité principale du gameplay : la possibilité de tourner la caméra à 360° et d'engager les combats tout autour du dragon. A l'aide du radar situé en haut à droite de l'écran, il faut sans cesse surveiller les quatre zones dans lesquelles les ennemis peuvent surgir, s'adapter aux changements de direction du dragon, se décider en un éclair sur la meilleure méthode d'attaque et enfin ajuster en plein vol le réticule de visée ! Panzer Dragoon reste toutefois simple à prendre en main puisqu'il n'y a que deux armes entre lesquelles choisir : le pistolet laser laissé par le Sky Rider (plutôt faible, mais une bonne cadence de tir et donc une bonne précision compense ce manque de puissance) ou les lasers autoguidés du dragon bleu (plus puissants mais forcément plus lents et limités à huit cibles à la fois au maximum). Le passage de l'une à l'autre s'effectue juste en maintenant le bouton de tir enfoncé, ce qui fait basculer le réticule de visée en mode lock-on — un système simple, efficace et surtout très immersif.
En dehors de la subtilité que pourra apporter et exiger le léger aspect scoring, Panzer Dragoon offre tout de même quelques éléments de gameplay en plus de ces deux armes. L'esquive n'est ainsi pas absente du jeu, puisqu'il est possible de modifier légèrement la course de son dragon en même temps que celle du viseur, afin par exemple de diminuer son altitude pour éviter un obstacle, ou de leurrer les projectiles ennemis avant de s'en écarter (il n'est d'ailleurs pas possible de détruire tous les projectiles pour s'en protéger). À cet endroit on pourra regretter que l'esquive ne puisse être effectuée que si la caméra affiche ce qui est devant le dragon, mais cette limite n'est vraiment gênante qu'à une occasion et encore. Il existe également plusieurs vues différentes, disponibles en plein jeu, selon que l'on préfère éloigner la caméra du dragon ou au contraire se rapprocher d'une vue subjective. Panzer Dragoon premier du nom propose aussi les nombreux réglages habituels à la série (à travers des codes cette fois), nous laissant recommencer l'aventure avec de nouveaux défis ou avantages, mais ce que nous retiendrons ce sont les quelques techniques secrètes que ne mentionne pas le manuel (tiens, comme Shadow of the Colossus...). La première consiste tout simplement à appuyer simultanément sur les gâchettes L et R pour effectuer une rotation à 180° lorsque la caméra se situe à l'avant ou à l'arrière du dragon (la technique ne fonctionne pas sur les côtés). La seconde est une esquive rapide, obtenue en appuyant sur une direction, puis en réappuyant rapidement sur le même bouton et en le maintenant. La troisième et dernière n'est accessible que si votre barre d'énergie est dans le rouge, et permet justement de tenter une manoœuvre pour s'en sortir : en appuyant deux fois rapidement sur l'une des diagonales de la croix directionnelle, le dragon bleu fait un tonneau pendant lequel vous pouvez locker automatiquement tous les ennemis présents vers l'avant !
Et si toutes ces techniques ne sont pas indispensables pour s'en sortir, loin s'en faut, elles ont le mérite d'atténuer quelque peu la difficulté parfois punitive du soft. Il y a certes trois niveaux de difficulté mais le mode Easy s'arrête à l'épisode 4, et le mode Normal, s'il permet de le finir, ne donne pas non plus accès à la totalité du jeu (pas de seconde forme pour le boss final notamment). Notre version européenne (ou américaine d'ailleurs) se montre en plus très avare en "continue", et il vaudra mieux apprendre à en gagner en atteignant de bons pourcentages d'ennemis vaincus pour espérer tenir jusqu'au bout (une tâche rendue excessivement difficile lors de l'épisode 2 à cause de petites retouches de gameplay dans ces versions occidentales, les 100% étant même devenus quasi inaccessibles malheureusement). Avec de la persévérance, et surtout une bonne mémorisation de l'ordre d'apparition des vagues d'adversaires, les choses deviennent toutefois faisables et Panzer Dragoon a le bon goût de faire légèrement redescendre la difficulté après l'épreuve que constitue le cinquième boss... On se replonge alors dans l'aventure avec bon cœur, pour enfin rejoindre un boss final digne de ce nom !
Car outre son gameplay hypnotique à 360°, la mise en scène – et en rythme – du jeu est vraiment l'autre point fort de la série. L'aspect purement technique en revanche, si impressionnant à l'aube de la 3D, n'est plus tellement ce qui retient notre attention. Il faut dire que les graphismes et l'animation (20 fps...) souffrent du manque d'expérience qu'avait à l'époque la Team Andromeda sur le hardware de la Saturn, réputée pour sa grande complexité de programmation. Non, ce que découvriront ceux qui sauront braver ces éventuels défauts, c'est surtout l'un des premiers et immenses exemples de réalisation “cinématographique” dans un jeu vidéo. Les caméras et la profondeur de la 3D permettent au rail-shooter de prendre aussi toute sa dimension, que ce soit pour nous faire voyager, doucement, au-dessus des eaux, ou pour nous faire vibrer en traversant à toute vitesse les étroits couloirs d'une galerie souterraine... Avec pour appui des bruitages convaincants (ah, le cri presque métallique des dragons !) et de sublimes musiques orchestrales ou synthétiques accompagnant à la seconde près l'évolution du niveau, la traversée de l'univers Panzer Dragoon est un véritable ravissement. Il s'agit typiquement du jeu où chacun aura sa séquence favorite, mais où tous reconnaîtront la qualité des autres passages ; et même si on peut juger certains épisodes un peu en-deçà (le troisième ?), c'est là plus de la gourmandise qu'un réel reproche. Alors, si vous n'en pouvez plus et souhaitez découvrir la série, sautez allègremment le prochain paragraphe où nous revenons avec amour sur le premier épisode, et consultez plutôt notre petite rubrique dédiée à la meilleure manière d'entrer dans la fabuleuse série Panzer Dragoon.
Nous ne sommes pas certains que le jeu vidéo soit un art, un sport, ou quelque chose d'autre. Nous ne sommes pas certains que le jeu vidéo redéfinisse ce qu'est l'art lui-même. Nous ne sommes pas certains que le jeu vidéo appelle à une réévaluation de la pratique du jeu en tant que telle. Une chose est sûre par contre, c'est que tous ceux ayant fait l'effort de développer une certaine sensibilité ont encore en mémoire l'épisode 1 de Panzer Dragoon, véritable poème vidéoludique. Ce n'est pas avec nostalgie mais bien avec amour que l'on s'en souvient. L'envol majestueux de notre dragon... Les cris de joie du violon... Et le cavalier, levant bien haut son arme, décidé à partir à l'aventure ! En toute discrétion, ce premier niveau nous apprend les rudiments du jeu, selon l'apparition de quelques groupes de créatures tout juste assez menaçantes et imprévisibles. Autour de nous les ruines d'une ancienne cité, traces d'une grande beauté désormais laissée à la mer... Soudain de drôles de poissons volants, étranges et amusants, surgissent des eaux et vont à notre rencontre. Ils n'attaquent pas ? Peut-on encore les contempler ou faut-il s'en méfier ? Ils nous tournent autour, regardons-les d'un peu plus près ! ... Nous avançons alors parmi des ruines plus imposantes, vestiges d'un grand quartier peut-être. Les murs brisés indiquent notre chemin. Une note de respect pour ce passé destructeur mais grandiose se dégage, quand pendant ce temps la flûte, joueuse, repart de plus belle et nous enjoint à poursuivre l'aventure ! Le thème musical, intitulé “Flight”, tient à la perfection cet équilibre si rare entre enthousiasme héroïque et abnégation tragique. Nous continuons notre envol, admirant et esquivant d'immenses fleurs rouges posées sur cette mer bleue et blanche. Les eaux ont ceci d'étrange qu'elles suivent nos propres changements de direction, remarquons-nous enfin. On a l'impression de survoler une mer de nuages, un deuxième ciel...
Nos conseils pour (re)découvrir Panzer Dragoon
Avant toute chose, précisons que notre rubrique se concentre sur la version Saturn du jeu, non seulement parce qu'elle est celle d'origine, mais aussi parce qu'on peut la considérer meilleure que les autres à plusieurs titres. Il est de toute manière indispensable d'obtenir une console Saturn pour découvrir la série, puisque le deuxième et le troisième opus ne sont pas disponibles ailleurs (sans compter qu'à l'heure actuelle l'émulation de la console progresse mais n'est pas encore au point). La bonne nouvelle maintenant, c'est que Panzer Dragoon est l'un des rares titres Saturn optimisés lors de leur conversion européenne (le jeu défile à la bonne vitesse même en 50Hz). Il n'est pas donc pas nécessaire de passer par l'import ou par le bricolage pour s'offrir un premier contact avec le jeu. La chose étant dite, il reste intéressant de se procurer la version japonaise, que ce soit pour la pochette dessinée par Moebius (dont la bande dessinée Arzach a inspiré l'univers de Panzer Dragoon) ou pour les quelques différences en termes de difficulté déjà évoquées plus haut (plus de "continues" et un épisode 2 mieux tenu). Il faut toutefois se rappeler que les rares textes seront bien sûr en japonais (les quelques voix entendues sont de toute façon d'un langage inventé, le panzerese, peu importe la version). Le "bidouillage" a lui aussi son intérêt et pas des moindres, puisqu'il est possible de couper la partie basse de l'écran, et donc de faire disparaître la barre de vie, en forçant la version européenne à passer en PAL 60Hz. Nous vous assurons que le jeu reste entièrement jouable dans ces conditions car même si le changement peut paraître anecdotique, c'est toute l'ambiance du jeu et notre immersion qui y gagne (les opus suivants implanteront d'ailleurs une option afin de désactiver le hud et voler à l'instinct).
Un dernier mot enfin sur les accessoires, Panzer Dragoon peut se jouer à la manette classique, au stick 3D, ou au Mission Stick, mais c'est la bonne vieille manette Saturn classique qui a notre préférence. Le Mission Stick peut donner quelques sensations très arcade (lors de l'épisode 4 par exemple) en accordant plus d'importance à l'esquive au prix d'une moindre précision, mais ces différences ne nous ont pas semblé décisives. Il faut en plus préciser que notre test de cet accessoire s'est fait sur deux exemplaires et que chacun provoquait des tremblements de caméra légers mais gênants, comme si le stick était trop sensible, alors que ce problème ne se retrouve pas lors de notre test sur Panzer Dragoon II Zwei. De tels résultats laissent à penser que les quelques témoignages très enthousiasmes concernant cet accessoire (sur Panzer Dragoon) font une fois de plus preuve de beaucoup d'indulgence ou d'aveuglement, mais nous leur laissons tout de même le bénéfice du doute et ne vous déconseillons pas, si vous en avez l'occasion, d'essayer malgré tout le Mission Stick. Avec de l'entraînement, vous pourriez même profiter de son maniement analogique, permettant de contrôler la vitesse de déplacement du viseur en fonction de la situation. Ce ne sera de toute façon pas une si mauvaise affaire, puisqu'on le retrouvera mieux employé et bien plus efficace dans l'opus suivant !
Points forts
- L'univers fabuleux de ''Panzer Dragoon'' (design, narration, scénario), avec déjà cette utilisation formidable de la palette de couleurs Saturn.
- Une alliance forte rarement égalée entre action et contemplation.
- A l'époque, une claque graphique en 3D !
- L'ambiance sonore, simplement inoubliable.
- La perfection est atteinte lors du 1er niveau.
Points faibles
- Un degré de difficulté qui peut exaspérer (moins punitif en version japonaise) et qui compense la plus faible durée de vie de la série (toujours correcte pour le genre).
- A certains égards (graphismes, animation) le jeu montre clairement son âge.
- L'intrusion du personnage à l'écran lorsqu'il prend des dégâts en vue à la 1ère personne.
- Les niveaux 3 et 5, un peu décevants par rapport au reste du jeu ?
- Aucune option permettant de masquer le hud (notamment la grande barre de vie en bas)...
La marque des grandes œuvres, c'est de nous emmener ailleurs que là où nous voulons aller, pour nous faire découvrir des choses encore plus incroyables. Panzer Dragoon choisit d'aborder la 3D avec un rail-shooter, la catégorie de jeu linéaire par excellence, et pourtant le sentiment de partir à l'aventure est là. La Team Andromeda parvient à nous faire oublier les routines du shoot'em up en mettant l'accent sur l'univers à la fois désolé et vivant de Panzer Dragoon, que ce soit grâce à son design unique, son scénario saisissant ou son gameplay frénétique et hypnotique. Avec le recul des années, il faut certes reconnaître que les opus suivants sauront, chacun à leur manière, dépasser celui-ci. Il y a cependant une beauté intemporelle chez ce Panzer Dragoon un peu branlant, et au bout du compte, même l'animation archaïque du titre finit par nous paraître naturelle dans ce monde si poussiéreux, si minéral, presque fossilisé mais toujours dangereux. Et puis bon, quand même la musique de l'écran-titre est somptueuse...