Principalement connu pour sa série Shin Megami Tensei et ses dérivés, Atlus propose de temps à autre des jeux originaux et indépendants. Tel ce Radiant Historia, RPG ambitieux et passionnant comme on n'en fait que trop peu.
Une affaire de chroniques
Le continent de Vainqueur est affligé de deux fléaux majeurs : la désertification inexplicable qui le ravage depuis des siècles et les conflits armés qui opposent ses trois principales nations. C'est à Alistel, jeune théocratie belliqueuse, que débute le jeu. On y suit les pas de Stocke, un agent des Services Secrets particulièrement doué, mais solitaire. Pour mener à bien une mission a priori banale, son supérieur, le très mystérieux Heiss, lui confie un livre étrange, la "White Chronicle" ou Chronique Blanche, et lui adjoint deux compagnons, Raynie et Marco. Seulement, les choses tournent mal : ces derniers sont tués et Stocke, grièvement blessé, ne parvient à échapper au même sort que grâce à l'intervention des Gardiens d'Historia. Il s'agit d'une sorte de dimension parallèle, à laquelle donne accès la "White Chronicle" et permettant à son possesseur de se déplacer dans le temps, pour réécrire les événements vécus par celui-ci et, ce faisant, de réécrire l'Histoire elle-même. Stocke se voit ainsi offrir la possibilité de corriger ses erreurs et, peut-être, d'éviter à tous le sort funeste qui se profile.
Une bonne histoire et de bons personnages, éléments essentiels d'un bon RPG
L'une des forces de Radiant Historia réside dans son scénario mature et complexe, qui dévoile avec justesse ses richesses au fur et à mesure de son avancée. La trame principale ne connaît que peu de temps morts ou baisses de régime. Surtout, tout se tient du début à la fin, sans fausse note ni incohérence. S'il se révèle parfois un peu bavard, le titre d'Atlus n'en est pas moins passionnant et mêle habilement les enjeux collectifs et individuels, sans privilégier les uns au détriment des autres. Politique, guerre, religion, entente entre les espèces, trahisons, dévouement, amitié, pertes et belles rencontres, tout y est, mais traité sans manichéisme ou angélisme. D'un banal conflit entre nations, l'histoire se révèle de plus en plus ambitieuse, inéluctable, cruelle et tragique. Et les excellents personnages qui la peuplent ne font que renforcer sa qualité. Au premier rang desquels se trouve Stocke, un héros particulièrement marquant. Si le tout début du jeu laisse craindre un énième protagoniste poseur et peu bavard, on s'aperçoit rapidement qu'il n'en est rien. Stocke ne parle pas beaucoup de prime abord, certes, mais uniquement car il ne le fait que lorsqu'il a quelque chose d'utile ou d'intelligent à dire, et là, il ne se prive pas. Notre héros est loin d'être un imbécile : intelligent, posé, réfléchi et rationnel, il semble être la personne idéale pour trouver les solutions nécessaires pour inverser le cours de l'Histoire. Froid uniquement en apparence, Stocke est attaché à ses principes tout autant qu'à ses proches, ce qui lui permet de prendre des décisions à la fois logiques et humaines. Jamais manichéen ou cliché, le personnage principal de Radiant Historia est très réussi. Et en plus, il a vraiment la classe, ce qui ne gâche rien. Les autres personnages, membres de l'équipe, alliés ou ennemis, du mystérieux Heiss à l'émouvante Aht, en passant par les traîtres Selvan et Dias, sont également bien travaillés, jouant habilement avec les clichés du genre, retournant les premières impressions du joueur au fil du jeu et se révélant tous passionnants. A l'exception notable de la reine Protea, seul protagoniste raté et assez caricatural, qui détonne d'autant dans cette galerie jusque-là sans fausse note.
Allers et retours temporels
En ce qui concerne le voyage dans le temps, il ne s'agit pas d'un simple artifice ou prétexte, mais bien de l'armature même du jeu. Tout le système de celui-ci repose sur les incessants va-et-vient entre passé et présent, mais également entre les deux lignes temporelles ouvertes par un choix crucial de Stocke au début du jeu. On peut ainsi naviguer entre l'Histoire dite "standard" et l'Histoire alternative. Le jeu évite habilement les problèmes de paradoxes temporels ou autres incohérences liées au genre, en partant du postulat que Historia n'est pas simplement un moyen de voyager dans le temps, mais une histoire. Divisée en paragraphes et en chapitres, les utilisateurs de Chroniques peuvent la réécrire à leur guise en faisant les bons choix, tout en gardant une trace de ce qui existait avant. En agissant dans une ligne temporelle, Stocke va ainsi également agir par ricochet dans l'autre, puisqu'elles sont liées. Ces voyages incessants entre passé et présent et entre deux réalités permettent de franchir au fur et à mesure les obstacles qui se dressent sur le chemin de notre héros, bien qu'ils puissent parfois rendre l'exploration un peu redondante. Dans un premier temps assez simples à résoudre, les énigmes se révèlent de plus en plus complexes, d'autant que les bons choix à faire ne sont pas forcément les plus évidents ou logiques. Les échecs sont fréquents. Pas de panique cependant, la "White Chronicle" vous permettant de recommencer rapidement et de corriger le tir. A cela s'ajoute de nombreuses quêtes annexes, parfois bien tordues, et dont plusieurs sont nécessaires pour obtenir la "bonne" fin, parmi celles proposées. Comptez au moins 45 heures pour venir à bout du jeu, dont la durée de vie est donc tout à fait honorable.
Le tour par tour tactique
Au niveau du gameplay, on distingue, comme d'habitude dans un RPG, l'exploration et les combats. La première est liée au choix de narration et se voit un peu bridée. On ne peut réellement explorer librement le continent de Vainqueur, qui n'est d'ailleurs pas très vaste, sauf à faire des bonds dans le temps d'un événement à un autre, et donc d'une zone d'exploration à une autre. Si, sur le papier, cela peut sembler frustrant, cela passe cependant mieux en jouant, dans la mesure où le déroulement de l'histoire le justifie totalement. Stocke peut également interagir avec son environnement en débloquant des capacités au fur et à mesure que le jeu avance : déplacer des objets, en faire sauter d'autres ou en révéler des cachés, etc. Par ailleurs, les ennemis sont visibles à l'écran, ce qui permet de les contourner, de se dissimuler ou même de les assommer pour éviter le combat ou le débuter dans de bonnes conditions. Le combat, parlons-en, car il s'agit d'un autre point fort du jeu. A première vue, on est dans du tour par tour classique, avec l'équipe à droite de l'écran et les ennemis à gauche. Cependant, plutôt que d'attaquer bêtement chacun son tour, les personnages peuvent intervertir leur tour d'action les uns avec les autres ou avec ceux des ennemis, quitte à se prendre des coups, pour former des chaînes de combos. Plus le combo est long, plus les effets de chaque action sont puissants. Et, pour faire beaucoup de dégâts, il est préférable d'utiliser les capacités des personnages, plus efficaces que l'attaque lambda, ce qui nécessite de bien gérer son stock d'objets de récupération de mana. Il faut également jouer sur la position des ennemis, disposés sur une aire en damiers de trois cases sur trois et qui en occupent une ou plusieurs selon leur taille. Les techniques des personnages permettent de les regrouper pour leur asséner une attaque commune puissante, de les écarter pour détruire une formation ou de les pousser vers les très efficaces pièges posés par Aht. Inutile ici de faire du leveling intensif : le choix de l'équipe adéquate et d'une bonne tactique permet de se sortir de quasiment tous les combats. Et comme la tactique change à chaque adversaire, on ne s'ennuie pas une seconde.
Une réalisation en demi-teinte
Réalisé en 2D, Radiant Historia ne brille malheureusement pas par ses qualités techniques. Le character design est magnifique et les graphismes jolis et colorés. Cependant, la réalisation est datée et très en dessous de titres comme Suikoden Tierkreis ou Avalon Code. Si les villes sont dans l'ensemble assez réussies, d'autres environnements sont plus vides et ternes et l'animation des personnages est sommaire. C'est d'autant plus dommage que cela relève manifestement plus d'un manque de moyens que d'ambition. Par ailleurs, si le jeu ne comporte aucune scène animée ni dialogues doublés, il bénéficie cependant d'une bande-son absolument magnifique, composée par une Yoko Shimomura à son meilleur. Dès les premières secondes de l'écran titre, le joueur est plongé dans l'ambiance tragique et mélancolique du soft d'Atlus. Le thème de combat, également, à la fois lyrique, épique et un peu triste, retranscrit bien à lui seul l'atmosphère très particulière du jeu. On a rarement entendu thème de combat plus réussi. Tous les morceaux sont à l'avenant. Il est dommage, cependant, qu'ils soient si peu nombreux, une vingtaine à peine. Ils sont néanmoins tellement réussis que l'on se console rapidement de ne pas en avoir plus à écouter. D'ailleurs, tous ces petits défauts de réalisation, s'ils l'empêchent d'être un jeu parfait, ne parviennent pas à nuire à l'indéniable qualité de Radiant Historia, qui se hisse sans difficulté au rang des références du RPG.
Points forts
- Un excellent scénario
- Stocke
- Une utilisation originale et intelligente du voyage dans le temps
- Le système de combat mêlant tour par tour et tactique
- Le character design magnifique
- Les musiques de Yoko Shimomura
Points faibles
- La réalisation un peu datée
- Une exploration limitée et parfois redondante
- Le stylet mal exploité
- Une BO trop courte
- Pas de localisation européenne
Malgré ses défauts, Radiant Historia est un excellent RPG, doté d'un scénario en béton armé, d'un héros charismatique au possible ou encore de musiques envoûtantes. Son utilisation inédite du thème du voyage dans le temps, ainsi que son système de combat bien pensé, en font un titre original et ambitieux, à classer parmi les incontournables que tout amateur du genre se doit de posséder. Rien de moins.