Après un shoot'em up original situé au cœur des océans (Vacant Ark), le développeur indépendant japonais Buster nous propose Kitan Iwanaga, disponible gratuitement sur PC lui aussi. Construisant son gameplay à partir des chefs-d'œuvre du studio Treasure, ce jeu de tir façon arcade (pensez Cabal ou Wild Guns) se montre-t-il à la hauteur de ses modèles ? La réponse est non, puisqu'il ne s'agit que d'un très bon jeu. Dommage !
Autant se le dire tout de suite, connaître le scénario est ici presque optionnel, voire déconseillé, lorsque vous découvrez le jeu pour la première fois. Il faut comprendre par là que l'histoire est dispersée entre les textes et illustrations du manuel, et le jeu lui-même, où tout passe par les images et les sons (sans recours aux textes ni aux voix). Nous vous conseillons de vous en tenir d'abord seulement au jeu car le résultat colle parfaitement à l'atmosphère voulue, mystérieuse et lugubre... Avec ses différents modes de jeu ayant chacun une fin particulière, Iwanaga risque de toute façon de vous inciter à plusieurs parties. Libre à vous dans tous les cas de sauter ou non le petit paragraphe qui suit, où nous revenons plus en détail sur le scénario.
Le récit de Kitan Iwanaga puise dans l'ancien livre Nihon Shoki, en partant du mythe des sœurs Konohana Sakuya Hime et Iwanaga Hime, filles du puissant Oyamatsumi, dieu des montagnes, de la mer et de la guerre. Ce mythe raconte que Ninigi, petit-fils de la déesse Amaterasu, choisit de s'unir à Konohana, la belle déesse des fleurs. Iwanaga, déesse des roches éternelles, fut ainsi rejetée pour sa laideur. Et ce serait à cause de (ou grâce à) ce choix que l'humanité se trouve marquée par la délicatesse des fleurs, alors qu'elle aurait pu vivre avec l'endurance de la roche... L'histoire du jeu Kitan Iwanaga est quant à elle une variation autour du mythe, où la sœur méprisée connaît une descendance. Ce récit tourne autour d'un jeune couple à la croisée des mondes, entre les hommes, les dieux et les morts. Leur union sacrilège transforme le garçon en une terrible bête, capable de lutter contre le Vieil Ordre, né de la lignée d'Iwanaga... On admettra volontiers que tout ceci peut sembler un peu confus ou excessif pour un jeu d'action, mais dans la mesure où la narration joue la carte du mystère sans nous noyer sous des tonnes de détails ou de dialogues, l'effort est très louable.
Une ambiance crépusculaire
Avec ou sans connaissance du scénario donc, Kitan Iwanaga n'a aucun mal à nous absorber dans son univers à la beauté sombre. La qualité des sprites de Vacant Ark est à nouveau de mise ici, mais ce qui fascine désormais, ce sont surtout les décors, bien plus jolis et variés dans Iwanaga. On en reste certes à des arrière-plans qui se répètent jusqu'au passage à une autre zone, mais ces changements de zones sont assez fréquents et bien fichus. Au fur et à mesure que l'on progresse, notre émerveillement teinté d'angoisse se trouble, arpentant des lieux de moins en moins identifiables, mais toujours autant peuplés de créatures démoniaques qui veulent notre peau... Les petits ennemis apparaissant entre deux boss sont encore une fois souvent les mêmes, mais leur design et leur intégration dans le gameplay permettent d'éviter l'écueil présent dans Vacant Ark. C'est plutôt notre protagoniste qui manque ici de charisme, non pas tellement à cause de son design, discutable, mais à cause d'une animation trop raide, plus mécanique que minérale (bien qu'elle ne pose aucun souci de maniabilité, heureusement). Un autre petit détail fait aussi tache : lorsqu'on vise vers la droite, par exemple, le fait de déplacer son viseur un peu vers la gauche fait changer notre personnage de côté, comme s'il visait vers la gauche donc... De petits défauts que l'on aura tendance à supporter plus facilement en se laissant bercer par les musiques, ni exceptionnelles ni mauvaises, mais tout juste discrètes et envoûtantes pour servir au mieux l'ambiance du jeu.
Du bon usage de la surpuissance
Maintenant que le décor est planté, venons-en à l'essentiel, le gameplay. On l'a dit, Kitan Iwanaga pioche dans plusieurs classiques du studio Treasure, tels que Alien Soldier, Sin and Punishment, ou même Radiant Silvergun et Ikaruga par petites touches. Notre personnage peut ainsi viser partout à l'écran, indépendamment de ses déplacements, grâce au réticule de visée, utiliser une épée au corps-à-corps, et même un dash invincible associé à une super-attaque ! Ce n'est pas tout puisque le saut permet lui aussi d'être invincible, de même que le double-saut, celui-ci permettant en plus de déclencher la super-attaque d'une façon différente. L'idée derrière cet arsenal est de mettre à notre disposition tout le nécessaire pour survivre contre la vingtaine de boss au programme, et surtout contre le temps qui s'écoule implacablement... En effet, la bête se désintégrera si son énergie tombe à zéro, mais aussi si le chrono arrive à son terme. Afin d'éviter ce sort funeste, le jeu nous oblige à collecter des pierres bleues (temps) ou rouges (énergie) en éliminant les ennemis et les boss grâce à l'arme correspondante. Et comme l'usage prolongé d'une arme diminue peu à peu sa puissance, sa cadence de tir, et même les points rapportés, les phases d'attaque prennent une dimension stratégique non négligeable ! Doser son tir Haba (rouge) pour maintenir le tir Kaburaya (bleu) au maximum, passer de l'un à l'autre pour profiter de leurs différences (curseur plus ou moins rapide, cible directement touchée ou vague de projectiles), sortir la super-attaque au bon moment... Il existe pas mal de choses à prendre en compte pour survivre et scorer.
On ne s'arrêtera pas en longueur sur le système de scoring, très simple et exempt de défauts, pour la simple et bonne raison que celui-ci se fait naturellement avec la survie. La collecte des pierres, plus que la destruction des ennemis eux-mêmes, est vraiment l'élément central grâce à cette influence de la puissance de l'arme sur les points et avantages (temps ou énergie) obtenus. De grosses pierres pouvant valoir deux à trois fois plus que les petites, on a tout intérêt à se montrer efficace pour avoir le plus de temps possible et, du même coup, un score déjà respectable. Avec tout ça il ne reste plus qu'à choisir l'un des trois niveaux de difficulté, que l'on peut carrément renommer des modes de jeu. Le mode Easy, qui porte bien son nom, se débarrasse purement et simplement de l'affaiblissement des armes, mais limite toutes les pierres obtenues à une valeur de 1 (une seconde ou 1 point de vie sur les 128 au total). Autant dire que sans le bonus de temps accordé à la fin d'un boss (seulement en Easy), ce mode serait presque difficile ! Dans le mode Normal, les grosses pierres ont une valeur de 2, le chrono reste donc serré mais la difficulté des combats est très abordable avec un peu de pratique. Enfin en mode Hard, la valeur monte jusqu'à 3, permettant d'alimenter son chrono au point de ne presque plus avoir à s'en soucier, mais les combats prennent une toute autre dimension ! Dans les nouveautés, les boulettes pourpres de base sont désormais mêlées à des boulettes bleues que notre épée ne peut plus absorber pour charger la super-attaque. Iwanaga prend alors parfois des allures de manic shooter, et l'on remercie chaudement l'affichage de la hitbox quand il s'agit de négocier les patterns adverses...
Ambitieux, plein de charme, Kitan Iwanaga est donc une production amateur de haute volée... assez maligne pour cacher ou compenser la plupart de ses défauts. La pression du chrono associée à l'éventail de possibilités nous maintient alertes, malgré le rythme lent et méthodique du jeu qui peut parfois lasser (en mode Easy la chose devient évidente). Le Free Shot permettant de bouger et de tirer en même temps est mal adapté au gameplay mis en place (étonnant, puisqu'un lock façon Alien Soldier aurait déjà été bien meilleur), mais le Fixed Shot reste efficace en toutes circonstances. Enfin, l'invulnérabilité pendant les sauts passe facilement inaperçue dans la mesure où le jeu nous pousse souvent à préférer le dash, alors qu'elle devient vite ridicule quand on remarque que même à la réception du saut notre personnage reste invincible (de quoi sautiller partout à l'écran sans crainte !). En allant un peu trop loin peut-être, on pourrait même se demander pourquoi l'épée cause si peu de dégâts alors que les boss sont souvent difficiles d'accès et pourraient donc, en partie, se prêter à un gameplay à l'épée. Avare en options pourtant présentes chez Treasure, telles que l'accélération du jeu ou même la désactivation des lignes du réticule de visée (Sin and Punishment), Iwanaga n'atteint pas la perfection de ses modèles. C'est sans doute trop en demander à un titre amateur ; mais être exigeant, n'est-ce pas aussi faire honneur à une telle ambition ?
Points forts
- L'équilibre constant entre action et stratégie.
- Une expérience de jeu différente pour chaque niveau de difficulté.
- Des graphismes dignes de la Super Nintendo dans ses beaux jours !
- On reste pris par cette atmosphère lugubre du début à la fin...
Points faibles
- Des passages plus rapides et nerveux auraient été les bienvenus.
- Le manque de charisme et l'animation discutable du protagoniste.
- Un mode Free Shot perfectible.
- L'invulnérabilité excessive accordée lors des sauts peut vite tourner au ridicule.
Il est difficile de reprocher quoi que ce soit à Kitan Iwanaga une fois que l'on est plongé dedans. Le second jeu de Buster parvient à dissimuler l'essentiel de ses défauts, et la prise en main de son gameplay complexe reste à la portée de tous. C'est souvent joli, et parfois beau. C'est un gameplay connu et innovant. C'est difficile et abordable à la fois. Et c'est gratuit ! Alors oui, ça aurait pu être meilleur, mais ça, ce sera peut-être la suite, Ibun Iwanaga...