Revivre la traque des plus grands bandits de l’Ouest, ça vous tente ? Si oui, ça tombe bien puisque c’est justement ce que Techland propose à travers un titre nerveux doté d’une ambiance savoureuse et d’une narration atypique de grande qualité. On y incarne Silas Greaves, chasseur de primes à ses heures perdues, racontant dans un saloon ses faits d’armes à un auditoire captivé. Le retour aux sources de la série est-il réussi, et surtout, la qualité est-elle au rendez-vous avec un si petit prix ?
« Un mauvais épisode, ça peut vous planter une série ! » disait un jour un vieux fermier de l'Arizona à propos de la saga des Call of Juarez. Après un 3ème épisode franchement raté, les choses ont, semble-t-il, évolué. Bien décidés à faire leur mea culpa, les développeurs polonais ont désormais bien compris qu'un jeu sur le Far West doit se passer à l'époque du Far West. Le résultat aujourd'hui est un agréable FPS arcade aux prétentions ménagées, sortant uniquement en dématérialisé et à un tarif de lancement attractif (à peine 15 € et 12 € pour les membres PSN Plus). Force est de constater que le titre, malgré certains défauts, remplit pleinement ses objectifs et vous tiendra en haleine durant 6 à 7 heures, voire même un peu plus si vous êtes porté sur le scoring.
Quand « petit budget » rime avec « ambitions limitées »
Commençons par la réalisation puisqu'il faut toujours apprendre les mauvaises nouvelles en premier. D'abord, sachez que sur son aspect graphique, le jeu arbore un cel shading plutôt économique, permettant à un Chrome Engine 5, quelque peu vieillissant, de souffler un peu. Le moteur maison, utilisé depuis l'épisode « The Cartel », commence à montrer ses limites (qui a dit « Riptide » ?) et on sent bien que Techland a eu envie de lui donner une seconde jeunesse pour cet opus. Le passage à un tel rendu, rappelant forcément les Borderlands, est une réussite pour un premier essai, même si l'on pourrait lui reprocher quelques imperfections. Certaines textures sont un peu limitées, il y a un brin d'aliasing et le clipping est un peu trop présent. Le tout reste fluide à chaque instant et relativement agréable à l'œil.
Toutefois, on s'habitue vite à ces choix techniques qui permettent d'offrir un cachet cohérent tout en évitant au développeur de dilapider le budget du titre là où il ne pourrait manifestement pas exceller. Rappelons qu'il s'agit sans doute de la « suite de la dernière chance » pour la saga. La patte artistique est relativement bien maîtrisée et c'est avec grand plaisir que l'on visite les ambiances typiques d'un bon western : mine désaffectée, ville fantôme, saloons et autres immensités sauvages peuplées d'indiens, bref : la totale ! On remarque au passage les cut-scenes très « bande dessinée » apportant un peu plus de fun à un titre ne manquant pas de légèreté.
La bande-son quant à elle est globalement une réussite. Les musiques sont agréables sans être magistrales et accompagnent fort bien les séquences de combat. Au niveau des voix, là encore le travail est de qualité. Les doublages des principaux intervenants, en VOST, ponctuent à merveille vos missions, les dialogues sont bien écrits et apportent souvent une touche d'humour. Mention spéciale évidemment au doubleur du héros qui mène sa barque d'une voix profonde et agréable, contribuant à la qualité de la narration. Il s'agit là d'un point sur lequel nous reviendrons plus loin car le discours de Silas tient une place capitale dans le jeu.
Au menu ce soir : gameplay arcade efficace et sa pointe de variété
Il ne faut pas voir Gunslinger comme un titre faisant la part belle à la subtilité. Il s'agit en fait d'un bon gros défouloir arcade donnant cela dit au joueur plusieurs outils afin de gérer au mieux ses gunfights. Outre les QTE d'exécutions multiples et les esquives de balles fatales, on retrouve entre autres le désormais classique bullet time, qui vous sauvera la vie plus d'une fois. Côté progression, on appréciera le système de compétences vous permettant de spécialiser votre héros à travers 3 arbres servant à forger son caractère de chasseur de primes. Ainsi, vous pourrez dépenser vos points gagnés au combat et devenir un maître des revolvers, un tireur d'élite accompli, un castagneur ou bien un mélange des trois. Autant d'atouts qui vous permettront de varier les plaisirs dans des séquences d'action efficaces bien que trop peu diversifiés.
Des ennemis à l'IA perfectible et un level design dirigiste
Si l'on creuse un peu plus dans la critique, on pourrait dire que les combats se règlent la plupart du temps en se mettant à couvert pour éliminer un à un chaque ennemi, eux-mêmes étant souvent planqués. Et puisque les gunfights représentent la quasi-totalité des phases jouables, on aurait aimé un « bestiaire » plus large afin d'éviter une certaine redondance au fil des heures. Il y a bien les indiens, privilégiant parfois le corps-à-corps, les ennemis plus costauds qu'il vous faudra occire, ou encore les boss, mais les limites de l'IA et des scripts se font vite ressentir. Concernant les ennemis de fin de stage par exemple, il faut bien avouer qu'ils nous laissent sur notre faim, et même si certains sortent de l'ordinaire (on pense notamment au cache-cache dans la scierie), leurs séquences se règlent globalement toutes de la même manière : se mettre à couvert avec le bon timing et bourriner à coups de dynamite et de bastos en pleine face.
Cela dit, ne nous méprenons pas, bien que perfectible, l'IA fait plutôt bien son travail lorsqu'il s'agit de suivre les parcours prédéfinis, de se planquer et de nous tirer à vue comme un lapin. Les vrais soucis sont peu visibles, même si les scènes à bord de trains vous permettront d'observer un comportement typique des FPS à l'intelligence artificielle peu élaborée : les ennemis vous visent et tirent, même lorsque vous n'êtes pas dans la pièce. La « faute » est imputable au level design qui, sur ces niveaux, se veut très étriqué et pas forcément adapté aux scripts de vos adversaires. Rassurons-nous tout de suite, ces séquences problématiques sont peu nombreuses. En parlant de level design, il est bon de définir Gunslinger comme un FPS volontairement très dirigiste afin de déclencher la narration adéquate. N'oubliez pas que vous jouez dans les souvenirs d'un vieil homme racontant, des années après, ce qu'il s'est passé à des moments précis de sa vie. N'espérez donc pas sortir des rails prédéfinis durant votre partie : vous avez un chemin bien balisé et très peu d'alternatives.
Un narrateur au cœur de l'intrigue et du game design
Trop rares sont les jeux où la narration tient une place capitale, et c'est fort dommage. Gunslinger est de ces jeux qui, à la manière d'un « Bastion » ou d'un « Alan Wake », mettent le narrateur au cœur de l'aventure. Ici, tout l'intérêt repose sur le statut de ce dernier, et sur l'évolution de son récit. Silas, décidément porté sur le whisky, va raconter son histoire de manière parfois approximative, changeant certains détails au cours de la soirée ou revenant sur des faits antérieurs, ce qui influence directement la partie du joueur. Un exemple : une des traques du chasseur de primes l'emmène aux portes d'une mine désaffectée. Le narrateur explique qu'il a eu, à ce moment-là, la possibilité d'emprunter un chemin difficile et peuplé d'ennemis. Le joueur, n'ayant visiblement pas le choix, pénètre dans une galerie infestée de bandits, qui finit d'ailleurs par s'effondrer sur elle-même. On s'attend alors à avoir l'écran de game over quand, soudain, le narrateur reprend la parole et évoque ce chemin dangereux en disant que c'était évidemment une mauvaise idée de l'emprunter et qu'il avait finalement choisi de descendre par une échelle sans risque. Rembobinage de l'action, vous êtes à nouveau près de l'entrée de la mine et une échelle apparaît devant vous par magie ! Ce n'est évidemment qu'un exemple et il est préférable que vous découvriez ces « récits altérés » par vous-même afin de conserver l'effet de surprise qui agrémente la majorité des chapitres.
La narration altérée : on en redemande volontiers !
On remarque tout de même une certaine inégalité entre les niveaux vis-à-vis de ce concept de narration altérée. Si des chapitres comme celui des marais sont l'occasion d'observer un panel impressionnant de procédés tels que des changements de climat ou des environnements se construisant sous nos yeux, on déplore que certaines séquences se cantonnent tout juste à l'apparition d'échelles ou à l'ouverture de passages. Rien de bien grave sur 6 à 7 heures de jeu, évidemment. Disons simplement que le concept est tellement appréciable qu'on aurait voulu le voir beaucoup plus souvent exploité, et surtout plus équitablement réparti entre chaque niveau.
Le premier Wikipedia du Far West in-game !
Pour ce qui est du contexte historique, Gunslinger offre un background très riche en informations. Outre les diverses références bien réelles ayant directement un lien avec l'évolution de l'Amérique du 19ème, on trouve un système de secrets cachés : les pépites de vérités. Cette cinquantaine d'items, éparpillés à travers les niveaux, vous donnent accès à des résumés concernant les événements évoqués ou les personnages rencontrés, réels et fictifs. Le tout constitue une bonne dose d'information pour quiconque cherche à en savoir un peu plus sur Jesse James, Billy The Kid, le Wild Bunch ou encore la fusillade d'O.K. Corral.
Entre vengeance et rédemption...
Toujours à propos du contenu, on salue la présence d'un mode New Game Plus permettant de tester les différents niveaux de difficulté tout en gardant ses objets et améliorations. Si vous le souhaitez, vous pouvez également jouer sans HUD, ce qui renforcera l'immersion, afin de refaire l'aventure comme un vrai cow-boy et découvrir les deux épilogues proposés. A côté du mode Histoire, on trouve un mode Arcade qui vous mettra face à des hordes d'ennemis, faisant ainsi la part belle au scoring et aux classements en ligne. De même, si les nombreux duels du mode Histoire vous ont plu, sachez que vous pouvez les revivre à travers un mode dédié, donnant l'occasion d'enchaîner les affrontements millimétrés où les réflexes compteront autant que le placement de votre main par rapport à votre six coups.
Points forts
- La narration changeante, influençant directement la partie en cours
- Un gameplay agréable
- Un rapport qualité / prix très honnête
- Les références et le contenu historique assez instructif
Points faibles
- Level design trop dirigiste
- L’IA et les boss manquent de variété
- Suivre les sous-titres durant les fusillades si vous êtes anglophobe
Ayant décidé de se rabattre sur les valeurs sûres du genre, Techland a finalement pensé son titre comme un enchaînement réussi de gunfights, liés par un fil conducteur efficace. Peu d’exploration, pas de PNJ, une histoire assez secondaire et plutôt prévisible, pas de multijoueur… Tout comme la réalisation et le tarif, le maître mot est ici « économie ». Toutefois, le rapport qualité / prix est indéniable et le tout est très agréable à jouer. On en sort satisfait et particulièrement bluffé par la narration atypique, élément qui, tout comme l’univers du Far West, est malheureusement trop peu exploité dans le milieu vidéoludique. Bonne pioche !