Je vous parle d'un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître...

Avec son visuel d'un autre âge, ses animations quasiment inexistantes ou encore la difficulté, voire l'impossibilité, de le faire tourner sur un PC récent, nul doute qu'à notre époque, Myst fait figure d'antiquité vidéoludique. Pourtant, ce point and click absolument mythique fut en son temps une révolution technique. Tout d'abord sorti sur Mac en 1993 puis sur PC un an après, il mit à mal les ordinateurs les plus performants de son époque à cause de ses images précalculées en 3D et en 256 couleurs. La presse spécialisée le qualifia alors même de jeu le plus beau du monde, ce qui reste un réel tour de force lorsqu'on sait que Myst a été principalement réalisé en deux ans par... deux frères, ni plus ni moins. Autant dire que la performance tient de l'exploit même si elle prête à sourire aujourd'hui. Au final, Myst reste le jeu PC le plus vendu au monde entre 1994 et 2002, donnant suite à quatre épisodes canoniques supplémentaires, un spin-off en ligne et même plusieurs romans.

Quand le rêve devient réalité

Cependant, Myst n'est pas juste qu'une magnifique et alléchante vitrine. C'est également, et surtout, un pionnier et une référence dans son genre. Un jeu tellement original et en avance sur son temps qu'il initia à lui seul une sous-déclinaison du jeu d'aventure, le Myst-like, ayant pour spécificités une vision à la première personne, peu de dialogues et un univers très onirique. Et en effet, Myst possède un univers vraiment unique et d'une incroyable richesse, avec son lot d'énigmes tout aussi complexes dans leur mécanisme que dans leur difficulté à les résoudre. Il faut réfléchir et percevoir le monde d'une tout autre manière une fois en jeu. Il est d'ailleurs compliqué de définir par de simples mots tout ce que peut procurer un tel titre, car il outrepasse largement le simple plaisir vidéoludique en apportant au joueur des sensations vraiment intenses. Myst se vit en fait comme une immense aventure tout droit sortie des rêves les plus improbables, le but premier étant de se laisser aller pour s'y perdre totalement. C'est dans cette optique que vous incarnez ce héros dont on ignore absolument tout, de son nom en passant par son sexe. Vous découvrez juste un beau jour un mystérieux livre nommé Myst, dans lequel se trouve un panneau animé montrant une petite île abandonnée. En touchant cet écran, vous êtes soudainement happé à l'intérieur de l'ouvrage. Et vous voilà dorénavant seul, perdu sur l'île de Myst qui n'attend désormais plus que vous pour dévoiler ses secrets les plus enfouis. D'emblée, l'absence significative de musique ambiante mais l'omniprésence de bruitages saisissants de réalisme immerge complètement le joueur dans cet étrange monde. Un très fort sentiment de solitude se fait ressentir, impression qui s'accentuera et perdura tout le long du jeu. Ajoutez-y le fait qu'on ne croise absolument personne – à quelques exceptions près comme il sera mentionné par la suite – et que l'on jouit d'une grande liberté de mouvement, comprenez bien que cela engendre une immersion sans failles. Vous n'avez pas encore de buts, vous avez atterri là et maintenant vous devez écrire votre histoire. Vous êtes le héros de Myst, et vous allez vivre l'aventure à votre manière.

Deux frères, un père et plusieurs mondes

Le ton est donné. En explorant l'île, le joueur est très vite amené à y croiser différents mécanismes dont il ne peut saisir les subtilités pour le moment. C'est en débarquant dans la bibliothèque, lieu central de l'île, que l'on découvre la future tâche qui vous incombe. En effet, à chaque extrémité de celle-ci se trouve un livre coloré : un rouge d'un côté et un bleu de l'autre. En les ouvrant, vous apercevez Sirrus enfermé dans l'un et Achenar prisonnier de l'autre, tous les deux sont frères et fils d'un certain Atrus dont le nom vous est déjà familier à ce stade de l'aventure. Chacun des deux frères vous demande alors de le libérer de sa prison, en récupérant les pages manquantes de son livre. Ces pages sont disséminées dans d'autres mondes reliés à l'île de Myst, des mondes qu'il faut dans un premier temps découvrir en résolvant les mécanismes et autres énigmes présentes dans les environs. Ainsi fait, vous avez accès à de nouveaux livres de liaison vous menant vers d'autres mondes parallèles nommés Ages. Il en existe quatre en tout, et chacun d'eux possède un univers unique et à part entière, toujours aussi immersif et comportant son lot d'énigmes plus retorses les unes que les autres. Chaque Age possède une page bleue et une page rouge à débusquer, que vous ne pouvez ramener qu'une par une. Au bout du compte, il faudra faire un choix : qui aider de Sirrus ou d'Achenar ? Les indices révélés au fur et à mesure de votre avancée sur chacun des deux frères semblent tantôt converger, tantôt diverger. Mais la vérité est peut-être encore ailleurs... il existe 4 fins possibles, à vous de toutes les découvrir.

J'explore à ma guise et je prends mon temps

De par ce système, il importe peu de savoir dans quel ordre vous ramenez les différentes pages. Vous pouvez ainsi explorer les Ages comme bon vous semble, grâce à une totale liberté de mouvement. Aucun stress, aucune mort possible, aucune rencontre fortuite autre que celle des deux frères et du père, vous avancez à votre rythme et c'est ce qui renforce une fois de plus cette incroyable immersion. Le temps n'a plus d'effet sur vous, vous êtes baigné dans cet univers à la fois étrange mais pourtant si familier. Vous lisez ou écoutez chaque texte avec attention pour en apprendre toujours plus sur les rapports entre Atrus, ses deux fils et les mondes que vous traversez. Vous notez sur une feuille ou dans le livret fourni avec le jeu tout ce qui ressemble de près ou de loin à un indice. La vue s'aiguise, on farfouille partout, on espère, on s'énerve, puis on commence à créer des connections logiques, le scénario prend forme et tout paraît plus limpide. Il faut aussi préciser qu'à cette époque, Internet en était à ses balbutiements. On était alors bien moins assisté que maintenant, la seule aide que l'on pouvait espérer avoir en cas de difficulté sur une énigme était un simple livret comportant 3 astuces dérisoires dans la boîte du jeu. Oui, faute de mieux, il fallait se creuser les méninges, ce qui fait qu'en théorie Myst peut se finir extrêmement rapidement alors qu'en pratique on ne voit même plus les heures défiler devant soi. En fin de compte, Myst c'est de la réflexion pure combinée à une évasion des sens. On voyage en étant éveillé, et c'est sûrement ce qui continue encore aujourd'hui à faire le charme du jeu et même de la série : la technique date, mais le rêve, lui, reste immuable dans cette œuvre intemporelle.