On le sait, le Québec est une terre d'asile pour les éditeurs de jeux vidéo. Motivés par des incitations fiscales, de nombreux acteurs du secteur s'y sont installés, d'Ubisoft à Electronic Arts en passant par Eidos. Au milieu de ces ogres, il faut désormais ajouter un Petit Poucet : Artifice Studio, jeune développeur indépendant dont le premier projet, Sang-Froid, n'a pas grand-chose à envier aux grosses productions.
Sang-Froid est, comme l'indique son sous-titre, un conte de loups-garous. Le jeu narre l'histoire de deux frères, Ti-Jack et Ti-Jos, qui se retrouvent dans une cabane au Québec avec leur sœur Joséphine durant l'hiver 1858. Joséphine a fui le proche bourg de Val-aux-Loups après l'incendie de l'église ; les villageois la croient coupable et l'accusent même de sorcellerie ! Il faut dire que la région est le théâtre d'étranges événements... Piochant allègrement dans le folklore amérindien, cette histoire est servie par un doublage québécois qui constitue un régal pour nous z'aut' ! Et puisqu'on évoque la partie audio, soulignons également la bonne qualité des musiques, qui nous plongent immédiatement dans l'ambiance – et permettent de patienter durant un premier chargement interminable...
Le jour et la nuit
Côté gameplay, Sang-Froid peut être rangé aux côtés des tower defense où le joueur intervient à la troisième personne – Orcs Must Die!, par exemple. Le jeu est divisé en vingt journées, soit autant de missions à accomplir. Durant la phase diurne, vous placez des pièges pour protéger la cabane, puis plus tard d'autres bâtiments comme la scierie et l'église, la carte s'étendant au fil de la progression. Grâce aux présages de Joséphine, vous connaissez précisément le nombre et la nature des ennemis qui composent chaque vague, le bâtiment qu'ils vont viser, et même le chemin qu'ils vont emprunter. Un loup va arriver par tel sentier ? Un piège à loups s'en chargera. Trois lycanthropes vont passer par là ? Un champ de pieux fera l'affaire. Dit comme ça, le gameplay peut paraître enfantin ... il n'en est rien. La multiplication des vagues et des endroits à défendre, d'une part, et la limitation des ressources (argent et points d'action) servant à poser les pièges, d'autre part, transforment certaines missions en véritables casse-tête. Heureusement, des outils permettent de modifier le trajet des monstres : les murs de feu les obligeront à changer de chemin, tandis que les appâts les ralentiront.
Une fois votre stratégie établie, il ne reste plus qu'à l'éprouver en passant à la phase nocturne, durant laquelle vous avez un contrôle direct de votre personnage. Car tous les pièges ne fonctionnent pas passivement : certains demandent une intervention de votre part. Les filets suspendus, par exemple, doivent être déclenchés d'une balle bien placée ; ils déversent alors leur cargaison de pierres sur les ennemis se trouvant dessous. De la même manière, le fusil sert à faire exploser les barils de poudre. Vous devez aussi prier devant les croix, ou danser autour des arbres sacrés, pour activer leur pouvoir. Bref, vous ne manquez pas d'actions à réaliser, à tel point qu'il est parfois difficile de savoir où donner de la tête ! Mais là encore, les développeurs ont imaginé un outil pour faciliter la vie des joueurs : un réseau de miradors reliés par des tyroliennes permet de se déplacer rapidement d'un point à l'autre de la carte. Très pratique, d'autant qu'elles fonctionnent dans les deux sens en dépit de la pente – on ne tiendra pas compte de cette petite entorse à la logique...
Le bruit et l'odeur
Vous n'imaginez tout de même pas que les diverses créatures qui peuplent Sang-Froid vont se laisser massacrer tranquillement ? Si elles vous repèrent, elles abandonneront leur objectif et vous deviendrez leur nouvelle cible. Le jeu repose sur plusieurs mécanismes de détection : visuelle bien sûr, mais aussi sonore, et même olfactive ! N'oublions pas que nous avons affaire à des bêtes, dont le flair est le premier moyen de traquer leurs proies. Il faut donc garder un œil sur la mini-carte, où un indicateur représente la traînée laissée par vos effluves corporelles. C'est que ça transpire un Québécois dans une chemise de bûcheron... Néanmoins, la discrétion n'est pas toujours à votre avantage. Il peut parfois être intéressant d'être repéré, afin de faire converger les ennemis vers vous, épargnant ainsi les bâtiments – leur destruction étant synonyme de game over. Pour cela, il est possible de pousser un cri, ou, plus tard, de faire tourner le vent à l'aide d'un artefact.
Ce faisant, vous allez vous retrouver assailli par une horde tentant de vous planter des crocs acérés dans les fesses ! Il va alors falloir se battre. Nous avons déjà mentionné le fusil : en plus de déclencher certains pièges, il peut évidemment servir à tirer sur les monstres. Il faut cependant l'utiliser avec parcimonie, car son rechargement est extrêmement lent. En outre, il ne permet pas de bouger pendant la visée. On lui préférera souvent la hache pour affronter les ennemis au corps-à-corps. Ce n'est toutefois pas l'arme ultime, car elle dépense beaucoup d'endurance (qui sert aussi à sprinter). On sent qu'Artifice Studio n'a pas voulu conférer un sentiment d'impunité au joueur. Les combats ne constituent qu'une option secondaire, permettant tout au plus de se débarrasser de quelques créatures passées à travers les pièges. Sans-Froid est d'abord un jeu de stratégie ; certains joueurs regretteront sans doute le moindre développement de la partie action.
Indien vaut mieux que deux tu l'auras
La partie stratégie, elle, est indéniablement réussie, notamment parce que les missions offrent de multiples solutions. Malgré le faible nombre de pièges (une douzaine), la conception de la carte et des vagues de créatures permet d'élaborer des plans variés. Il est possible de finir un même niveau de différentes façons, ce qui est toujours appréciable. Et en cas de blocage, des indices vous indiqueront une des stratégies possibles. De plus, Sans-Froid récompense les joueurs économes : si vous n'utilisez pas tous vos points d'action, le reste de la journée sera mis à profit pour couper du bois, synonyme d'argent. Un petit tour à Val-aux-Loups permet ensuite de dépenser ce pécule. L'hôtel fournit diverses boissons alcoolisées, qui font office de potions. Les échoppes proposent de meilleures armes, tandis que le couvent offre ses services pour les bénir. Plus tard, un village indien vendra amulettes et balles en argent. Car les simples loups du début laissent rapidement place à des ennemis plus résistants (maikans, wendigos), nécessitant l'arsenal adéquat.
Heureusement, vous aussi montez en puissance au fil de la progression. Le jeu intègre en effet un système d'expérience, avec des points à dépenser dans diverses aptitudes. Selon votre manière de jouer, vous pourrez choisir d'améliorer vos pièges, de parfaire votre maîtrise de la hache, ou encore d'augmenter vos compétences de tireur. Ce petit aspect RPG est bienvenu, et prouve – s'il en était encore besoin – que Sang-Froid est bourré de bonnes idées. Cependant, toutes n'ont pas pu être intégrées dans cet épisode, qui constitue en fait le Tome I et nous laisse sur notre faim... Pour connaître la suite de l'histoire, il faudra donc attendre le Tome II ! Une suite qui devrait également inclure de nouveaux pièges, et sans doute un mode coopératif. Passée la frustration engendrée par ce sentiment d'incomplétude, il faut bien admettre que ce premier volet est déjà très satisfaisant. Son concept est solide, son ambiance réussie... Bref, on lui pardonne sans mal ses quelques défauts, et on souhaite un bel avenir à ses créateurs !
Points forts
- Une ambiance réussie
- Musiques et doublages de qualité
- Des stratégies multiples
- L'aspect RPG
- Un juste prix
Points faibles
- Un premier chargement interminable
- Des graphismes pas folichons
- Partie action en retrait
- Et la suite ?
Sang-Froid est un beau conte de loups-garous, qui nous transporte avec brio dans l'ambiance glacée du Québec, notamment grâce à sa partie audio. Et le soft n'oublie pas d'être ludique : avec sa carte ouverte et son personnage évolutif, il offre de multiples stratégies. Alors bien sûr, tout n'est pas parfait ; mais pour un premier projet, le résultat est convaincant ! Le jeu ne coûte que 14 euros, et il les vaut.