Après avoir conquis un royaume, trouvé une reine, récupéré ses enfants et été sauvé d'un empoisonnement par sa fille, le roi Graham espérait certainement couler enfin des jours paisibles. Raté, ainsi que nous le conte avec brio cet épisode V, qui constitue une véritable révolution dans l'histoire de la saga.
Graham n'est jamais tranquille...
Comme son titre l'indique, King's Quest narre les aventures d'un roi, Graham... ou de son fils Alexander et de sa fille Rosella, selon les épisodes. Et comme il n'y aurait pas de jeux si tout se passait bien en permanence, la famille royale de Daventry a tendance à attirer les ennuis. L'épisode V commence pourtant bien pour Graham, parti se promener pour profiter du beau temps. Malheureusement pour lui, lorsqu'il retourne chez lui, il a la mauvaise surprise de découvrir que son château a disparu et sa famille avec, ce qui est quand même ballot. Aidé par un hibou nommé Cédric, qui n'est en réalité pas vraiment un hibou ni d'une très grande aide, Graham va devoir se frotter à des personnages plus ou moins farfelus et à des énigmes tordues. Comme toujours dans un King's Quest, ce n'est pas tant l'histoire générale, pas forcément très originale, qui importe, mais la manière dont elle est racontée, le plus souvent avec humour. Ici, le joueur ne sera pas déçu et se retrouvera en terrain familier, avec des personnages colorés, des situations absurdes et de l'humour en pagaille, bref, tout ce qui fait le charme de la série depuis ses débuts. Sur le fond, on n'est donc pas dépaysé. Il en va tout autrement de la forme, qui n'a plus grand-chose à voir avec celle des épisodes précédents.
Un tournant majeur dans la série
Pour bien comprendre le changement représenté par l'épisode V, il est nécessaire de revenir un peu en arrière. Lorsque Sierra, le développeur, sortit le premier King's Quest en 1984, les graphismes étaient ceux permis par les machines de l'époque : limités et disposant d'une palette de couleurs basique, ne permettant pas de grandes nuances. En outre, le système de jeu imposait, pour chaque action, d'ouvrir une boîte de dialogues pour y entrer les commandes, ce qui s'avérait fastidieux, pénible et long. Autant être honnête, les premiers King's Quest sont devenus difficilement jouables de nos jours. Rien de tel, cependant, pour le cinquième volet de la saga, toujours agréable à parcourir plus de vingt ans après sa sortie. Si celui-ci continue l'histoire de ses prédécesseurs, avec les mêmes personnages, tout le reste change et pose les bases de ce qui allait s'avérer être l'âge d'or de King's Quest jusqu'au septième épisode. Voyons pourquoi...
De l'art d'attirer le chaland
Le changement le plus facile à repérer depuis l'épisode IV, et le plus spectaculaire, concerne les graphismes. Ça n'a, tout simplement, plus rien à voir avec les débuts de la série. Oubliés les pixels grossiers, les décors limités et les couleurs primaires. Les développeurs s'en sont véritablement donnés à cœur joie, en exploitant au maximum les capacités des machines de l'époque. Les artistes de Sierra se sont lâchés : chaque décor est digne d'un livre de contes illustré avec soin et talent, inspiré de mythes européens comme orientaux. Certaines cut-scenes se font via de beaux dessins très soignés et fixes, dans lesquels seuls bougent les bouches ou les yeux des personnages pendant les dialogues. Lors des discussions normales durant le jeu, lesdits personnages ont également droit à des portraits animés assez amusants. Quant à la faune, la flore et la population de Daventry, farfelues à souhait, elles se révèlent particulièrement fouillées et détaillées, inspirées des mythes et légendes de l'imaginaire mondial. Outre les personnages, de nombreux éléments sont également animés, comme les feuilles d'un arbre qui bougent au gré du vent, des oiseaux qui s'envolent lorsque Graham se déplace vers eux, etc. Ça reste souvent basique, certaines animations sont même un peu lourdes et mécaniques, mais cela permet de rendre vivants les environnements traversés. La refonte graphique opérée par Sierra est donc aussi spectaculaire que réussie, King's Quest V bénéficiant ainsi de graphismes fins et travaillés, qui, même si les pixels sont plutôt visibles, restent très agréables à regarder aujourd'hui encore.
Et ils parlent, en plus
Autre amélioration de taille, le côté audio. Outre de nombreux bruitages, et des musiques plus ou moins réussies selon les zones traversées, on remarque surtout l'ajout de voix pour quasiment tous les personnages du jeu, ainsi qu'un narrateur. L'idée est bonne, mais n'est cependant pas une réussite partout. Si le doubleur de Graham, par exemple, est assez convaincant, il n'en va pas de même pour la doubleuse de Cassima, qui donne l'impression que la jeune femme est une cruche finie, alors qu'en réalité pas du tout. Le pire reste Cédric le hibou, qui non seulement est doté d'une voix aiguë et horripilante, mais en plus vous accompagnera durant tout le jeu ou presque, histoire de faire durer le plaisir. Impossible de s'en débarrasser et c'est bien dommage. L'utilisation de doublages donne donc un résultat mitigé. Il est à noter que la première version française, celle sortie sur disquettes, avait purement et simplement supprimé ces doublages. Ce n'est que lorsque le jeu est sorti en version CD-ROM un peu plus tard qu'ils ont été réintégrés, mais toujours en anglais. Cependant, impossible d'avoir à la fois les voix et les textes, il est nécessaire de faire un choix entre les deux, ce qui est assez discutable. Les anglophones préféreront cependant le doublage aux textes, tant leur traduction est désastreuse, bourrée de fautes et d'approximations inexcusables, qui gâchent le plaisir de jeu. Le fan français est parfois mal servi...
Tu pointeras et tu cliqueras
Ça peut paraître bizarre de nos jours, mais il fut un temps où le point and click était absent des jeux d'aventure. Dès lors, son adoption définitive comme système de jeu dans King's Quest V, après un essai partiel dans l'épisode IV, constitue une avancée importante en termes de gameplay. La progression devient alors enfantine : on pointe, on clique. On n'a jamais fait aussi simple. Les menus sont clairs, faciles à utiliser, les icônes suffisamment explicites pour que le joueur devine tout de suite laquelle sert à quoi. Mine de rien, il s'agit d'un changement essentiel dans la saga, difficile à appréhender à sa juste valeur quand on a toujours connu le point and click... Bien sûr, l'adoption de ce système ne rend pas le jeu plus simple pour autant. Les énigmes tordues, les objets difficiles à trouver pour avancer et les mauvais passages à éviter sont légion. Graham peut mourir de nombreuses manières, plus ou moins idiotes ou spectaculaires. De soif, par exemple, si vous ne pensez pas à le faire boire régulièrement lorsqu'il traverse le désert. Ces morts sont d'autant plus nombreuses et difficiles à éviter que la précision n'est pas forcément le point fort du jeu : il est tout à fait possible de sombrer dans des sables mouvants si vous avez cliqué un poil trop près de la zone dangereuse... King's Quest V reste donc un jeu difficile. Mais marrant. Quoiqu'un peu court : comptez une demi-douzaine d'heures, grand maximum, pour le finir. C'est peu. Cependant, l'expérience est suffisamment réussie pour faire oublier ce défaut.
Points forts
- Des graphismes magnifiques pour l'époque
- Quelques énigmes et défis corsés
- Un univers très riche
- De l'humour
- Une histoire sympathique
- Un combat final très amusant
Points faibles
- Quelques manques de précision dans la direction de Graham
- Une version française bâclée
- Impossible d'avoir à la fois les voix et les textes
- Un peu court
- Cédric le hibou-boulet et son doublage raté
Graphiquement sublime pour l'époque et disposant d'un gameplay d'une simplicité enfantine, cet épisode V bénéficie également d'une histoire sympathique et d'énigmes à la difficulté corsée. Même à l'heure actuelle, il reste une référence du jeu d'aventure en point and click. Dommage, néanmoins, que la durée de vie soit si faible et la version française aussi mauvaise.