La série Zork a d'abord marqué le monde vidéoludique à travers ses premiers opus entièrement textuels. Après un premier essai réussi en 3D pré-calculée avec Return to Zork en 1995, la série rencontre un nouveau succès avec Zork Nemesis en 1996 qui se présente comme un jeu d'aventure / point'n click classique.
Dans la lignée de Myst pour le gameplay, et descendant des premiers jeux Zork pour l'univers, Zork Nemesis vous plonge dans un univers noir et désenchanté ; vous êtes un personnage sans nom - le manuel du jeu vous présente comme un envoyé du vice-régent Syovar - chargé d'enquêter sur la disparition de quatre personnalités de l'empire : Madame Sophia Hamilton, Monseigneur François Malveaux, le docteur Erasmus Sartorius et le général Thaddeus Kaine. Votre prédécesseur, l'enquêteur Bivotar, est présumé mort, et c'est pourquoi vous devrez vous rendre dans les Orientales, aussi appelées «Territoires interdits» depuis qu'une sombre malédiction semble planer sur ces terres. Alors que la Lune est sur le point d'éclipser le Soleil, vous arrivez sur le site d'un ancien temple vers lequel se rendaient les quatre portés disparus. Evidemment, c'est à vous de vous débrouiller désormais !
Quelques notions d'alchimie
Très tôt dans le jeu, vous pourrez entendre la voix d'outre-tombe de Nemesis. Ce mauvais esprit a capturé nos quatre protagonistes, qui s'étaient alliés pour réaliser un grand projet alchimique, et il prend un malin plaisir à les conserver dans un état d'agonie perpétuelle pour leur arracher leurs secrets. De toute évidence, il n'est pas ravi de vous voir. Qu'à cela ne tienne, ce n'est pas une voix off qui va vous arrêter ! Le jeu se découpe alors en deux parties : la première, assez brève, consiste à explorer le temple et à retrouver les éléments susceptibles de rendre leur puissance à nos alchimistes en herbe ; la seconde partie, la substance principale du jeu, vous permettra ensuite de voir du pays et de visiter les différents lieux de résidence des alchimistes afin de comprendre le fin mot de cette histoire obscure. Vous aurez au total une dizaine d'artefacts à rassembler pour achever votre quête, tout un programme ! Il est d'ailleurs bon de signaler que dans une même partie, vous pouvez faire les différentes étapes dans n'importe quel ordre, ce qui évite une trop grande linéarité dans le jeu. Pour le reste, rien de bien sorcier, vous utilisez votre curseur pour interagir avec les objets qui vous entourent, vous avancez écran par écran en cliquant sur les zones actives, tout en profitant d'une rotation à 360°, certes agréable, mais parfois légèrement trop rapide. On regrettera simplement de ne pas pouvoir jouer en plein écran. A cela s'ajoute un inventaire très discret puisqu'il se limite à faire défiler les objets à l'aide du clic droit, pas la moindre interface pour gêner l'immersion.
Des rencontres... fantomatiques
Par ailleurs, cette immersion est plutôt bien assistée par les graphismes qui, s'ils ont bien sûr pris d'énormes rides, conservent un charme désuet et mélancolique du meilleur effet. La 3D pré-calculée offre des décors riches et de très bonne facture pour l'époque, mais elle pèche quelque peu par sa trop grande rigidité, et à cause du crénelage que provoquent les animations. Au-delà de cela, il s'agit d'une production ambitieuse avec des acteurs capturés en full motion et relativement bien intégrés aux décors ; les cinématiques sont nombreuses et convaincantes. Cependant, il ne faudra pas espérer faire beaucoup de rencontres. En dehors des quatre personnages principaux, vous pourrez croiser deux jeunes gens mêlés à cette affaire et tués par Nemesis : Alexandria et Lucien, dont les fantômes apparaîtront à plusieurs reprises. Et ces deux-là mis à part, vous ne trouverez en moyenne qu'un personnage par lieu, le plus souvent névrosé, quand ce n'est pas un esprit tourmenté. Finalement, il ne reste que les visions qui se manifestent au contact de certains objets et qui permettent de redonner vie l'espace d'un instant à ces ruines. En résumé, comme dans tout Myst-like qui se respecte, vous êtes seul, et le jeu comporte finalement très peu de dialogues...
Un goût certain pour la lecture
En revanche, pour ce qui est de la documentation, elle abonde tout le long de l'aventure. Vous pourrez lire de nombreux livres et lettres qui vous permettront d'en savoir plus sur l'univers de Zork et sur ses personnages. Univers qui se démarque d'ailleurs grandement de celui des précédents volets : loin de l'humour généreux des premiers opus, le ton est grave, et le monde de Zork d'habitude si jovial paraît ici complètement désenchanté. Certains lieux sont effrayants tant l'ambiance y est macabre et sordide. Il faudra se contenter uniquement de quelques traits d'humour noir par instants. On apprécie ou non l'atmosphère, mais force est de reconnaître qu'elle est travaillée et cohérente avec le scénario, lui aussi très sombre, qui se révèle au fur et à mesure qu'on progresse dans les différents décors. Tout ceci vous tiendra en haleine pendant une bonne quinzaine d'heures si tant est que les énigmes parsemées sur votre route n'entravent pas votre progression. Et en parlant d'énigmes, autant dire qu'elles sont retorses. Si certaines se passent sans problème, d'autres demandent un certain temps de réflexion. Les habitués n'y trouveront rien d'insurmontable mais les néophytes risquent d'être un peu perdus. La grande majorité est heureusement très logique et très bien intégrée dans l'univers du jeu bien que quelques-unes semblent plus tordues que la moyenne. Rien d'abusif non plus. Cependant ceux qui ont une oreille musicale faiblarde auront la mauvaise surprise de rencontrer un certain nombre de problèmes car la musique est souvent au cœur de l'intrigue.
L'harmonie des sphères
En parlant de musique, il est bon de signaler que la bande-son est remarquable. Les compositions sont sublimes, notamment le thème récurrent au violon. Outre la musique, l'ambiance sonore générale est elle aussi de très bonne facture, avec un mélange de bruitages et de voix sorties du néant qui participent à donner un véritable cachet à chaque univers. Les acteurs sont plutôt crédibles et le doublage français est correct. Malheureusement, un bug empêche de profiter pleinement des dialogues, car la musique recouvre souvent les voix, les rendant inintelligibles. C'est d'autant plus dommage que le jeu bénéficie d'un soin tout particulier et qu'il offre une esthétique des plus réussies. Si vous n'êtes pas rebuté par son aspect old-school et si vous êtes un amateur de Myst-like et autres joyeusetés de ce genre, ne passez pas à côté de ce jeu, d'autant plus qu'il est désormais considéré comme un abandonware et qu'il est possible de se le procurer à moindre coût, sinon gratuitement.
2
Points forts
- Une atmosphère très réussie entre lieux sordides, horreur, gothique et mélancolie poétique
- Une durée de vie honorable
- Des énigmes logiques
- Un scénario intéressant et complexe
- Une bande-son sublime
- Des univers très caractérisés et documentés
Points faibles
- Quelques casse-tête tordus
- Des bugs pendant les dialogues
- Un écran réduit
- Une difficulté pas toujours bien dosée
Se démarquant de la grande famille des jeux d'aventure estampillés Zork, Zork Nemesis parvient à offrir au travers d'un point'n click des plus classiques une aventure prenante et une ambiance très soignée qui saura retenir l'attention du joueur pendant de longues heures, tout en offrant un défi honorable avec des énigmes intéressantes et logiques. Pour peu qu'on aime les Myst-like et qu'on ne soit pas rebuté par les casse-tête, les graphismes un peu vieux et les endroits glauques, on ne peut qu'apprécier ce divertissement de très bonne facture. En résumé, un incontournable du jeu d'aventure !