Difficile de penser qu’aujourd’hui, un éditeur puisse vivre avec un seul titre dans son catalogue. Et pourtant, Jagex y parvient. Ces Anglais, qui ont réalisé des mini-jeux sur internet, se vouent corps et âme à Runescape, leur MMORPG free-to-play jouable sur navigateurs. Depuis 2001, ils l’améliorent, le peaufinent pour satisfaire les millions d’accros à travers le monde. Avec Runescape 3, prévu pour juillet prochain, Jagex compte bien faire perdurer ce conte de fées, promettant un rendu visuel de premier ordre. Pour l’instant, ça n’en prend pas le chemin. Du tout.
La passion des développeurs fait plaisir à voir. Cet engouement, cette force dans la voix, ce sourire de Mark Ogilvie, le game designer de Runescape laisse entrevoir qu'il existe encore en ce bas monde des gens qui aiment leur métier. Et ça, personne ne peut le critiquer. Tout comme personne ne peut remettre en cause le succès de Runescape depuis sa création en 2001, lorsqu'on sait que ce MMORPG free-to-play compte aujourd'hui un million de comptes actifs payants (contre 2 millions selon la police). Un chiffre remarquable pour ce jeu facilement accessible, puisqu'un PC muni d'Internet suffit, aucun client n'étant nécessaire pour entrer directement dans cet univers heroïc fantasy.
Ayant principalement construit sa notoriété sur sa gratuité, Runescape a également voulu se distinguer des autres MMO par son approche « bac à sable ». Contrairement à World of Warcraft par exemple, le titre de Jagex a pris le chemin qu'utilise actuellement un Guild Wars II, c'est-à-dire que votre avatar n'appartient à aucune classe en particulier. Ne souhaitant pas cantonner le joueur à faire évoluer son héros dans une voie définie et immuable, les développeurs ont opté pour la technique du couteau suisse. Le personnage sera guerrier, mage, archer, autrement dit, que ce soit au corps-à-corps ou au combat à distance, pas de panique, il saura se défaire de tous les dangers. Evidemment, pour obtenir ce genre de héros multitâche, il faudra répartir les points de compétences obtenus après chaque gain de niveau, dans les cases correspondantes de l'arbre de talents. Cette polyvalence allégée de toutes contraintes s'élargit même aux métiers puisque, vous pourrez aussi bien crafter vos armes et armures que pêcher ou encore miner. Une aubaine pour se faire la main sur un MMO mais dont l'absence de frontières ne s'avère finalement qu'un leurre. Rappelez-vous, Runescape adopte un modèle économique bien particulier : gratuit. Une politique de plus en plus à la mode en ce moment, qui a cependant ses limites. Pour obtenir plus de contenus et l'accès à certaines quêtes et zones du jeu, il faudra passer à la caisse, ce que l'on appelle communément le micropaiement. Petite somme par petite somme, Runescape se dévoilera ainsi un peu plus et le joueur qui au départ pensait avoir fait une bonne affaire, se retrouvera coincé s'il veut faire encore progresser son avatar. Un désagrément qui a provoqué le départ massif de rôlistes vers d'autres cieux.
Runescape, vous l'aurez donc compris, c'est la possibilité de jouer à un MMO et d'en apprendre les bases à moindre coût. Mais sans porter atteinte à la communauté et surtout, en voyant les pseudo-améliorations qu'apporte Runescape 3, on peut légitimement se demander comment ce jeu a-t-il, d'un point de vue purement ludique, séduit autant de joueurs. Ok, il est jouable sur navigateurs et c'est déjà un exploit, ok c'est gratuit, mais quand même. Comment peut-on prendre autant de plaisir à arpenter des décors pixellisés avec un perso modélisé à la truelle et un framerate qui dépasse l'entendement. Car c'est bien ça dont il s'agit dans Runescape 3. Les développeurs (rappelons qu'ils sont plus de 200 à travailler jour et nuit sur le jeu dixit un des chefs du département) ont principalement axé leur présentation sur le renouveau du moteur et des rendus visuels encore plus saisissants. Force est de constater qu'on n'a certainement pas dû voir le même jeu. Comme si la jouabilité préhistorique et la gestion de la caméra d'un autre âge ne suffisaient pas, on assiste à un vrai massacre visuel (on est gentil, on ne parle pas des bugs de collision et disparition de textures). Que le jeu soit encore en développement (alors qu'il est prévu en juillet) soit, mais qu'une présentation soit organisée pour nous montrer un tel résultat, il n'y a qu'un pas que l'éditeur a malheureusement franchi. Car, de cette session, on n'en retirera rien de bon, si ce n'est, et là encore on va passer pour les grands méchants loups, quelques éclats de rires. Runescape 3, c'est injouable et moche tant la modélisation de l'ensemble fait peine à voir et le gameplay balbutiant a de quoi faire enrager les plus calmes. La passion rendrait-elle aveugle au point de confondre une Porsche avec un Renault Express ? Toujours est-il que Jagex, aussi énamouré de son titre qu'il peut l'être, devrait vraisemblablement prendre conscience que son jeu, à moins d'un revirement de situation dans les semaines qui viennent (ce qui est peu probable avouons-le), ne peut attirer de nouveaux joueurs comme il le prétend. Que les abonnés de la première heure s'enthousiasment de voir enfin des mobs à 47 polygones au lieu de 12, que leur titre fétiche tourne enfin sur HTML 5, pourquoi pas. Mais que de nouveaux prétendants puissent s'extasier devant un jeu offrant certes un monde non instancié, mais d'une faiblesse graphique aussi navrante, il existe une limite. Evidemment, certains diront que Runescape est le MMORPG le plus joué au monde derrière WoW et Star Wars : The Old Republic, ce à quoi on pourrait répondre laconiquement pour conclure : « il faut de tout pour faire un monde ».
Que Runescape existe depuis plus de 10 ans, c’est à noter parmi les points positifs. Que le titre soit parvenu à perdurer tout ce temps en rassemblant une belle communauté de joueurs, c’est également une belle performance tant et c’est malheureux à dire, le titre s’est fourvoyé dans son désir de tout faire en même temps : être gratuit, jouable sur le Net, proposer du contenu et offrir un gameplay et un rendu visuel de premier choix. Dans le lot, seuls les trois premiers arguments sont valables. Pour le reste, c’est le néant total, même s'il est toujours plus beau que Runescape 2. Bien maigre.