Alors que certains jeux indépendants se font enfin une place sur le marché du jeu vidéo, d'autres restent discrets, renfermant pourtant une richesse inégalée. C'est le cas de Dwarf Fortress, un bijou de gestion souvent considéré comme le grand oncle de Minecraft. Déchiffrons ensemble ce labyrinthe de pixels et de lettres, berceau de nombreux récits mêlant sang, industrie et bière.
Tout droit sorti de Stanford, Toady One développe sans relâche un jeu mêlant créatures légendaires et histoires épiques, le tout placé dans un monde médiéval-fantastique. Si, tout comme ce programmeur à la barbe nanesque, vous rêvez de découper à grands coups de hache des bêtes titanesques avant de fêter votre victoire en vous enivrant d'alcool, Dwarf Fortress est fait pour vous. Bien qu'entièrement en ASCII, ce jeu renferme un univers aussi immense dans le détail que dans les possibilités de jeu. Si un caractère X caricature grossièrement un personnage, il est possible d'accéder à une description minutieuse afin de se rendre compte que ce dernier est complètement unique. Ce symbole-ci est une pousse de noisetier, alors que celui-là est une vache. Les actions et mouvements de tous ces caractères renferment tous des évènements, consultables via une fenêtre de rapport. C'est ça, la langue de Dwarf Fortress.
Tout ce programme alléchant passe d'abord par le générateur aléatoire de mondes dont vous pourrez fixer minutieusement chaque paramètre. Ensuite, trois modes de jeu s'offrent à vous. Le mode "Legends" passera en revue évènements, sites et civilisations du monde précédemment générés ; comme une sorte de grand grimoire historique. Le mode "Adventure" vous permettra d'incarner au choix nain, elfe ou humain dans un Rogue-like. Vous pourrez définir des compétences de départ et les augmenter par la suite. Libre à vous ensuite de faire tout ce dont vous avez envie, aucun objectif n'étant fixé ! Vous pouvez aider les villageois en tuant les créatures qui les importunent, enrôler des compagnons pour aller piller et tuer tout ce qui se trouve sur votre passage ou bien même partir explorer le monde à la recherche de dragons, vampires, nécromanciens ou autres démons redoutables ! Cependant, l'intérêt principal de Dwarf Fortress réside surtout dans la partie "Fortress" : à mi-chemin entre un city builder et un simulateur de vie, ce mode mettra votre stratégie et votre gestion à rude épreuve. La difficulté y est bien présente. Nombreux seront vos échecs, mais là est justement tout le plaisir nuancé de Dwarf Fortress : plus vous perdez, plus vous vous amusez. Vous vous surprendrez par exemple à rire d'un nain qui, pris de folie, aura utilisé un chat pour frapper l'un de ses confrères.
Vous choisirez d'abord une région où embarquer, de préférence riche en ressources (forêts, métaux...). Ici s'établit déjà votre propre vision du jeu : opterez-vous pour un lieu calme, rempli d'arbres de plumes, afin de développer une forteresse aussi prestigieuse qu'immense ? Ou serez-vous plus tenté par les régions hantées où vos nains lutteront fiévreusement contre des animaux morts-vivants sous une pluie de sang humain ? Viendra ensuite la sélection de sept nains, ainsi que de leurs métiers et des objets qu'ils emporteront avec eux. Chose faite, vous arriverez enfin au cœur du jeu. Si vous n'avez pas installé de pack de textures, un tas de pixels colorés s'affichera devant vos yeux. Rassurez-vous, ce n'est pas la Matrice - mais à peu de choses près, ça pourrait. Il faudra du temps et de la patience pour manier commandes et outils. Aussi, pour en apprendre les fondements, le wiki sera fondamental.
Il est temps de donner les premiers coups de pioche dans la montagne et de commencer ce pourquoi nous sommes venus : s'assurer de la survie de vos sept nains et leur faire bâtir une puissante forteresse. Plus facile à lire qu'à faire car la gestion d'une cité dépend de beaucoup de paramètres différents : vous devrez vous assurer d'avoir des ressources nécessaires (bois, pierre, métal...) afin de construire les ateliers qui serviront à la confection de meubles, armes, munitions, nourriture, etc. Mais il faut savoir agir en conséquence : sans bûcheron, vous n'aurez pas de bois, donc pas de cendre, pas de soude et pas de savon. Certes, ce dernier est connu comme étant optionnel pour les nains... sauf lorsqu'ils meurent de leurs plaies infectées. Assurez-vous donc du confort et de la richesse de votre forteresse car rapidement, des migrants viendront en masse. Au bout de quelques années in-game, vous vous retrouverez à devoir loger une centaine de nains dans les profondeurs de la montagne ou dans des bâtisses extérieures que vous aurez fait construire. A vous de vous occuper de leur bien-être afin d'éviter une dépression générale qui pourrait bien se terminer en guerre civile. Il faut également prendre en compte que le jeu attribue aléatoirement à chaque nain identité, personnalité, compétences, relations, croyances et histoire capables de varier selon le temps. Il est donc possible de retrouver des nains de vos anciennes forteresses, eux-mêmes liés historiquement à d'autres nains. Amusant de voir débarquer après trois ans la sœur de votre chef de groupe ; celle qui s'est fait arracher le bras par un corbeau géant lors d'une ancienne partie.
Car il ne suffit pas d'avoir des réserves de bière pour protéger votre petit nid, c'est toute une armée que vous devrez aussi entraîner pour résister contre les envahisseurs. Ça commencera par la visite d'un voleur kobold, puis viendront ensuite les raids de gobelins couplés aux titans. Vous aurez l'opportunité du choix pour votre système de défense. Opterez-vous pour des fossés tapissés de pieux reliés à des plaques de pression ? Préférerez-vous construire des pièges à lave actionnables par un levier ? Vous pourrez même améliorer ces fourberies artisanales en récupérant matériel et items gagnés au commerce. Occasionnellement, des marchands issus d'autres civilisations viendront en effet frapper à votre porte ; c'est une très bonne opportunité pour faire du troc. Si ces derniers estiment que la valeur de votre tabouret en os de poule n'est pas égale à une hache en bronze noir, libre à vous de piller leurs étals sous la menace de vos habitants. Ce qui n'est jamais très bon pour les relations extérieures, nous sommes d'accord. Tout cela n'est finalement qu'un petit pourcentage des nombreux aspects de Dwarf Fortress que nous devons passer sous silence.
Si vous êtes encore dérangé par le gameplay et la charte graphique du jeu, il est possible de les modifier par le biais des fichiers de configuration (tons des couleurs, texture pack, comportement des raccourcis clavier, de la génération du monde, etc.). Le jeu est encore en développement et tout le travail des développeurs est détaillé quotidiennement sur leur site. Des mises à jour sortent régulièrement pour apporter corrections et nouveautés. Enfin, tout cela ne vous coûtera pas un sou puisque Dwarf Fortress est totalement gratuit. Ajoutez à cela le développement de mods géré par une sympathique communauté et vous aurez tous les outils entre vos mains pour apporter questions et idées au projet. Il est quasi impossible de maîtriser ce jeu à 100%. D'ailleurs on le paye au prix fort. Mais là est toute la philosophie du jeu : s'amuser même en perdant (« Losing is fun »).
Dwarf Fortress est un véritable challenge pour tous les amoureux de gestion. Il est n'est pas aisé d'établir si c'est un jeu difficile ou pas, car il l'est dans sa complexité : adaptation et anticipation sont les mots-clés pour tenir le plus longtemps possible. Ajoutez à ça les descriptions des combats et situations les plus cocasses. Un véritable casse-tête pour l'esprit, mais ô combien plaisant lorsque vous parvenez à atteindre vos objectifs.