Il s'agit d'une tendance lourde dans le monde du jeu vidéo. Les éditeurs essayent aujourd'hui de rentabiliser l'argent investi dans les productions d'envergure en ciblant un public aussi large que possible. Quitte à altérer l'ADN de la série. C'est exactement ce qui arrive à Splinter Cell depuis Conviction. Avec Blacklist, Ubisoft réaffirme son envie de ne pas cantonner le jeu au genre exigeant qu'est l'infiltration mais d'offrir un gameplay simplifié, ouvert, s'adaptant aux envies de chacun.
Le groupe terroriste nommé The Engineers (Les Ingénieurs en français) aime très peu la manière dont les Etats-Unis conduisent leur politique étrangère. Aussi, ses membres ont tout simplement décidé de demander aux Américains de retirer leur armée de tous les pays où elle est présente. Pour être certains de se faire entendre, ils menacent par ailleurs d'attaquer les intérêts US à travers le monde. Un compte à rebours annonce même le moment auquel se produiront les attentats sur les différentes cibles. Pour faire face à une telle situation, le gouvernement américain n'a d'autre solution que de faire appel à ce bon vieux Sam Fisher et de lui confier la responsabilité d'une nouvelle unité nommée Echelon 4. Il s'agit là d'une équipe réduite qui fait fi des lois, ne rapporte qu'au Président des Etats-Unis et opère en toute discrétion pour mettre à mal les plans du groupe terroriste.
L'une des particularités de l'unité dirigée par Sam Fisher tient au fait que son QG se trouve à bord d'un avion furtif répondant au doux nom de Paladin. L'appareil revêt une importance particulière car le joueur est amené à y revenir en permanence. C'est en effet au sein de ce hub original que l'on trouve la carte du monde sur laquelle sont indiqués les points chauds, les endroits susceptibles de faire l'objet d'une intervention. Autrement dit, on y voit les missions solo liées à la trame principale mais aussi celles jouables en coopération (plus auxiliaires). A priori, on pourra aussi directement accéder aux DLC à partir de cette map. De quoi lier l'ensemble à l'histoire du jeu et rendre la navigation plus simple en évitant aux joueurs de repasser par quinze menus pour accéder aux différents contenus.
Mais le Paladin, c'est aussi un endroit où le joueur est libre d'évoluer. Il peut se balader dans chacune des pièces de l'appareil mais également discuter avec ses coéquipiers, à savoir la responsable de la logistique Anna Grimsdottir, l'agent de la CIA Isaac Briggs et l'informaticien du groupe, Charlie Cole. Ces dialogues permettent d'avoir un éclaircissement sur certains points du scénario. Les développeurs nous ont par ailleurs promis que la petite troupe serait pleinement impliquée dans les opérations et qu'elle émettrait par exemple des avis tranchés sur les méthodes que vous employez sur le terrain. Ils restent tous en contact permanent avec vous au cours des missions. Un peu à la manière des informations affichées directement dans les environnements dans Conviction – astuce par ailleurs toujours utilisée ici -, l'image des trois coéquipiers est ici projetée dans le décor. Ce qui permet d'avoir des briefings n'importe quand. Bien évidemment, les trois compères interviennent également directement sur le terrain pour donner des coups de main à Sam. Pour en finir avec le Paladin, le joueur peut améliorer différentes parties de l'avion : le cockpit, la salle des commandes, les cabines de l'équipage et ainsi de suite. Outre une incidence visuelle, cela permet de débloquer différents avantages concrets comme par exemple une régénération plus rapide de la vie de Sam en cas d'upgrade de l'infirmerie.
Par ailleurs, Blacklist propose évidemment au joueur de personnaliser son avatar. Aussi, avant chaque mission, il est possible de déterminer quel équipement Sam Fisher va embarquer au cours de la future intervention. On améliore sa combinaison, on achète des armes, des gadgets et on les équipe ensuite avant de partir au combat. Le jeu se propose par ailleurs d'offrir des récompenses différentes en fonction de la manière dont chacun procède durant les missions. Il existe trois styles de jeu différents : Fantôme pour ceux qui ne tuent personne et restent discrets en permanence ; Panthère pour ceux qui jouent la carte de la furtivité mais assassinent leurs ennemis ; Tank pour ceux qui foncent dans le tas et éliminent tout ce qui bouge. En fonction de ses actions, on marque des points dans chacune de ces catégories. Le jeu affiche votre bilan à chaque fin de mission. Sachez par ailleurs que le profil du joueur est commun au solo, au coop et au multi.
Grâce à son avion, l'unité Echelon 4 est donc en mesure d'intervenir un peu partout dans le monde. Une bonne justification pour balader le joueur de pays en pays et varier de ce fait les environnements. Ainsi, nous avons pu prendre part, manette en mains, à une première mission se déroulant de jour à Benghazi, en Libye. L'objectif : réussir à capturer Andriy Kobin, une vieille connaissance, afin de l'interroger de façon musclée sur ce qu'il sait à propos de ces fameux " Ingénieurs ". Une opération rendue complexe par l'omniprésence d'ennemis dans les rues du pays africain. L'autre mission nous emmenait à Londres, dans une usine abandonnée, à la recherche d'indices sur le leader du groupe terroriste qui menace les Américains. En dépit de deux séquences imposant la manière d'agir - l'une demandait de ne pas être vu, l'autre de tuer tous les ennemis -, on a parfaitement ressenti au cours de ces deux missions la volonté d'Ubisoft de laisser le choix de l'approche au joueur. Le level design a été conçu dans ce sens. Les environnements regorgent ainsi de moyens de rester discret, des simples zones d'ombre au sein desquelles se cacher, aux multiples corniches auxquelles s'accrocher en passant par les conduits d'aération permettant de se suspendre.
Pour profiter des avantages offerts par chaque niveau, il nous fallait un Sam Fisher en grande forme. Et cela tombe bien car jamais l'agent secret n'aura paru aussi agile. A la manière d'un personnage d'Assassin's Creed, il se déplace avec une aisance impressionnante. En quelques secondes, il parvient à escalader les parois les plus abruptes. En un sens, cela renforce le côté infiltration car notre héros est désormais capable de réaliser de véritables prouesses physiques pour ne pas être repéré. Toutefois, il ne faut pas se leurrer, le fait d'accentuer la mobilité du personnage sert clairement la volonté des développeurs de rendre les scènes d'action plus fluides, plus dynamiques. Et cela fonctionne ! Enquiller les combats tête baissée n'est clairement pas un souci. D'autant que l'on dispose désormais de la possibilité d'utiliser le fameux Mark and Execute en mouvement. Il suffit pour cela de désigner ses cibles puis d'appuyer sur le bouton approprié alors que l'on sort de sa cachette. Se lance alors une courte séquence au ralenti pendant laquelle Sam abat froidement ses ennemis sans que vous n'ayez rien à faire. Une action classe mais qui met toujours à mal toute notion de challenge.
Si on peut donc tout à fait prendre Blacklist comme un vrai jeu d'action en enchaînant les gunfights derrière de multiples couvertures, rester discret décuple toujours le plaisir de jeu. Tout simplement parce que cela requiert du doigté et une bonne dose de réflexion. Quel bonheur de jouer avec les zones d'ombre, de planquer les corps, d'utiliser les multiples gadgets comme des lunettes thermiques ou un drone permettant d'explorer l'environnement avant un assaut... Reste tout de même l'absence totale de tension due au fait que l'on peut aligner des dizaines d'ennemis sans sourciller. On sent que le rythme du jeu, dans la dynamique des évènements, que l'infiltration n'est plus une priorité. Mais lorsque l'on y met du sien et que l'on ne cède pas à la facilité, on croit de temps à autre apercevoir le fantôme du Sam Fisher version début des années 2000.
Inutile de vous dire qu'avec Blacklist, Ubisoft n'a pas fait machine arrière concernant l'orientation de la série Splinter Cell. Il s'agit même là du digne héritier de Conviction, dont il reprend et perfectionne les principales mécaniques. Une fois le constat digéré, il faut reconnaître que la formule fonctionne plutôt bien. A l'exception de quelques séquences complètement scénarisées pas forcément très intéressantes, les joueurs se voient ainsi offrir une vraie liberté d'approche lors des combats. Le level design et les incroyables capacités de Sam Fisher permettent d'envisager toutes les solutions. Blacklist marque aussi des points grâce à son système de personnalisation et sa nouvelle interface, conçus avec intelligence. S'il a définitivement perdu cette singularité, ce surplus de personnalité propre aux jeux construits autour de l'infiltration, ce nouvel épisode s'annonce donc tout de même engageant.