Maniac Mansion, Monkey Island, Zak McKraken ... Ron Gilbert n'est pas qu'un développeur de jeux, pour beaucoup, c'est une véritable idole du point'n click et du jeu vidéo tordu et drôle. Retrouvant son prestigieux collaborateur des grandes années Lucas, Tim Schafer, il s'offre un come-back attendu de longue date et revisite son propre style en nous entraînant dans les tréfonds d'une caverne qui parle.
The Cave, c'est un peu la rencontre de deux mondes, l'esprit des point'n click LucasArts et une approche moderne qui fera moins fuir ceux que l'idée de pointer et de cliquer pourrait rebuter. Avec The Cave, Gilbert propose de revisiter ses propres principes fondateurs, ceux établis dans Maniac Mansion et repris dans sa suite The Day of The Tentacle, mais avec de nouveaux héros et une caverne qui vient remplacer le manoir Edisson. Et il n'est sans doute pas anodin que les explorateurs de ces souterrains mystérieux soient au nombre de sept, chacun pourvu d'une capacité spéciale et qu'on doive en choisir trois, exactement comme dans Maniac Mansion. Mais d'abord, c'est quoi cette caverne ? Un lieu étrange, une gigantesque grotte douée de parole et qui fait office de narrateur, observant depuis des millénaires les humains venus chercher l'objet de leurs désirs dans ses tréfonds renfermant bien plus que des boyaux de roche, puisqu'elle abrite une île déserte, une base de lancement nucléaire, une fête foraine, un château, un manoir familial londonien et bien d'autres choses encore. Quant aux dits héros, ils sont au choix couards, avides de gloire, cupides, jaloux, aigris par un amour non réciproque. Bref, tout sauf nobles et bien intentionnés et prêts à toutes les bassesses, qui leur reviendront généralement en pleine figure. Même le moine zen n'est là que pour prendre la place de son maître que son incompétence l'empêche de détrôner à la loyale.
Ron Gilbert a brièvement travaillé avec Telltale Games (autre refuge d'anciens de LucasArts) en tant que conseiller durant le développement de Tales of Monkey Island. C'est peut-être là que lui est venue l'idée de faire un vrai-faux point'n click, dans lequel on prend directement le contrôle des personnages. Dans The Cave, on joue comme dans un jeu de plates-formes en 2D. On avance, on saute, on grimpe, mais on ne meurt pas si on tombe, et on ne se bat pas. En revanche, on actionne des mécanismes, on pousse des bidules et on collecte des objets, même si le jeu ne comprend pas d'inventaire, un seul objet à la fois pouvant être transporté par chaque personnage. Une fois son trio de départ constitué, on peut se lancer dans l'exploration, après avoir fait la connaissance du guichetier qui nous laissera poursuivre la visite une fois qu'on lui aura fourni de quoi achalander sa boutique de souvenirs. Une phase d'apprentissage pour découvrir tout seul comme un grand, et sans tutorial lourdingue, comment faire coopérer nos trois persos.
L'exploration se fait en ligne droite. On suit un court chemin qui nous mène à une zone de jeu spécifique dont la sortie est évidemment bloquée. Chaque zone correspond à une situation donnée et se compose de plusieurs niveaux et salles diverses. Elles sont soit dédiées à l'un des personnages, soit communes à l'aventure complète. La première chose à faire est bien sûr d'explorer l'endroit, de repérer les objets avec lesquels on peut interagir, ceux qu'on peut collecter et d'essayer de voir comment l'ensemble va s'emboîter pour faire évoluer les choses, les unes après les autres. Si de loin, The Cave ressemble à un jeu de plates-formes, en pratique, il reste bien un jeu d'aventure basé sur une succession de puzzles. Si on n'échappe pas à des leviers dispersés dans le niveau, qui doivent être activés simultanément, il existe nombre de mini casse-tête. Dans une base de lancement nucléaire, il faudra par exemple trouver un moyen d'atteindre une grenade incapacitante qu'on placera devant une bouche d'aération, ce qui permettra d'endormir un garde deux étages au-dessus afin de laisser le passage à un de nos compagnons, trouver le code d'un ordinateur en se basant sur le menu du jour du réfectoire ou encore mettre la main sur un régime de bananes afin d'installer le système de guidage du missile... un singe. Lors de la visite d'une pyramide, deux explorateurs devront dégager le chemin à un troisième en activant à distance trois interrupteurs au sol et on peut également citer cet appel du pied à Day of the Tentacle dans lequel une machine à voyager dans le temps vous permettra d'agir dans la préhistoire pour modifier le futur, par exemple en tuant un dinosaure de façon à faire apparaître du pétrole dans le sous-sol d'un musée.
La marche à suivre pour parvenir à résoudre les puzzles de chaque zone varie légèrement selon les personnages qu'on commande. Par exemple, pour atteindre une clef bien gardée, si on a choisi le chevalier, la scientifique et le bouseux, on devra placer le chevalier dans un ascenseur, utiliser sa compétence d'invincibilité, le faire descendre en commandant l'ascenseur avec la scientifique puis profiter de la diversion offerte pour aller choper la clef avec le bouseux. Mais si vous avez choisi de jouer avec la voyageuse temporelle, il vous suffira de vous téléporter dans la pièce et de vous tirer avec le sésame. En passant, notez qu'il est possible de jouer en mode coop à 3, mais uniquement en local et sans écran splitté, chacun prenant l'ascendant sur les autres joueurs lorsqu'il a les commandes. Honnêtement, on préfère rester tranquille en solo.
Si elles sont souvent bien pensées et qu'elles nécessitent toujours de faire un tour complet de l'environnement, il faut admettre que la plupart des énigmes de The Cave sont plutôt simples. En général, on a un premier temps d'arrêt en se demandant ce qui peut lier les éléments hétéroclites des puzzles, puis une première pièce se met en place, entraînant une suite logique qui mène assez vite à un grand eurêka général. En cela, The Cave est loin des énigmes tordues et crame-méninges des premières créations de Ron Gilbert et le jeu se veut donc bien plus abordable. On pourrait lui en faire le reproche, si on s'ennuyait en jouant. Or, ce n'est absolument pas le cas. Sans être durs, les puzzles ne se résolvent pas seul pour autant et sont surtout agréables (en dehors peut-être de celui de la mine qui oblige à pas mal d'allers-retours pénibles). Mais c'est également le talent d'écriture de Gilbert qui assure le charme et l'envie d'en voir plus. Dans la caverne, tout se mélange, le passé, le présent, les lieux sans aucun lien, les situations loufoques. L'anachronisme et l'absurde sont rois, véritables signatures des jeux de Ron Gilbert de ses débuts jusqu'au délirant DeathSpank. Voir le faux preux chevalier pas fichu de retirer Excalibur du rocher, après avoir eu quelques ennuis avec un dragon et une princesse, et se résoudre à une solution extrême pour se barrer avec ce qu'il estime lui être dû, c'est drôle. Pas d'héroïsme dans The Cave, mais plutôt un cynisme amusé, des personnages un peu débiles qui n'hésitent pas à annihiler tous ceux qui les gênent, et un narrateur millénaire aux commentaires efficaces. Non, le plus gros reproche que l'on peut faire au jeu, c'est la construction de sa progression.
Avec sept personnages, on pourrait penser que The Cave profite d'une forte rejouabilité. Seulement il y a un hic. Une fois le jeu terminé, on le reprend avec un nouveau trio, et là, arrive ce que l'on redoutait depuis un moment déjà : si on a bien droit à trois nouvelles zones dédiées, les zones communes restent identiques. On doit donc refaire une seconde fois la mine, le zoo ou encore l'île déserte. Forcément, quand on connaît la solution, l'intérêt décroît. Et surtout, on met moins de deux heures à faire la traversée. Plus ennuyeux encore, avec un total de 7 personnages pour des équipes de 3, si on veut voir l'histoire du dernier larron, il faut reformer une équipe avec deux protagonistes dont on a déjà tout vu et traverser deux chapitres dédiés une seconde fois et les autres une troisième. Et c'est finalement ce qu'on regrette le plus, que la caverne ne parvienne pas à conserver sa fraîcheur sur le long terme, même si la chose était malheureusement prévisible.
- Graphismes17/20
Une très chouette 2.5D donne vie à The Cave, dans un style cartoon appuyé servant des ambiances légères ou carrément glauques. Le fait que l'action se déroule dans une gigantesque grotte n'implique aucunement un manque de variété dans les décors puisque la caverne abrite tout un tas d'environnements différents, y compris un morceau de mer et une île déserte. Quelques petits ralentissements ont tendance à se produire durant les chargements en streaming. Notez que la version Wii U est un poil moins fluide que les autres, si on les compare côte à côte.
- Jouabilité15/20
Simple et intuitif, The Cave ne s'encombre même pas d'explications, on vous laisse comprendre par vous-même les mécaniques de base, étonnamment accrocheuses. Pour le reste, les puzzles sont plutôt simples mais nécessitent toutefois un bon moment d'observation et sont de toute façon agréables, en dehors d'un ou deux passages forçant trop le trait sur les allers-retours. En plus de la simple possibilité de passer d'un perso à l'autre via la croix directionnelle, il est possible de les sélectionner sur l'écran tactile. Ce qui ne sert pas à grand-chose.
- Durée de vie14/20
A la louche, comptez environ 4 à 5 heures, en comptant large et selon votre force de déduction, pour boucler le jeu une première fois. Fatalement, les traversées suivantes seront plus rapides, moins de deux heures, puisqu'une partie des lieux traversés auront déjà dévoilé leurs secrets. Au total, on atteint grosso modo la huitaine d'heures pour environ 12 euros.
- Bande son17/20
La Caverne profite d'un excellent doublage (en anglais uniquement), de même que les personnages doués de parole que l'on rencontre dans le jeu. Les musiques sont assez rares, cédant la place à des nappes d'effets d'ambiance plus en adéquation avec le rythme de la progression.
- Scénario16/20
Ron "Grumpy Gamer" Gilbert dresse un portrait acidulé des tares humaines : le chevalier est un pleutre doublé d'un escroc, la scientifique est aussi cupide que peu éthique, l'amour est jaloux et ainsi de suite. The Cave joue la carte de l'humour noir et du décalage, dans une atmosphère confinée à laquelle on accroche tout de suite. Peut-être pas aussi dingue que DeathSpank, mais tout aussi charmeur.
Les fans de Gilbert attendaient The Cave avec impatience. Dans l'esprit, pas de quoi être déçu, l'ambiance et l'écriture sont là, même si les habitués de la prise de tête trouveront forcément les puzzles trop accessibles. Mais c'est surtout l'obligation d'avoir à refaire certains passages obligatoires pour avoir la chance de connaître l'histoire des 7 personnages qui s'avère regrettable. Une lacune toutefois compensée par le charme de l'univers mis en place par Double Fine. Typiquement le genre de titres pour lequel on a un gros coup de coeur.