A coups de suites, remakes et versions dématérialisées, le mythique studio Treasure entretient depuis quelques années maintenant ses titres phares. Gunstar Heroes et Alien Soldier pour le run 'n' gun, Guardian Heroes pour le beat'em up, Radiant Silvergun et Ikaruga pour le shoot'em up, Sin and Punishment pour le rail shooter... excusez du peu ! La liste n'est toutefois pas exhaustive et parmi les titres plus dispensables ou tout simplement méconnus, Silhouette Mirage est sans doute celui qui profiterait le plus d'un tel traitement. En attendant, notre coup de rétro se porte aujourd'hui sur la version originale japonaise sortie sur Saturn.
L'histoire de Silhouette Mirage, sans être obligatoire pour apprécier le jeu, se révèle de plus en plus riche et complexe sous ses airs enfantins. Après des expérimentations génétiques plutôt glauques, l'humanité se retrouve divisée entre Silhouette et Mirage, deux attributs à la fois complémentaires et opposés : les Silhouette, de couleur bleue, privilégient la force, tandis que les Mirage, de couleur rouge, privilégient l'intelligence. Une guerre infinie a lieu entre chaque attribut depuis l'Armageddon scientifique, et notre personnage, Sinna Neutlarva Sinner, est réveillé pour y mettre un terme. Sinna est une petite fille pleine d'entrain et de malice, douée des deux attributs mais frappée d'amnésie depuis son éveil. Avec l'aide du système informatique Gehenna, elle s'élance vers sa mission sans se poser de question : retourner au système Eden, afin de réinitialiser tous les attributs et revenir avant l'incident qui divisa l'humanité. Dès le début du périple pourtant, la question se posera de savoir si Sinna a raison de se présenter comme “Messagère de la Justice” quand d'autres la connaissent comme “Messagère de la Destruction”. L'intrigue, renforcée par les nombreuses références bibliques, finit par former une parabole étrange, sans dieu ni enseignement bien arrêté. Les différentes fins sont si nuancées et ouvertes qu'aucune ne nous laisse clairement l'impression d'avoir eu une “bonne” ou “mauvaise” fin, même si l'une d'elles sort du lot grâce à un générique exclusif particulièrement touchant. L'histoire mérite donc qu'on s'y attarde, même si elle reste tout à fait appréciable lorsqu'on se contente d'en savourer l'humour et le casting, pour le moins haut en couleur !
Avec cette histoire de couleurs, on pourrait vite penser qu'on a affaire au précurseur du célèbre Ikaruga ou du plus récent Outland, avec un système de changement de polarité par un simple bouton. Mais après avoir exploré les profondeurs de la 2D avec le très bon jeu de combat Yū Yū Hakusho : Makyō Tōitsusen et Guardian Heroes, c'est au "profil" que s'intéresse Masaki Ukyo. L'idée est aussi simple que redoutable : dans un jeu en 2D, le personnage est le plus souvent vu de profil, gauche ou droit, selon la direction qu'il prend. Sinna possède ainsi un profil Mirage (droit) et un profil Silhouette (gauche), avec ce que cela implique lors des combats. On peut s'opposer directement à un attribut différent au risque d'être soi-même détruit, renvoyer l'attaque d'un attribut identique, ou vider celui-ci de son énergie spirituelle (ce qui l'empêche d'attaquer). Il est aussi possible d'inverser ses attributs mais, en plus d'être largement inutile, cette technique coûte tout un tiers d'énergie spirituelle, ce qui diminue la puissance de feu de Sinna et la taille de son bouclier réflecteur (dans le même genre, la super-attaque est sympathique sans être très utile).
Cet éventail de possibilités est nourri par la grande mobilité de notre petite héroïne, capable de bien des prouesses et notamment dotée d'un dash, d'un triple saut, et d'une brève glissade. La panoplie du parfait Gunstar Heroes est aussi de retour puisque Sinna peut attraper un ennemi et lui faire visiter les quatre coins de l'écran, ou même lui soutirer son argent à grands renforts de coups de cheveux. Pas mal pour une petite fille ! L'argent récolté permet ensuite de se refaire une santé, de remplir son énergie spirituelle, ou d'acheter l'un des sept parasites faisant office d'armes. Ces parasites sont déclinés en différents niveaux au fur et à mesure de la progression mais il existe également des boutiques secrètes pour dégoter une arme de niveau six sans attendre la fin de l'aventure. Un détail bienvenu pour qui souhaite se soustraire à la récolte d'argent tout au long du jeu, le temps d'une partie rapide par exemple.
Car Silhouette Mirage reste un titre old-school, qui ne demande pas plus d'une ou deux heures pour en voir le bout une fois le gameplay maîtrisé. La courbe de progression est celle d'un Contra : on a l'impression que c'est très difficile au début, mais bien vite, on finit par piger le truc, et on s'engouffre alors dans l'inévitable boss rush concocté par Treasure. La première chose à savoir alors, c'est qu'on a affaire à un Treasure accessible, voire carrément facile à partir du moment où on l'a terminé une fois. Il faut vraiment attendre le cinquième niveau pour rencontrer des boss dangereux en toute occasion, capables de contrer Sinna et de la déborder lors de face-à-face toujours tendus. Pour le reste, les petits groupes d'ennemis servent davantage à s'exercer et à récupérer des items qu'à autre chose ; il est d'ailleurs tout à fait permis d'en épargner certains. Cette accessibilité est bienvenue le temps de prendre en main la richesse du soft, mais les amateurs de challenge doivent également savoir qu'un mode Very Hard bien plus franc est accessible dans le menu d'options caché (voir notre section astuces pour plus d'informations). Après quelques parties d'entraînement, n'hésitez pas à redresser la barre si vous le sentez car la vitesse et la puissance des attaques adverses rendent les duels beaucoup plus jouissifs !
A partir de là, le soft peut se jouer de plusieurs manières. Il est bien sûr possible d'y aller direct, en utilisant le laser Gluttony complètement cheaté ou l'une des armes cachées pour démolir tout sur son passage (ça risque de faire mal vers la fin par contre, mais vous verrez, vous aimerez aussi). On peut également se faufiler entre les ennemis de manière plus méthodique, exploiter au maximum les différentes projections, et dévaliser n'importe quel malheureux sur notre chemin, y compris les boss ! Là, Silhouette Mirage nous offre pas mal de subtilités, et on commence à positionner nos adversaires, à tester les différentes armes, à créer des combos, etc. Insistons d'ailleurs sur la variété des armes car, même si certaines sont d'un maniement assez étrange au premier abord à cause de la visée semi-assistée, il faut prendre le temps de les essayer toutes pour remarquer combien chacune est unique. Lusty permet par exemple de créer des nuages toxiques redoutables quand on sait s'en servir, Angry offre de quoi bombarder à cœur joie à l'aide de bombes ou de mines à retardement... Le parasite de l'arme autoguidée, Covetous, a même le bon goût d'effacer l'un des petits défauts du jeu, à savoir la possibilité de détruire les tirs ennemis d'un attribut différent. En effet, ce détail s'intègre très mal au game design de Silhouette Mirage et, s'il ne ruine pas non plus l'expérience, on apprécie de pouvoir se concentrer totalement sur l'esquive et le changement de profil grâce à cette arme finement équilibrée.
Est-il nécessaire de poursuivre, pour vous toucher quelques mots de la réalisation, quand on connaît tout le savoir-faire du studio en la matière ? Oui ! Ne serait-ce que pour rendre hommage à ce talent indéniable, nous servant une fois de plus une 2D magistrale. En fait le seul problème notable vient ici de la gourmandise et du panache de Treasure qui, à force de générosité, provoque quelques ralentissements malvenus. Il aurait sans doute été facile de les supprimer, mais non ! Le studio a tenu à nous régaler avec des sprites énormes, des zooms, des arrière-plans animés, et même plein d'effets de transparence, comme s'il leur fallait absolument montrer que oui, la Saturn peut bel et bien afficher des effets de transparence (attendez un peu de voir le dernier boss du niveau trois) ! Silhouette Mirage possède un style unique assez proche de son scénario, sorte de mélange entre le loufoque d'un Dynamite Headdy et un réalisme déroutant. On finit par le comprendre d'autant mieux que les musiques associées aux moments cruciaux – les Guardian Angels de fin de niveau, et toute la fin du jeu à partir du niveau cinq – osent accompagner notre mission d'envolées lyriques, héroïques ou mélancoliques, qui nous ramènent à cet équilibre étrange entre folie et réalité (dans ce registre le combat contre Seraphim01 est juste inoubliable). Les autres compositions ne sont pas en reste puisqu'on se retrouve condamné dès le premier niveau à en fredonner le thème, furieusement entraînant ! Avant de se laisser bercer par la petite valse du niveau trois... Et ainsi de suite, selon cette douce diversité musicale qui anime, avec justesse, la grande aventure d'une mystérieuse petite fille et de tout un monde présentés par... Treasure.
- Graphismes18/20
Alors oui, nous sommes en 1997 et les capacités 3D de la Saturn ne sont pas exploitées, mais la belle est au départ conçue pour nous offrir de la 2D, et quelle 2D ! La console de Sega se régale et nous régale grâce à ses nombreuses parallaxes, avec notamment un effet miroir somptueux pendant toute la seconde partie du deuxième niveau. Ce festival d'effets pèse parfois sur une animation déjà énorme au point d'accuser quelques ralentissements, mais l'ensemble reste très solide. Que ce soit à travers les séquences animées, le character design, ou les décors, on savoure de bout en bout ce style unique et bourré de trouvailles.
- Jouabilité18/20
L'idée d'un run 'n' gun aussi méthodique qu'un puzzle-game est tout simplement brillante, encore faut-il savoir en tenir l'équilibre. ''Silhouette Mirage'' s'en sort par une liberté de jeu plus vaste qu'il n'y paraît au premier abord. Il ne s'agit pas d'un run 'n' gun où chaque arme et chaque technique doit absolument être maîtrisée pour en voir le bout comme dans ''Alien Soldier'' par exemple. Ici la variété des armes est plus là pour permettre au joueur de créer sa propre façon de s'amuser, quitte à ce que ce soit un peu artificiel. Après quelques parties, on finit donc par dompter l'impressionnante panoplie d'actions de notre héroïne pour aller défier les nouveaux boss imaginés par le studio. Du délire, du grandiose et du bien retors : du Treasure !
- Durée de vie14/20
Cette progression principalement axée sur les boss rend toutefois l'aventure très facile une fois la découverte passée. L'aspect un-contre-un n'est pas forcément idéal ici car Sinna peut souvent se contenter de se caler d'un côté ou de l'autre sans trop de risques. Fort heureusement, le dernier tiers du jeu redresse la barre et il existe pas mal de moyens pour prolonger le plaisir. Et puisqu'il y a plusieurs fins et plusieurs boss de fin, pourquoi ne pas tout recommencer en inversant dès le début nos profils ?
- Bande son17/20
Il n'y a pas de véritable défaut à cette bande-son. Au pire, vous croiserez trois ou quatre thèmes pas spécialement marquants en eux-mêmes, mais la mise en scène et le contraste parmi les différentes pistes risquent au contraire de vous les remémorer. Au mieux, vous resterez scotché par l'audace musicale du titre, capable de vous sortir les chœurs et les violons pour sublimer le combat contre un boss complètement dingue. La plupart des personnages disposent en plus de petites phrases ou de petits cris leur conférant un minimum de personnalité, tout en respectant les mélodies.
- Scénario15/20
Sans être indispensable au plaisir de jeu, le scénario permet de comprendre le style de ''Silhouette Mirage'' et les belles séquences animées concluant notre aventure. Avec pour héroïne une petite fille aussi enthousiaste que mystérieuse, pour cadre un univers post-apocalyptique mêlant informatique, mutations et références bibliques, il n'est pas étonnant que le soft soit dans un premier temps resté sur l'archipel japonais. Un petit tour par la traduction de la version PlayStation américaine (directement dans le jeu ou retranscrite) risque en revanche d'être nécessaire pour saisir les motivations de chacun.
Silhouette Mirage est un excellent jeu, mais ce qui est le plus bluffant, et un peu dommage, c'est que Treasure ne semble pas en avoir épuisé l'immense potentiel. Le gameplay en apparence confus sur le papier fonctionne pourtant à merveille, et on aurait voulu encore plus de boss gigantesques, de variations parmi les ennemis de base, de ces moments de tension quand on parvient à rivaliser face à un adversaire redoutable. En espérant qu'un jour Treasure ou d'autres se penchent sur ce petit bijou et nous proposent un jeu encore plus éclatant, on ne peut que vous recommander cette première version Saturn.