Difficile pour un jeu de plates-formes de se démarquer en 2009. Le genre a quelques décennies et tout semble avoir déjà été fait. Comment alors modifier la formule en gardant le tout cohérent ? Comment renouveler le concept pour faire un jeu qui se distingue du reste? L'équipe de Broken Rules semble avoir trouvé les réponses à ces questions.
A l'origine, And Yet it Moves a été créé en tant que projet étudiant à l'université technique de Vienne. Il finira par sortir en 2009 sur PC puis un an plus tard sur WiiWare après avoir été nominé plusieurs fois dans des festivals de jeux indépendants pour ses graphismes originaux et novateurs. En effet, les environnements sont faits à la manière d'un scrapbook paysager, donnant l'impression que les différents éléments du décor ont été découpés directement dans des revues de décoration puis collés et superposés. On se rend vite compte cependant que ce parti pris est particulièrement réussi. La lisibilité n'est jamais prise en faute grâce à une économie des éléments du décor et pourtant les mondes traversés restent constamment enchanteurs. Il ne tiendra alors qu'à vous d'évoluer dans ce monde bidimensionnel en vue de côté, à l'image de Super Mario, en dirigeant un garçon de papier tout en évitant les nombreux obstacles qui parsèment votre route. Mais si le style graphique est étrange, que dire alors des musiques et des bruitages ? Ces derniers sont en effet en grande partie constitués de percussions et de... bruits de bouche ! A cela s'ajoutent d'occasionnels cris d'animaux sauvages. Couplés aux collages, ces sons primitifs donnent un résultat unique indéniablement réussi, se situant quelque part entre l'entêtant et le fascinant. Et ce n'est certainement pas le gameplay qui atténuera cette sensation de vertige.
Celui-ci se base en effet sur la modification de la gravité. Alors que l'on peut déplacer notre petit bonhomme de papier vers la gauche ou la droite et le faire sauter grâce aux touches Z, Q et D, le sens du tableau pivote lui à 90 degrés dans un sens ou dans l'autre lorsque les flèches directionnelles sont enfoncées, sachant que le personnage reste sur le point autour duquel tourne l'ensemble du niveau. Tous les objets non fixés au décor tombent alors avec vous vers le nouveau bas lorsque le tableau est tourné dans un sens ou dans l'autre. Il faut aussi savoir que la force et la direction dans laquelle le garçon se dirigeait sont transposées dans le nouveau plan, permettant de ce fait des sauts impossibles normalement. Par exemple, si le bonhomme saute vers la droite au moment d'un pivotement du tableau, il sera figé lors de la transition puis continuera sa lancée vers ce qui est devenu la droite après le pivotement. Il est ainsi possible d'arriver à un ravin, de sauter vers le vide, puis de pivoter le tableau pour que la paroi devienne le sol sur lequel le personnage atterrira.
On pourra alors utiliser ce principe pour atteindre de nouvelles plates-formes ou pour arriver sur la surface opposée à celle sur laquelle on se tient afin de progresser vers la fin du niveau. Certains segments du jeu doivent être recommencés plusieurs fois, le garçon mourant instantanément au moindre choc un peu trop violent et pouvant tomber hors de l'aire de jeu s'il en atteint les extrémités. Mais la mort n'est jamais trop pénalisante du fait des nombreux checkpoints qui parsèment votre route. Ces points de passage vous indiquent également la direction vers laquelle progresser ; utile dans un monde où le haut et le bas sont relatifs. De toute façon, le jeu n'est en général pas très difficile. Le rythme est lent et les réflexes ne sont que rarement sollicités, d'autant qu'aucune limite de temps ne vous presse. Vous avez ainsi tout votre temps pour admirer les décors traversés, le jeu invitant beaucoup plus à la contemplation qu'au dépassement de soi.
Il y a de quoi d'ailleurs puisque les environnements sont tout à fait propices à l'émerveillement. Le titre commence dans une caverne labyrinthique et plutôt instable, où vous devrez sauter de rocher en rocher. Ce début d'aventure servira de tutoriel, et sera ainsi vite expédié. Les différents plans de collage donnent une impression de grandeur à cette grotte et le sentiment d'égarement n'est que renforcé par son architecture torturée. Vient ensuite une luxuriante forêt de papier, qui se révélera nettement plus difficile et longue, mais aussi plus enchanteresse. La plus grande partie de cette section se déroule à la cime des arbres, où les branches sont tortueuses et font office de plates-formes. A celles-ci sont accrochées des touffes de verdure grossièrement coupées et le sous-bois regorge de fougères et de mousse en papier. Cette jungle paraît toutefois bien normale quand on la compare au troisième et dernier chapitre du jeu, composé d'une superposition de papiers peints hyper-psychédéliques. Ses couleurs chatoyantes et ses motifs irréguliers feront souffrir les personnes sujettes aux migraines, mais pour les autres, ce sera un véritable délice pour les yeux. Ces environnements sont truffés de puzzles rendant le tout un peu plus vivant. Il faudra entre autres diriger des chauves-souris pour qu'elles effraient des iguanes, et apporter une banane à un chimpanzé sans la briser sur des obstacles afin que celui-ci vous libère le passage. Ces figurants renforcent le charme du jeu tout en apportant un renouveau constant aux façons dont le gameplay est utilisé.
Malheureusement, comme dans bien d'autres softs indépendants, le talon d'Achille d'And Yet it Moves est sa durée de vie. L'aventure principale se termine en trois heures en traînant un peu et les quatre niveaux bonus, bien que beaucoup plus corsés, se bouclent rapidement. L'ensemble atteint tant bien que mal la barre des quatre heures de jeu. Evidemment, aucun multijoueur ne vient étoffer le tout, mais on nous propose cela dit quelques modes alternatifs, comme le contre-la-montre ou encore les rotations limitées, ainsi qu'un classement en ligne des runs les plus rapides. Mais au fond, bien que l'aventure soit courte, elle est surtout complète. De nouveaux éléments de gameplay sont introduits régulièrement et sont assez bien utilisés pour ne pas devenir redondants, la traversée des différents environnements du jeu est suffisamment courte pour qu'ils ne deviennent jamais lassants. L'expérience est donc brève, mais riche et satisfaisante.
- Graphismes17/20
Broken Rules a réussi un travail incroyable et novateur en créant un jeu au rendu visuel aussi original. Les environnements semblent être faits à partir de morceaux de photos collés et superposés, à l'image d'un scrapbook. Les différents niveaux ont tous leur identité propre et le tout donne une toile inspirante et parfois carrément bizarre, mais toujours enchanteresse. Le seul bémol tient au dernier monde, qui tourne parfois tellement qu'il peut en donner mal à la tête.
- Jouabilité15/20
Le pivotement du tableau se fait toujours sans heurts et le level design est tout à fait approprié à ce genre de gameplays, sans toutefois relever du génie. Cependant, de nouveaux mécanismes avec lesquels interagir font régulièrement apparition et empêchent donc le jeu de tomber dans la redondance. La fragilité du personnage peut par contre parfois poser problème, celui-ci se retrouvant en miettes au moindre choc un peu trop brutal.
- Durée de vie9/20
Il fallait s'y attendre, la durée de vie n'excède que péniblement les trois heures et les niveaux bonus ne sont qu'un court sursis qui ne profitent de toute façon pas de l'ambiance si particulière de l'aventure principale. Des modes de jeu alternatifs permettent tout de même de retenter l'expérience en s'imposant des contraintes, mais ils seront vite oubliés. Et on a beau se dire que l'expérience était riche en émotions et sans temps morts, le tout reste quand même un peu court.
- Bande son16/20
Les musiques et les bruitages, composés très majoritairement de percussions et de bruits de bouche, transcrivent une atmosphère étourdissante et propice à l'égarement. L'ensemble est très étrange mais pourtant dans le ton, et il est plutôt amusant d'entendre quelqu'un imiter un bruit de froissement de papier lorsque notre personnage se fracasse sur le sol.
- Scénario/
And Yet it Moves est un titre tout simple, avec une mécanique de jeu aussi basique qu'efficace et pourtant, il se démarque complètement tant son univers est unique. Traverser des mondes en papier est ensorcelant et le jeu vous laissera sans voix plus d'une fois si jamais vous avez la chance de vous y essayer. Même si certains argueront que le traverser d'un bout à l'autre est court, le constat est implacable : l'expérience est sans pareil et vaut largement le détour.