Le studio Aprinet, ça ne vous dit rien ? C'est normal. Après s'être fait la main sur l'illustre anonyme F-1 Super License pour la Super Nintendo, cette compagnie n'a proposé qu'un shoot'em up sur Mega Drive avant de disparaître. Eliminate Down, longtemps resté tout aussi obscur, n'est sorti qu'au Japon et en Corée du Sud. Aujourd'hui, il atteint des sommes astronomiques dans toutes les boutiques d'import rétro : comptez entre 200 € et 500 € selon l'état... Ce prix s'explique bien sûr par la rareté de la cartouche, mais aussi et pour une fois par la qualité du contenu ! Coup d'œil sur une étoile filante du jeu vidéo.
Nous sommes en juin 1993, tout a été dit côté shoot horizontal sur Mega Drive et la série Thunder Force règne parmi une ribambelle de portages arcade et de titres originaux. C'est dans cette situation que l'équipe d'Aprinet va puiser pour créer son propre jeu, n'hésitant pas à mélanger des styles très différents. Dans Eliminate Down, les amateurs reconnaîtront notamment un gameplay inspiré du terrible Hellfire, puisque le vaisseau dispose dès le début de tirs allant chacun dans une certaine direction. D'une simple pression sur le bouton A ou C, notre engin passe ainsi d'une arme à l'autre pour répondre à chaque nouvel assaut. Mais là où Hellfire proposait quatre armes très semblables (un laser droit devant, un laser droit derrière, etc.) et aucune arme principale, Eliminate Down propose trois armes différentes, associées à un tir principal avant. On a ainsi un concentré de boulettes frontales, puis des bombes larguées au-dessus et en dessous du vaisseau, puis une vague laser arrière. Ces trois armes secondaires peuvent être améliorées en accumulant des power-up : le tir avant devient plus concentré, les missiles n'explosent plus au sol mais suivent les contours, les petites vagues arrières se mettent à rebondir sur les murs. La variété est donc de mise, d'autant plus que l'arme principale peut elle aussi être améliorée grâce à un item spécial, pour se transformer en un fin et puissant laser capable de traverser les ennemis. Le dernier power-up, mais pas le moindre, est tout simplement votre précieux bouclier, permettant d'encaisser trois coups.
Avec un tel arsenal, on pourrait s'attendre à ce que le titre suive Hellfire et ses suites d'ennemis bien géométriques, mais on trouve aussi chez le soft une ambiance, une énergie digne des Thunder Force, mêlée à des labyrinthes organiques hérités de R-Type. L'aspect négatif de ce triple mélange est que le jeu ne peut pas pousser jusqu'au bout son style, et flotte parfois entre l'un ou l'autre. Les boss en particulier, même s'ils sont souvent impressionnants, peuvent presque tous être vaincus sans changer d'arme. L'aspect positif en revanche est qu'on ne sait jamais de quelle façon le jeu s'y prendra pour nous manger au prochain tournant. Il y a des exceptions parmi les différents boss, et les niveaux eux-mêmes varient assez souvent pour nous maintenir dans un état d'incertitude loin de toute routine. Eliminate Down se permet de belles surprises dans ses mécanismes, ses situations, ses ennemis, pour mettre conjointement à l'épreuve nos réflexes de gamer et notre sens tactique. En se faufilant entre deux ennemis redoutables mais inoffensifs du moment qu'ils ne sont pas agressés, et une dizaine de petites tourelles en train de nous ajuster, il faudra choisir : soit l'attaque, soit l'esquive, à nos risques et périls ! Dans cet esprit, il est possible de régler la vitesse du vaisseau sur une grande amplitude dans le menu pause (même si la vitesse par défaut est déjà bien équilibrée) afin de négocier au mieux les nuées d'ennemis qui surgissent çà et là, ou les pièges du scrolling se dévoilant au fur et à mesure que notre cœur palpite.
Il faut le dire, Eliminate Down nous en fait baver ! La combinaison de styles et les surprises du soft obligent la plupart du temps à tout recommencer, afin d'apprendre par cœur le déroulement d'une séquence jusqu'à atteindre la suivante, et ainsi de suite. Ce déroulement, assez normal pour un shoot'em up, souffre malheureusement d'un gros déséquilibre dans la répartition des items. Vous venez de perdre une vie, et donc toutes vos améliorations ? Certains passages deviennent alors quasi impossibles, et c'est ainsi que l'on se retrouve paumé avec ses dix continues qui défilent, noyé sous les assauts ennemis en début de niveau, résigné et déjà debout pour aller appuyer sur ce fichu bouton reset... Eliminate Down ne se montre généreux que pour mieux vous asphyxier ensuite. Il impose une certaine patience et une certaine probité pour appréhender ses différents styles, notamment grâce à la hitbox extrêmement fine et précise du vaisseau. En effet, comme l'indique la tonitruante introduction du jeu, seul le point central du Steel Pyron est vulnérable : les ailes, le nez, et une partie de l'arrière peuvent donc sans problème traverser les tirs ou les obstacles. C'est grâce à ce détail essentiel que le gameplay du titre prend toute sa dimension, dans ce mélange parfois déstabilisant mais souvent jouissif entre vitesse, stratégie et précision.
Même si le jeu présente quelques ralentissements, couplés à des effacements de sprites, vous n'aurez pas l'excuse d'un quelconque problème de lisibilité ou autre. Ces deux soucis ne posent en effet pas de gros problèmes puisqu'ils se compensent l'un l'autre et ne se manifestent qu'en de rares endroits, comme dans Thunder Force IV. Pour le reste, la réalisation de ce Eliminate Down est tout simplement réussie, profitant encore une fois de ce mélange de styles tout en y ajoutant sa touche propre. Notre périple progresse dans la cohérence jusqu'à un certain point, pour délaisser peu à peu les environnements spatiaux et s'enfoncer dans le corps d'une immense forteresse techno-organique, où les arrière-plans se mettent littéralement à respirer... Aprinet nous montre que la valeur n'attend pas le nombre d'années grâce à des effets visuels omniprésents et maîtrisés, en particulier des effets de rotation et d'ondulation. On rencontre également quelques jeux de parallaxe avec les différents plans, qui pour une fois ne prêtent pas à confusion entre ce que l'on peut traverser ou non ; mention spéciale sur ce point au mini-boss du Round 6, petite perle qui réussit à rendre intuitif un choix d'ordinaire contre-intuitif. La mise en scène bénéficie dans l'ensemble d'un soin évident grâce aux nombreux changements graphiques mais aussi musicaux, qui osent souvent nous offrir pas moins de quatre pistes par niveau ! Ces thèmes souvent inspirés accompagnent l'action à chaque seconde, avant de céder la place à des morceaux totalement endiablés sous l'assaut des boss. Et ne parlons même pas du boss final, trop pris dans son headbanging pour vous remarquer !
L'élève dépasserait-il donc ses maîtres ? N'allons pas si loin. Eliminate Down est clairement l'un des meilleurs shoot'em up de la Mega Drive, tous styles confondus. Maintenant, il risque de décevoir un peu tout le monde sous tel ou tel aspect, qu'il s'agisse de quelque chose de général comme l'effort de mémorisation exigé par le soft, ou d'un détail comme le bruitage complètement raté du laser. Les amateurs de scoring seront particulièrement déçus du système assez classique du jeu (ramassez des bonus, détruisez les ennemis, ne perdez aucune vie, etc.), gâché par la possibilité de gratter des points à l'infini sur n'importe quel boss. On peut également regretter que les boutons A et C n'aient pas des fonctions différentes, ne serait-ce que pour sélectionner les armes secondaires plus vite, à la manière de Thunder Force II sur la même console. La présence d'un mini-jeu permettant de débloquer le choix du niveau nous laisse tout aussi perplexes, quand il y avait manifestement mieux à faire pour peaufiner la progression principale. Ce sont des petits riens comme ceux-là qui, au bout du compte, minent l'excellence indéniable du soft et l'empêchent de détrôner ses modèles. Nous vous conseillons donc vivement de l'essayer, mais sans céder à son prix abusif : émulation, reproduction par cartmod, cartouches flash... Les moyens ne manquent pas pour rattraper cette étoile filante du jeu vidéo.
- Graphismes18/20
Malgré ses références constantes, le titre parvient à maintenir une cohérence remarquable au fil de ses variations. L'emploi à bon escient de nombreux effets, la réalisation de qualité, et l'implication des décors dans le gameplay, tout cela nous fait justement oublier qu'il s'agit de décors, pour nous donner l'impression de traverser un univers vivant, grouillant et hostile. Le style biomécanique, parfois proche des œuvres de Giger, évolue au fil du temps et nous offre son lot de délicieuses bizarreries pour compenser un léger essoufflement, après l'orchestration grandiose des premiers niveaux. Seul le Round 7 se montre décidément austère, mais cette rupture de ton et de style convient parfaitement à ses mécanismes originaux et cruels. Ce sont vraiment les quelques problèmes techniques, les effacements de sprites lors de certains mini-boss surtout, qui entachent ce beau tableau.
- Jouabilité18/20
La configuration des touches et l'aspect stratégique des affrontements contre trois ou quatre boss auraient pu être encore meilleurs. C'est indéniable, mais c'est aussi du pinaillage. Le Steel Pyron se pilote avec doigté et précision une fois ses caractéristiques bien intégrées, sans avoir même recours à la possibilité de régler sa vitesse. Grâce à une hitbox millimétrée et à un armement intelligemment pensé, notre vaisseau ne se transforme pas en monstre surpuissant et ennuyeux, capable de réduire tout à néant le temps d'une promenade. Vous devrez vraiment maîtriser votre engin pour en tirer le meilleur parti. Une fois cet effort fait, vous pourrez alors savourer l'alliance d'un gameplay étonnamment riche et d'un design de folie, où les possibilités restent multiples même dans les situations corsées.
- Durée de vie14/20
C'est du par cœur ! Mais pas que. Quand il ne s'agit pas tout simplement de mourir pour comprendre le fonctionnement d'un piège, ''Eliminate Down'' vous impose d'agir et de réfléchir à grande vitesse. Aussi, à moins d'avoir fini ''Hellfire'' en mode de difficulté “Yeah, Right” (ah, c'est vous ?), comptez de nombreuses tentatives avant de commencer à percer les défenses du soft, surtout si vous perdez au moment où les power-up se font rares. La richesse de la maniabilité, le challenge imposé et les petits réajustements du mode Hard offrent ainsi une durée de vie correcte, seulement ternie par le système de scoring, archi-classique et défectueux.
- Bande son17/20
Des compositions souvent réussies, mais avant tout une mise en scène travaillée. Voilà l'essentiel de ce que l'on peut retenir des musiques du jeu. Certains morceaux ne durent qu'une minute voire une vingtaine de secondes et pourtant vous vous en souviendrez ! Le travail de Tatsuya Matsumoto fait résonner la Mega Drive pour notre plus grand plaisir, avec des sonorités typiques du support et des rythmes nerveux ou troublants, selon les styles de chaque niveau. On regrettera tout juste la faiblesse de certains bruitages comme celui du laser, un tantinet agaçant, mais les explosions vous décrasseront les oreilles !
- Scénario13/20
''Thunder Force IV'' est le modèle en matière de scénario, et ce n'est pas une blague ! On a donc une rapide introduction orageuse et entraînante, qui annonce les festivités en illustrant les prouesses de notre vaisseau. Le scénario apparaît à la fin et a pour seul mérite d'éviter les gros clichés du genre, sous une jolie musique qui plus est. C'est franchement tout ce qu'on lui demande.
La petite équipe d'Aprinet avait tout compris. Eliminate Down contient tous les ingrédients pour être le meilleur shoot horizontal sur Mega Drive, mais le mélange montre parfois ses limites et accumule de petits défauts. Le côté roublard du soft risque en plus de décourager les moins acharnés, alors qu'une véritable profondeur et un gros plaisir de jeu attendent ceux assez braves pour s'y mettre à fond. Si vous vous sentez de ceux-là, et si vous refusez les moyens bon marché pour obtenir une version du jeu, il est encore temps d'aérer les placards des collectionneurs et de faire chauffer cette cartouche !