Il y a deux écoles lorsqu'on cherche à créer un jeu de rôle tactique. La première consiste à se reposer sur le système qui a fini par s'imposer comme la référence du genre au travers des grosses productions nippones. La seconde étant d'innover pour se démarquer. C'est la voie choisie par Yggdra Union : We'll Never Fight Alone pour se faire une petite place sur le marché.
Le royaume de Fantasinia est en guerre. Subitement attaquée par l'empire belliqueux de Bronquia mené par son implacable leader, la nation autrefois prospère subit un terrible coup lorsque le monarque et son épouse sont sauvagement assassinés par l'empereur Gulcasa. Seule survivante de ce cauchemar, la jeune princesse Yggdra parvient à fuir le château en emportant l'épée légendaire Gran Centurio. Alors que son échappée semble tourner court, le bandit Milanor vient à son secours, attiré par les cris de la donzelle en détresse autant que par l'appât du gain. Les deux compères fuient alors le royaume, Yggdra se promettant de revenir chercher vengeance à la tête d'une armée. Au travers du joueur, la petite troupe grossissante devra manœuvrer intelligemment pour espérer remporter sans trop de pertes les batailles de grande ampleur qui suivront. Comme vous pouvez le constater, le scénario d'Yggdra Union est loin d'être très inspiré. Il faut dire qu'en tant que remake PSP du second volet chronologique de la série de Sting Dept. Heaven, le jeu possède une optique beaucoup plus tournée vers l'invention d'un gameplay peu commun que vers une histoire passionnante. Et comme vous le verrez plus bas, cet aspect-là est tout à fait abouti.
Paradoxalement, le jeu réussit à paraître à la fois très rapide de par l'enchaînement sans temps mort des batailles, mais aussi très lent à cause de la construction de la première partie du scénario. Celle-ci étant uniquement consacrée au recrutement de nouveaux alliés, on a l'impression que les batailles s'enchaînent sans grands liens avec la situation d'origine de notre héroïne, d'autant que les protagonistes ont le chic pour se mêler de situations qui ne les concernent pas et que ce sont les mêmes adversaires qui viennent inlassablement leur barrer la route. Ce n'est qu'au bout d'une dizaine d'heures, soit à peu près le temps que met le jeu à distiller ses tutoriaux, que le scénario arrête de s'éparpiller pour enfin se concentrer sur le but premier : la reconquête du trône et les événements souvent inattendus qui en découleront. C'est également le moment où l'on commence à rencontrer certains des antagonistes imposants, impitoyables et calculateurs. Des méchants charismatiques comme on les aime. D'une manière générale, le casting d'Yggdra Union est vraiment réussi à défaut d'être original. On recrutera petit à petit des alliés de tout horizon possédant chacun leur arme de prédilection mais aussi leur thème de combat propre, ce qui donne une vraie profondeur à la bande-son ainsi qu'à leurs personnalités. On retrouve d'ailleurs leurs caractères distinctifs en cours de bataille puisqu'au delà des phases de scénario, les dialogues entre adversaires peuvent changer selon les unités déployées. Le design en super deformed des personnages, esthétiquement typé Kawaii, est globalement assez réussi, même si le style narratif ne permet de les apprécier que par portraits statiques interposés lors de courtes phases de dialogues.
Mais une chose saute aux yeux dès que l'on entrevoit ce qui sert de champ de bataille, et c'est malheureusement leur indigence graphique. Certes, le système de combats a été élaboré à l'origine pour un jeu GBA, et ce portage a tenu à le remettre à jour sans le renier, mais il n'empêche que le rendu est un peu mesquin pour ce qui va constituer 50% des écrans du jeu. Les aires de combats ne sont que des cases représentées en vue de dessus et sur lesquelles les unités se déplacent. Pourtant, derrière cette apparente simplicité, on trouve de nombreuses choses à prendre en compte. Outre les quelques objets dissimulés ça et là sur les cases, on trouve plusieurs environnements offrant des bonus de défense à certaines unités. Ainsi, les Ondines sont seules capables de traverser les cours d'eau qui les renforcent, mais seront moins à l'aise sur la glace. On trouvera également des ponts destructibles pour entraver l'arrivée de renforts ennemis, des villages prêts à vous soutenir, ou encore des catapultes ou autres armes de jet à utiliser dans vos unions. Si les personnages qui composent votre armée paraissent un peu esseulés sur la carte, ils représentent en fait toute une escouade constituée d'un commandant (les persos principaux et antagonistes) et de troufions de la même classe. Ainsi Yggdra commande une unité de Valkyries, alors que Milanor est suivi de simples bandits. Détail qui a son importance en combat, puisque le vainqueur est celui qui parvient à réduire à zéro le nombre de simples soldats, puis à vaincre la tête pensante de l'unité, bien plus coriace. Cela fait, le moral de l'unité vaincue est impacté selon un certain nombre de facteurs, jusqu'à ce qu'il tombe à zéro, signifiant la mort du commandant et de son unité. Notez qu'en ce qui concerne votre équipe, la mort n'est jamais définitive mais réduit à néant les points d'expérience accumulés pour le niveau en cours. Gros handicap donc, mais rien d'irrattrapable.
Au début de son tour d'action, le joueur choisit l'une des cartes tactiques récupérées au gré des batailles précédentes. Ces cartes influent sur la capacité de déplacement des unités et impactent le moral enlevé à vos ennemis en fin de combat, mais possèdent aussi des capacités cachées sur lesquelles nous reviendrons plus tard. Les unités partagent l'intégralité des points de déplacement d'un tour, il faut donc particulièrement réfléchir avant d'agir, d'autant que les formations de votre armée (tout comme celles de l'armée ennemie) jouent aussi un rôle crucial. Il s'agit du système d'unions, qui donne son nom au jeu et qui contraint les belligérants en face à face à convier leurs alliés respectifs se trouvant à proximité pour prendre part au combat. Plus clairement, qu'il s'agisse des attaquants ou des défenseurs, les personnages masculins font participer les alliés se trouvant à leur diagonale, alors que ce sont ceux se trouvant à la verticale ou l'horizontale qui choisissent de prêter main-forte aux unités féminines. En se servant habilement de ce système, le joueur (ou l'ennemi) peut réussir à attaquer “par ricochet” des adversaires habituellement trop éloignés pour être blessés. Véritablement au coeur du jeu, ce système d'unions devra être parfaitement assimilé pour rentabiliser les tours d'action, puisqu'une seule attaque peut être lancée par tour.
Lors d'un affrontement direct, une unité se retrouve confrontée à l'unité adverse dans un ballet qu'on pourrait qualifier de mignon, en complet contraste avec la situation. S'ensuit alors une série de charges et de contre-attaques, laissant place à un combat sans détour entre les forces en présence qui prend la forme d'un pierre-papier-ciseau aux possibilités bien plus nombreuses. Ainsi, chaque type d'unités manie une arme possédant des avantages et des faiblesses contre les autres types, et parviendra donc plus ou moins rapidement à réduire les forces ennemies à néant. Pour autant, le joueur ne peut se contenter d'être spectateur lors de ce bain de sang. Il dispose ainsi d'une jauge tactique sur laquelle il peut influer pour modifier la physionomie du combat. En mode Agressif, la puissance d'attaque de l'unité est augmentée d'un cran et la jauge se vide rapidement. En mode Passif, la puissance d'attaque diminue d'un cran mais la jauge se remplit. Ce n'est que quand cette jauge est pleine qu'intervient l'un des éléments les plus importants du système : les compétences des cartes.
On trouve des compétences de deux sortes, la première demandant un léger temps de chargement de la compétence qui agit immédiatement, par exemple en paralysant l'adversaire, en le blessant, ou encore en ressuscitant un certain nombre de vos soldats tombés au champ d'honneur. A l'inverse, le deuxième type agit directement, mais sur une faible durée. On y trouve notamment un bouclier occultant brièvement tous les dégâts, ou une compétence réduisant la force de frappe de l'ennemi. Plus de 30 cartes peuvent être acquises et améliorées en combattant, offrant un grand nombre de possibilités tactiques assorties de conditions d'utilisation parfois très réductrices. Mais il faut garder à l'esprit que vos adversaires, munis d'une jauge légèrement différente car ne cessant de croître en même temps que leur puissance, peuvent aussi les utiliser et ne s'en priveront pas. D'autant que l'IA ne change généralement pas de carte d'un tour à l'autre, ce qui rend les combats contre des adversaires armés de cartes aux effets retors particulièrement compliqués.
Ce système de combats comporte une grande part d'aléatoire, qui peut vous faire perdre ou gagner des combats serrés au bon vouloir du RNG, tout comme pourrir votre belle stratégie sur un coup du sort. C'est ce RNG qui détermine le nombre de membres d'une unité qui périssent sur une charge ou contre-attaque, paramètre qui conditionne pleinement la physionomie des combats. C'est encore lui qui décide d'accorder les coups critiques, sachant que ceux-ci mettent directement à terre le commandant d'unité, empêchant ainsi l'utilisation des compétences des cartes. Autant dire que la malheureuse victime n'a que peu de chances de remporter ce round. Dans le même ordre d'idées, la plupart des batailles comprennent plusieurs phases et objectifs, ponctués d'évènements de scénario qui peuvent totalement inverser la situation et rendre caduque votre stratégie par la même occasion. Par conséquent, jouer une bataille comme un coup d'essai pour comprendre à quoi vous attendre et repérer les nombreux objets cachés sur les cases peut vous bénéficier à long terme. Il faudra donc blinder vos stratégies afin d'éviter des défaites malvenues, même si cette version PSP adoucit cet effet par l'ajout de la possibilité de créer une sauvegarde rapide permanente à tout moment du combat. Pour être exhaustif, on notera enfin que la difficulté générale a été réajustée et que quelques nouveaux personnages et objets sont désormais disponibles.
En définitive, cette version d'Yggdra Union s'avère être un bon remake d'un déjà bon jeu. Pas étonnant donc que celui-ci ait engendré plusieurs spin-off. Uniquement disponible en import et donc en langue anglaise, le jeu ne nécessite tout de même pas un niveau très élevé d'autant qu'il vaut surtout pour ses batailles une fois son gameplay particulier assimilé.
- Graphismes13/20
Les graphismes ont beau avoir subi un lifting visible à l'occasion du remake, ils n'en font pas oublier pour autant le support original. Certes, le jeu est construit de telle manière que le visuel passe au second plan, toujours est-il qu'ils sont techniquement indignes d'une PSP. Les portraits des personnages sont, eux, tout simplement adorables.
- Jouabilité16/20
S'il est vrai que le mode d'affrontement original peut dérouter sur les premières heures de jeu, on aura tôt fait d'en maîtriser les subtilités sans trop de problèmes. Dommage que les possibilités de personnalisation des héros ne se comptent que sur les doigts d'une main. La difficulté a été revue à la baisse, ce qui n'est pas un mal compte tenu de celle qui subsiste. On peut tout de même reprocher au gameplay l'imprévisibilité dont il peut faire preuve de façon arbitraire, cela est heureusement atténué par l'ajout d'une sauvegarde rapide.
- Durée de vie13/20
Une trentaine d'heures, c'est environ ce qu'il vous faudra pour achever les 48 batailles que propose le scénario. Ce qui peut paraître moyen, mais l'intensité de la progression constante à travers les niveaux et les objectifs rend cela tout à fait suffisant. Vous pouvez également refaire le jeu grâce au nouveau mode Difficile, en obtenant des personnages différents et en visant la fin alternative ajoutée à ce remake.
- Bande son17/20
Les musiques de la version GBA, très électroniques mais entraînantes, ont été remaniées à l'occasion de ce remake. Les très nombreux thèmes de combats (un par personnage) sont tout particulièrement réussis. Les personnages sont tous doublés en anglais lors des dialogues importants et des scènes de combats, et cette version propose également le doublage japonais. Que demander de plus ?
- Scénario13/20
Le scénario est assez bateau, et les personnages plutôt stéréotypés (la jeune princesse courageuse, le bandit qui la suit sans discuter, le grand méchant en armure lourde). Pour autant, leurs personnalités et les interventions qu'ils osent dans l'histoire suffisent à les rendre sympathiques. L'histoire, desservie par une mise en scène minimaliste, peine à évoluer et donc à captiver le joueur durant une bonne partie du jeu.
Malgré de notables lacunes dans sa présentation et dans l'IA des ennemis, Yggdra Union fait sans aucun doute partie des meilleurs jeux de rôle orientés stratégie sur consoles portables. Doté d'un gameplay très original et d'une durée de vie tout à fait correcte, nul doute que le jeu ravira les amateurs du genre. D'autant que les ajouts de cette version PSP rendent l'ensemble encore plus attractif qu'il ne l'était auparavant.