A l'heure où les titres les plus marquants de la PS2 s'offrent, les uns après les autres, un petit lifting HD sur PS3, l'inénarrable Okami ne pouvait décemment pas faire exception à la règle. Cinq ans après nous avoir enivrés sur PS2, l'un des plus grands chefs-d'oeuvre du jeu vidéo renaît donc de ses cendres pour nous faire (re)vivre une épopée magistrale, empreinte de mythologie asiatique.
Si Okami est bel et bien un jeu vidéo, il est avant toute chose une déclaration d'amour de passionnés à passionnés, une ode au raffinement pictural, un pamphlet artistique et un majestueux brûlot à l'encontre de ceux et celles qui n'ont pas encore compris que certains jeux vidéo méritant le qualificatif d'oeuvre d'art ont autant leur place dans un musée qu'un Picasso ou un Monet. Mais là où il n'est permis que d'admirer le travail du peintre, le titre de Clover Studio tend la palette graphique au joueur en l'invitant poliment à composer avec son environnement, à ne pas rester inactif, à participer comme jamais à une expérience unique se situant aussi bien devant que derrière l'écran. Ainsi donc, tout en faisant connaissance avec la déesse Amaterasu réincarnée en un magnifique loup blanc, le jeu nous ouvre peu à peu de nombreuses portes derrière lesquelles se cachent des trésors d'ingéniosité. De fait, si le gameplay n'exclut nullement le gain d'expérience indispensable à l'évolution de notre avatar, l'obtention de techniques de combat ou la découverte de nouvelles armes (ces deux derniers points étant liés), la trouvaille la plus astucieuse reste l'utilisation d'un pinceau, véritable prolongement du personnage qu'on incarne.
Une feuille, un pot rempli d'encre, un pinceau, de l'imagination et un oeil aguerri. Présenté comme tel, cet aspect d'Okami a de quoi intriguer surtout quand on sait que ceci implique un gel de l'action, un temps d'arrêt imposé. Par conséquent, une fois vos gourdes d'encre pleines, vous aurez la possibilité de recouvrir l'écran d'un parchemin afin d'y faire glisser votre PSMove (ou le stick de la manette PS3) matérialisé ici bas par une plume. Mais pourquoi donc me demanderez-vous avec toute la candeur qui vous caractérise ? Eh bien, pour créer mes bons amis, pour créer. Nous plaçant au poste de grand ordonnateur du pinceau magique, Clover nous invite à de nombreuses reprises à user de nos talents d'artiste pour modeler l'univers dans lequel nous évoluons. Certes, j'embellis quelque peu le tableau mais au delà des restrictions imposées, on ne peut s'empêcher d'utiliser la capacité qui nous est donnée de dessiner des nénuphars afin de traverser une étendue d'eau, de relier des constellations pour appeler une divinité détentrice de techniques calligraphiques, de griffonner des bourrasques de vent ou de raturer notre feuille à dessins pour réparer diverses constructions dans le but de s'attirer les faveurs de villageois reconnaissants. L'idée est à ce point bien pensée qu'on peut la scinder en deux utilisations complémentaires. Habile subterfuge pour revenir sur les divinités mentionnées quelques caractères plus avant.
Bien qu'Okami ne rate jamais une occasion de s'amuser avec ou au détriment de ses protagonistes principaux, le titre conserve malgré tout une véritable dimension cosmogonique en s'appuyant sur la mythologie japonaise. En conséquence de quoi, les figures emblématiques du folklore nippon abondent. Pour être précis, vous pourrez en rencontrer treize qui vous donneront chacune une technique de calligraphie permettant de faire fleurir des arbres, de jouer avec la lune et le soleil (ceci étant pratique pour rencontrer certaines personnes ou assister à des scènes particulières), d'utiliser des lianes pour atteindre des endroits inaccessibles, etc. Si lesdites techniques ont bien entendu un aspect pratique, elles vous serviront également de moyens offensifs lors d'affrontements contre des boss requérant une méthode particulière pour être occis ou lors de rixes plus conventionnelles contre les ennemis communs. Il vous sera alors possible de zébrer l'écran d'un coup de pinceau après avoir asséné quelques coups bien placés pour découper en deux votre adversaire et ainsi obtenir davantage d'items ou d'argent.
A ce sujet, une fois vos "poches" remplies de ryo, il ne tiendra qu'à vous d'aller glaner quelques objets chez les marchands ambulants généralement postés à des endroits stratégiques. On retrouvera dans ces échoppes les habituelles potions de santé (ici représentés par des os), de magie, des bouteilles de saké pour être plus vaillant ou résistant... En sus, il sera aussi question d'un maître d'armes, vieux, loufoque mais surtout détenteur d'enchaînements destructeurs ou de parades qu'il vous faudra acheter avant de pouvoir les utiliser. Sur ce point, Okami fait également très fort sachant qu'en fonction du placement de vos armes, vous pourrez les utiliser de différentes manières. Par exemple, si vous disposez le miroir en arme secondaire, il vous servira de bouclier, alors qu'en tant qu'arme principale, il vous permettra d'attaquer. Ensuite, il vous suffira d'appuyer sur deux touches d'action pour alterner entre les deux armes et ainsi réaliser de bien beaux enchaînements. Dans tous les cas, à la fin de chaque ballet mortel, vous recevrez une certaine quantité de ryo en fonction des dégâts subis et du temps que vous avez mis pour éliminer tous vos adversaires. La conséquence de ce dynamisme fait qu'on prend alors un malin plaisir à rechercher le contact avec les ennemis qui peuvent être évités, la plupart d'entre eux étant visibles. Pourtant c'est bel et bien les rencontres avec les boss qui marqueront le plus les esprits tant ces échauffourées synthétisent tout l'esprit de grandeur, de force et d'invincibilité que doivent normalement susciter ces êtres prétendument intouchables.
En somme, le titre de Clover semble frôler la perfection, même pour ceux qui s'évertueront à chercher la petite bête pour prouver à qui de droit qu'il est déontologiquement impossible, et inconvenant, de sacraliser un jeu à ce point. Mais force et de reconnaître qu'à mesure qu'on sonde les profondeurs d'Okami, on se perd facilement dans une sereine contemplation née d'une atmosphère fantasmagorique relayée par un graphisme fabuleux qui profite bien évidemment des bienfaits de la HD pour nous en mettre plein les yeux. Le titre se plaît alors à nous offrir des scènes comptant parmi les plus oniriques jamais vues dans un jeu vidéo, à l'image de cette nature reprenant vie sous forme de cascade de pétales. Résolument écologiste, profondément engagé mais avant tout désireux d'offrir une épopée envoûtante et drôle à la fois, on appréciera aussi la longévité du titre dont les quêtes annexes éclosent de partout. De fait, en dehors des chalands attendant une aide salvatrice, des mini-jeux réclamant de la rapidité, la récolte de perles errantes, vous aurez l'occasion de nourrir divers animaux peuplant les routes vous conduisant à votre destin. Mais avant de pouvoir réaliser cette bonne action, vous devrez au préalable récupérer des aliments de toutes sortes afin de contenter tous les pensionnaires de votre animalerie. Enfin, il suffira de donner la nourriture adéquate à l'animal affamé pour que celui-ci vous offre en retour un chapelet de sphères de bonheur synonyme d'expérience.
Ne cherchant à aucun moment la voie de la facilité, Okami griffonne, esquisse et pique au vif l'intérêt du joueur pour éveiller ses sens. De l'apparition du logo de Clover au plan clôturant le magnifique travelling dévoilant les crédits de fin, l'oeuvre du studio nippon se montre si généreuse qu'on en oublierait presque qu'on vient de vivre une des plus grandes expériences vidéoludiques qui soit. Impossible d'affirmer si tout comme moi, Okami changera votre perception du jeu d'aventure/action mais finalement, là n'est pas le principal. Ce qui compte c'est que vous vous réjouissiez en riant devant les péripéties d'Amaterasu, que vous sachiez capturer l'émotion de l'instant avant qu'il ne s'envole, que vous preniez du plaisir la manette entre les mains. Il n'existe pas une seule façon d'aimer Okami dont la sincérité fait sourire alors qu'on nous abreuve de plus en plus de termes techniques pour mettre en valeur tel ou tel jeu. Okami, lui, respire la vie grâce à des développeurs qui ont un jour voulu faire parler leur art en donnant tout ce qu'ils avaient dans le ventre et dans le coeur. Par certains côtés, le résultat porte en lui une part de tristesse en tant que chant du cygne de Clover. Pourtant, il est inutile de revenir en arrière, ce qui est fait ne pouvant être défait. En définitive, le plus important est que ce titre ne soit jamais oublié et serve de réflexion sur ce qui donne du caractère, de l'intensité, de l'émotion à un jeu vidéo. Pendant ce temps, Okami s'impose comme une oeuvre qui aura marqué ce début de siècle, comme ça, tout simplement...
- Graphismes20/20
Elevant son graphisme au rang de digne successeur des estampes japonaises, Okami réussit là où bon nombre ont échoué. Dès les premières secondes, le joueur se retrouve happé par ce maelström de couleurs, cette valse de tons bigarrés, cette fantaisie de formes enchanteresses. Si l'on excepte le trip science-fictionnel de fin légèrement hors propos, le titre de Clover réalise un sans-faute en s'inspirant d'oeuvres majeures issues du monde vidéoludique et cinématographique. En résulte une lithographie de pixels qui offre au joueur le double rôle de spectateur et d'artiste.
- Jouabilité19/20
Hormis une difficulté toute relative et quelques problèmes de caméra lors des affrontements, la jouabilité d'Okami se révèle originale, profonde et parfaitement maîtrisée. Laissant le soin au joueur de manier le pinceau virtuel pour créer, réparer ou frapper, Clover offre un gameplay surprenant auquel vient se greffer une recherche d'armes, une évolution des caractéristiques d'Amaterasu ainsi qu'un apprentissage de techniques. La version PS3 profite par ailleurs du PSMove (optionnel) pour un contrôle encore plus précis même si parfois on aurait aimé un peu plus de latitude dans la réalisation des techniques picturales.
- Durée de vie18/20
Pas moins d'une trentaine d'heures si vous pressez la patte et évitez soigneusement la plupart des affrontements. Cependant, Okami regorge de quêtes annexes qui rallongent ostensiblement une longévité de base déjà fort appréciable. De fait, vous pourrez aisément rajouter une dizaine d'heures si l'envie vous prend d'arpenter en long et en large le vaste univers mis à votre disposition. Bien entendu, cette dernière solution est à préconiser tant il y a à découvrir et à savourer au travers de très nombreux bonus à débloquer tous plus intéressants les uns que les autres.
- Bande son18/20
Disposant d'une OST s'étalant sur 4 cds (dont la plupart des morceaux sont à découvrir dans la partie Bonus), le score d'Okami est d'une finesse et d'une pureté magistrale. Eclectique et inspirée, la bande-son est pareille à une véritable guérilla symphonique avec ses percussions tombantes, ses cuivres puissants et ce mélange de raffinement et de clarté musicale. De plus, les développeurs ont eu la très bonne idée d'utiliser un langage composé de borborygmes, ceci évitant ainsi le piège du doublage qui aurait facilement pu casser l'ambiance magique du soft.
- Scénario16/20
Il est difficile de se prononcer sur le scénario d'Okami qui n'évoque pas les sommets oniriques atteints par un Shadow Of The Colossus pour ne citer que ce dernier. Pourtant, ici aussi, Clover a fait preuve d'intelligence en donnant à leur titre des allures de fable mythologique ne se prenant jamais au sérieux. Des facéties d'Amaterasu en passant par le message ouvertement écologique, le synopsis d'Okami s'amuse avec les codes du genre, démystifie une bonne partie de nos préjugés et ouvre la porte d'un monde dominé par la créativité.
Définir Okami revient à le targuer d'une foultitude d'adjectifs tant l'aventure proposée est élégante, apaisante, poétique, délicate, gracieuse. Ayant aussi bien soigné le fond que la forme, Clover a créé une pièce maîtresse dont il convient de saisir toute la portée. Aussi trépidante qu'intelligente, aussi originale que généreuse, aussi drôle que sincère, l'oeuvre en question surprend, enchante, amuse et marque la rencontre de développeurs avec leur public. La plume virevolte, l'encre coule et la magie opère... Sans précédent.