Double Dragon a 25 ans, et alors que le petit monde vidéoludique célèbre ce légendaire beat'em all qui en aura inspiré tant d'autres, le studio américain WayForward a décidé de commémorer l'événement à sa manière, en concevant une sorte de revival nourri aux références les plus diverses. Pas sûr que Double Dragon Neon soit le meilleur hommage à l'oeuvre de Yoshihisa Kishimoto...
L'infortunée Marian, qui se promenait innocemment dans un quartier infesté de voyous, aurait mieux fait de rester chez elle ce jour-là. Repérée par le chef d'une bande de loubards à qui l'on n'a pas vraiment appris la galanterie, elle finit par être transportée comme un sac de patates jusqu'à son repaire. Mal en a pris à ce caïd inconscient : Marian est la petite amie de Billy Lee, ainsi que de son frère Jimmy (un triangle amoureux comme un autre). Alertés par les cris de la donzelle, les deux jumeaux sortent de leur garage (où trône toujours le bolide de Road Blaster), prêts à en découdre avec ces déliquants afin de sauver leur promise. Jusque-là, le fan service assure un sans-faute, avec en fond sonore le remix rock'n roll du thème principal de la série. Pourtant, il y a un problème.
Mais d'où sort donc cette direction artistique d'un prodigieux mauvais goût ? Les environnements aux teintes ocres et violettes, bardés de néons acidulés, évoquent ce que les années 80 ont produit de plus dangereux pour la santé. Et qui dit 80's, kung-fu et kitsch assumé dit aussi... Big Trouble in Little China, plus connu dans nos contrées comme Les Aventures de Jack Burton dans les Griffes du Mandarin. C'est bien simple : du design de certains adversaires (inspiré par les trois Trombes) jusqu'aux décors ultra-référencés (la statue à six bras, le hall au gong...), en passant par l'humour potache et les répliques détachées des jumeaux, il ne se passe pas un niveau sans un clin d'oeil au film de John Carpenter. Qui plus est, la dégaine de baroudeurs bodybuildés à l'air satisfait de Billy et Jimmy évoque davantage le vieux Jack que les guerriers-dragons de l'oeuvre de Yoshihisa Kishimoto (inspirés par Bruce Lee, faut-il le rappeler ?). D'autant que leurs déplacements poussifs (il faut les voir courir, sauter ou encore monter à une échelle) sont aggravés par une animation d'une grande médiocrité. Enfin, tout passerait mieux si personnages et objets 3D ne donnaient pas l'impression d'avoir été plaqués à l'arrache sur une 2D sans aucun relief. Bref, on aurait préféré un revival sous forme de sprites et de pixels. Là, c'est juste immonde.
Double Dragon Neon peine donc à retranscrire l'ambiance de l'oeuvre originale, d'autant que WayForward a décidé d'opter pour un second degré qui ne lui est pas caractéristique. Tout au long de la progression à travers les 10 niveaux du jeu, vous aurez affaire à un délire ambiant qui verse parfois dans le grand n'importe quoi. Aux rixes entre caïds dans les rues de la ville succèdera une petite virée dans l'espace, un combat contre une plante carnivore géante ou encore la visite d'une forêt hantée aux accents de Moonwalker, sans oublier un final contre un boss improbable tout droit sorti d'un dessin animé. Le périple des deux jumeaux se conclura bien entendu par le traditionnel VS fighting afin gagner la main de Marian, comme quoi le jeu sait ausi se montrer fidèle à son matériau de base. Si l'hommage est bien réel, il se fait à grands coups de citations plus ou moins bien amenées, avec une large place accordée à Double Dragon II version NES (l'hélicoptère, les appels d'air qui emportent les personnages, le char géant, les pinces mécaniques..), l'épisode que les développeurs déclarent connaître le mieux – et on est prêt à les croire. Il faut reconnaître qu'on finit par accorder un certain capital sympathie à ce trip old-school bien déjanté, d'autant que la bande-son typée eighties, en tous points délicieuse, vaudrait presque à elle seule le détour.
Qui plus est, il faut concéder qu'il n'y a pas d'énorme trahison au niveau du gameplay. Si l'on excepte ce mouvement d'esquive un peu malvenu dans un Double Dragon, on retrouve la panoplie de coups de base typique de la série : coup de poing, coup de pied sauté, Hurricane Kick, choppe simple ou double (sic), ainsi que quelques actions annexes. A nouveau, il est regrettable que la lourdeur de l'ensemble prête parfois à sourire (cf. les accélérations, tacles et coups d'épaule, au rendu grotesque). Comme le veut la tradition, il est aussi possible de ramasser et de manier tout un tas d'armes et de projectiles, ainsi que de tirer partie du décor (les tapis roulants notamment) pour pousser les ennemis dans le vide. Quelques phases de plates-formes tout aussi poussives qu'autrefois sont également au programme. S'il semble acquis que WayForward n'avait pas l'intention de faire entrer la licence dans la modernité, on ne peut s'empêcher de penser que le studio aurait pu travailler davantage le level design, bien faiblard, plutôt que de proposer des fioritures inutiles comme le système d'évolution. Ce dernier permet, en dénichant des cassettes audio (80's oblige), de débloquer, d'améliorer et d'utiliser des pouvoirs magiques, ainsi que des postures passives ayant pour effet de booster certains domaines au détriment d'autres.
Double Dragon Neon souffre également d'une difficulté mal calibrée. Le jeu en coopération est une promenade de santé. Les deux jumeaux peuvent en effet se relever l'un l'autre quand ils sont à terre afin de ne pas perdre une vie (ce qui ne pose aucun problème au vu de la réactivité de l'IA), ainsi que déclencher de sympathiques "High Five" permettant de partager leur santé ou de booster leurs dégâts. Boucler l'aventure à deux s'avère donc bien trop simple en mode Normal (testé avec un enfant de 7 ans et approuvé), si bien qu'il faut débloquer les niveaux de difficulté suivants pour bénéficier d'un tant soit peu de challenge. A contrario, les parties en solo peuvent s'avérer compliquées à négocier, car le joueur ne peut s'y attacher les services d'un jumeau contrôlé par l'IA. L'idéal est donc d'avoir un partenaire sous la main, sachant que WayForward ne propose pour le moment aucune option de jeu en ligne. Voilà qui achève de relativiser l'intérêt de ce Double Dragon Neon, finalement assez décevant. Il est permis d'apprécier l'ambiance décomplexée et les multiples références du titre durant les 2 heures nécessaires pour en voir le bout, mais son parti-pris esthétique douteux, sa jouabilité poussive et ses errements en termes de game design ne motivent pas l'achat (sachant que le jeu est proposé gratuitement aux membres PSN+).
- Graphismes8/20
Le naufrage artistique se double ici de grosses errances techniques : les personnages en 3D, au design douteux et aux animations parfois grotesques, sont plaqués sur des décors en 2D insipides et sans aucun relief. Même les plus grands amateurs de kitsch auront du mal à avaler ça.
- Jouabilité11/20
Relativement fidèle à la série, le gameplay est hélas desservi par une jouabilité plus lourde que jamais (heureusement que les adversaires sont bien peu réactifs...). Les efforts consacrés à des aspects superflus – comme le système d'évolution – auraient dû être réservés au level design.
- Durée de vie9/20
Il ne faut pas plus de 2 heures pour venir à bout des 10 niveaux en mode Normal. La difficulté augmente toutefois considérablement si vous n'avez pas un ami sous la main, aucune option de jeu en ligne n'étant incluse. Sorti de quelques artworks à débloquer, rien ne vient booster la rejouabilité.
- Bande son16/20
C'est sans conteste le point fort de ce titre, avec une bande-son jubilatoire qui puise sans aucune retenue dans tous les genres caractérisant les années 80 d'un point de vue musical. Les effets sonores sont efficaces, mais on regrette par contre l'absence de doublages en français.
- Scénario/
Double Dragon Neon n'est pas, à l'évidence, le meilleur moyen de faire rentrer la licence dans l'ère moderne. Mais ce n'était visiblement pas le but de WayForward, qui accouche là d'un beat'em all résolument old-school, dont le dynamisme ne peut rivaliser avec celui des productions actuelles. Le problème, c'est qu'on a parfois du mal à faire la distinction entre les emprunts volontaires à un gameplay désuet, et ce qui témoigne plus simplement d'une jouabilité poussive. Complètement déjanté, nourri de références les plus diverses – avec une insistance particulière sur le Jack Burton de John Carpenter – ce titre étrange au design kitschissime fait figure d'hommage presque irrévérencieux à l'oeuvre de Kishimoto, et vaut surtout pour son incroyable bande-son, qui mérite à elle seule de tenter l'expérience. Ou pas.