Prenez un scénario et une atmosphère inspirés par Myst, un gameplay à la Splinter Cell, des personnages taillés comme Rayman et rajoutez-y quelques clins d’œil à Zelda et vous obtiendrez ce jeu indépendant presque inclassable : Worlds. Basant son évolution sur un système de mises à jour, le titre de Curious Planet a ce côté «amateur» qui lui permet de séduire tout en subissant les points négatifs. Son unique développeur aurait-il eu les yeux plus gros que le ventre ?
L'univers des jeux indépendants n'a pas seulement ouvert la porte à de nouveaux concepts, cela a aussi permis l'émergence d'une nouvelle génération de créateurs. Dans le cas de Worlds, il est d'ailleurs difficile de dissocier le jeu de son seul développeur : Thomas Ducourant, l'homme derrière Curious Planet. Amateur dans le domaine, c'est sans formation particulière et donc de manière autodidacte que ce passionné, qui suivait originellement des études de langues, a décidé d'élaborer un jeu qui lui ressemble, basé sur un système de mises à jour. Nulle question donc d'y découvrir un produit fini au game design poussé, la philosophie de développement de Worlds tourne autour de l'envie présente. Il en est le seul maître et d'ailleurs la plupart du développement se fait pas à pas, sans réelle idée du prochain échelon à venir dans la progression du scénario. Le mélange qui en résulte offre une expérience de jeu très diverse qui regorge d'allusions à des licences phares du monde vidéoludique comme Metal Gear Solid, Zelda ou Myst, source principale de l'inspiration de Curious Planet.
Aux commandes de Reyk, un agent de l'Ordre, société secrète créée pour réguler ou plutôt empêcher coûte que coûte le déplacement entre les mondes, le jeu vous plonge dans des environnements parfois étranges voire angoissants où les lois physiques ne sont plus de mise. D'une planète enneigée à une base militaire suréquipée en passant par une simulation d'entraînement virtuelle, l'aventure se déroule actuellement sur 5 planètes disposant de leurs ambiances propres et à travers 10 missions outre le tutoriel. Au fil des mises à jour, quand (et si...) Worlds sera fini, c'est au total 9 mondes et 80 missions dont 40 d'entraînements qui seront proposés aux joueurs. Bien que le scénario ne puisse être vraiment décelé avec seulement un quart de son contenu disponible, l'essentiel des tâches confiées par l'Ordre consiste initialement à aller éliminer une personne ayant découvert le voyage entre les différents mondes ou à étudier des irrégularités sur l'un d'eux. Les missions d'entraînement, elles, se déroulent dans un univers virtuel et s'articulent autour du scoring dans des modes de jeu tournés vers la survie ou l'infiltration.
Il faut dire que Worlds ne se fait pas remarquer par un gameplay révolutionnaire, pour un jeu d'infiltration, bien qu'il soit plaisant à manier. Difficile de passer à côté du fait que le look du héros ainsi que le style de jeu soient clairement des références à Metal Gear Solid. Bien qu'il dispose de trois armes achetables ainsi que de l'équipement divers et d'autres tenues dans la base de l'Ordre, Reyk a aussi la capacité de discrètement attraper les ennemis par derrière pour s'en servir comme bouclier humain ou pour abréger leurs souffrances. Une jauge près de la barre de vie indique d'ailleurs le niveau de visibilité du personnage. Dans l'ombre et en marchant, celle-ci diminue, alors qu'en pleine lumière, il sera très difficile d'échapper au champ de vision d'un ennemi. L'IA est d'ailleurs un point noir du titre. Les déplacements prévisibles permettent de venir facilement à bout d'un grand nombre d'adversaires qui emprunteront quasi tous le même chemin dans les espaces clos. Pourtant, pour peu qu'ils puissent se mettre en position de tir, ces cibles mouvantes se transforment soudainement en vraies machines à tuer dotées d'une visée abusivement millimétrée. N'espérez donc pas éviter leurs balles tant que vous êtes en ligne de mire. Reyk étant particulièrement sensible, il ne lui faudra que quelques tirs pour succomber sans utiliser de médikit, vous imposant un retour à la dernière sauvegarde parfois très éloignée de votre avancement.
Cette variation dans la difficulté est présente à chaque instant dans Worlds. Son développeur précise d'ailleurs qu'il n'a pas de règles et qu'il est donc aussi prêt à frustrer le joueur. Ce désir se repère très vite dans la progression. Là où les premières missions proposent souvent différentes façons d'en venir à bout, cantonnant la difficulté la plus corsée à la méthode bourrine et offrant dans les dialogues les solutions pour découvrir les chemins les plus faciles, les dernières mises à jour ont apporté un contenu assez ardu. Exemple typique : pour résoudre une énigme, il faudra réussir à déchiffrer des codes sur un mur. Idée intéressante au départ, mais la chance prend souvent le pas sur la réflexion tant la solution n'est pas intuitive à trouver. Il ne faut donc pas avoir peur de se heurter à un mur pendant un long moment pour passer certaines étapes. Cette barrière liée à la difficulté, qui est non paramétrable, laisse toutefois un arrière-goût d'obstacle mis là exprès pour essayer de grappiller du temps de jeu, histoire d'attendre la prochaine mise à jour. L'envie de ne pas imposer de règles est aussi présente dans la liberté offerte. Violence et hémoglobine sont ainsi présentes. Chaque personnage croisé peut par exemple être tué sans influer la progression. Du contrôle de ses nerfs devant une énigme casse-tête peut ainsi dépendre la survie d'un PNJ proche, menacé d'être utilisé comme moyen de se défouler.
Avec son univers épuré mais immersif, ses décors minimalistes, ses personnages taillés comme Rayman, son gameplay plutôt efficace et plaisant, ses dialogues matures très directs et une bande sonore intrigante qui renforce le côté oppressant, Worlds dispose d'un univers particulier et possède les atouts nécessaires pour séduire un public que la difficulté d'un jeu exigeant n'effraie pas... ni l'attente. Car là est la principale frustration du joueur, l'attente de nouveaux contenus pour prolonger l'histoire. Avec des mises à jour n'arrivant que tous les deux mois en moyenne et n'ajoutant en général qu'une mission ou deux, Worlds a du potentiel mais l'objectif des 80 missions semble inatteignable pour son unique développeur qui travaille en même temps sur la traduction anglaise du jeu. Disponible à 5 euros, Worlds offre néanmoins une démo gratuite pour se faire une idée sur le titre. L'occasion idéale pour découvrir si son univers intéressant ainsi que son gameplay peuvent compenser l'exigence réclamée par sa difficulté.
- Graphismes14/20
Les menus et l'interface sont très épurés et parfaitement lisibles. Les graphismes en cel shading sont minimalistes mais bien exécutés hormis un contraste parfois excessif. L'ensemble offre ainsi un style graphique propre à Worlds.
- Jouabilité16/20
La liberté du jeu se retrouve aussi dans l'aisance de prise en main de Reyk. Le choix entre infiltration et action se fait aisément et avec fluidité. L'achat d'équipements divers (armes, lunettes infrarouge, médikit et tenues réduisant les dégâts ou augmentant la discrétion, etc.) et l'utilisation de certains pouvoirs accentuent encore plus cette diversité dans l'exécution des missions.
- Durée de vie16/20
Impossible de définir la durée de vie globale car seulement 10 missions sur les 80 finales (dont 40 d'entraînement) sont actuellement disponibles. Comptez tout de même entre 6 à 8 heures de jeu pour venir à bout de celles-ci.
- Bande son14/20
La bande-son aide à instiller une ambiance plutôt oppressante grâce à des musiques intéressantes et simples se mariant bien avec l'univers du jeu. Toutefois la répétition du thème et l'inutilité des bruitages peuvent irriter à la longue.
- Scénario12/20
Le scénario actuel ne permet pas de comprendre exactement la trame globale et semble plutôt complexe, laissant de nombreuses portes ouvertes. D'ailleurs, il se peut que l'histoire ne soit pas encore vraiment définie. Néanmoins les interactions et l'univers sont assez immersifs pour ne pas trop le remarquer.
Disposant d'un potentiel intéressant, notamment dans les phases d'infiltration et d'action, le gameplay de Worlds est facile à apprécier. Le jeu bute cependant sur le nivellement de la difficulté et sur l'actualisation du contenu. Les graphismes simplistes pourront aussi en refroidir certains dans un premier temps, mais il serait dommage de passer à côté de cet univers riche et immersif. En somme, un jeu à essayer par les amateurs du genre, pour qui difficulté rime avec amusement et non avec frustration.