La guerre, c'est l'enfer. Si cette phrase vous semble bateau, elle paraît pourtant beaucoup moins évidente dans les mondes du cinéma et du jeu vidéo, où les pires conflits mondiaux se voient romancés en de simples aventures héroïques où on dézingue de méchants soldats sans âmes, en toute impunité. Loin de ces clichés barbares inconscients, Spec Ops : The Line vise notre sensibilité en contant l'histoire de trois hommes perdus dans une mer de cadavres. Bienvenue à Dubaï.
A Dubaï certes, mais pas celui qui s'illumine dans votre télé. Dans The Line, le sable a repris ses droits sur la ville née du pétrole, et de multiples tempêtes ont submergé une cité autrefois resplendissante. Aujourd'hui, il ne reste que peur et désolation, et les quelques survivants s'en sortent comme ils peuvent. Evidemment, de la misère naît souvent la violence, et les factions ainsi formées se battent pour des miettes moisies. C'est alors que vous entrez en scène. Vous, vous êtes le Capitaine Martin Walker, un vétéran de Kaboul envoyé sur place, accompagné du Lieutenant Adams, expert en furtivité, et du Sergent Lugo, polyglotte et adepte des tirs de précision. Fiers et goguenards, vous n'êtes à Dubaï que pour une simple mission de reconnaissance sans risque : retrouver le Colonel John Konrad et le 33e régiment d'infanterie, dont on n'a plus aucune nouvelle. Pourtant, vous venez de mettre les pieds dans un enfer qui risque bien d'engloutir votre petite équipe, de façon physique et surtout, mentale.
Ainsi, ce que vous allez découvrir sur place dépasse l'entendement. Attaqués de toutes parts, vous allez vite vous rendre compte que la folie a emporté la plupart des occupants, à tel point que vous aurez du mal à trouver des alliés. Si vous affronterez quelques autochtones en début de partie, vous allez vite devoir vous défendre face à des Américains ! Mais que s'est-il passé à Dubaï, ville coupée du monde depuis maintenant trop longtemps ? Bien que votre petit trio sera souvent acculé derrière des décombres pour survivre aux rafales de balles, vous allez sans cesse devoir avancer pour connaître le fin mot de l'histoire. Mais vous ne ferez que marcher sur un sol jonché de cadavres, de plus en plus nombreux et de plus en plus démembrés, témoignages des horreurs commises sur place par les soldats de votre propre patrie. Est-ce vraiment le 33e bataillon qui est responsable de tout ceci ? Dur à dire, car vous rencontrerez aussi d'autres groupes sur place, sans compter la CIA, pour des raisons obscures. Et si le sang versé par autrui vous rebute, vous découvrirez par la suite que vos actes et décisions peuvent eux aussi avoir des répercussions désastreuses sur les quelques civils qui survivent tant bien que mal.
En effet, il vous sera souvent imposé de faire un choix, dont les conséquences ne sont pas toujours très évidentes. Dois-je sauver cet homme de la CIA dont je ne connais rien ou faut-il plutôt que je le laisse se débrouiller pendant que je protège des civils ? La réponse n'est pas assurément celle que vous croyez. Quoique vous fassiez, il n'y a pas de solution parfaite, et vous devrez souvent choisir entre la peste et le choléra. Comme vous ne partagez pas toujours les mêmes idées avec vos deux compagnons d'infortune, les dissensions toucheront de plein fouet votre groupe, et les arguments de chacun vous pousseront forcément à réfléchir. Etait-ce vraiment la bonne solution ? Vous posant les mêmes questions que votre avatar, vous finirez par faire corps avec lui, allant jusqu'à ressentir les mêmes souffrances. Soyez heureux, contrairement à lui, vous ne prendrez pas de plomb dans la chair, c'est déjà ça. En tout cas, The Line réussit sans aucun doute à vous insérer dans la trame scénaristique et surtout, dans la véritable chute mentale que subit la Team Delta. Pire encore, vous y participerez pleinement.
Mais puisque nous sommes tout de même dans un jeu vidéo, il serait peut-être temps de parler un petit peu de gameplay. Si on devait établir une base pour que vous puissiez vous faire une idée de la chose, sachez qu'on se rapproche plutôt d'un Gears of War. On y retrouve ainsi non pas seulement un système, mais tout un game design entièrement basé sur la couverture, que ce soit vous, vos équipiers ou encore vos ennemis. Caché derrière un petit tas d'on-ne-sait-quoi, vous pouvez allumer les soldats qui sortent de leur position à découvert, ou essayer de toucher la tête qui ose dépasser, là-bas au loin. Le cas échéant, vous pouvez aussi donner l'ordre à un collègue de tuer un tireur embusqué, ce qui peut aider si vous êtes vous-même sous feu nourri. Dans quelques cas, vous avez l'option de demander à Adams ou Lugo d'envoyer une grenade flash, mais ce n'est possible que si vous avez une indication à l'écran, ce qui ne correspond pas toujours aux moments où vous en avez le plus besoin. Bien qu'on puisse noter quelques variations de temps en temps, votre avancée sera cadencée par une ritournelle : vous couvrir, nettoyer la zone à partir de votre position, aller jusqu'au prochain point d'attaque, vous couvrir, nettoyer la zone, etc.
Vous avez compris qu'on n'était pas nécessairement dans le compliment, et c'est bien là un mal dont souffre un peu The Line. Toutefois, les combats sont furieux, vivants, et plutôt bien mis en scène, notamment grâce aux gueulantes que poussent régulièrement les protagonistes quel que soit le camp. Entre les "j'en ai eu un !", les "j'en prends plein la gueule !" et les "GRENAAADES !", on est vraiment intégré au champ de bataille, et le sifflement des balles ne fait que s'ajouter au carnage ambiant. Malheureusement, ça n'empêche pas la redondance des phases de jeu, et, si vous pouvez la jouer infiltration lors de passages très brefs, ce n'est pas le gameplay qui vous procurera les meilleures sensations. Pourtant, l'intelligence artificielle fait parfois des efforts avec quelques unités spéciales qui agissent différemment, comme un mercenaire spécialiste du corps-à-corps qui vous fonce dessus en courant, ou des snipers qui restent planqués en hauteur... Dommage que les surprises soient de moins en moins nombreuses. Le seul point réellement positif reste la possibilité d'utiliser l'environnement pour surprendre vos adversaires. Si vous voyez un filet de sable couler d'une fissure, vous pouvez tirer sur la structure pour littéralement déverser une colline sur un groupe d'ennemis. Efficace et pratique dans un titre où l'on manque régulièrement de balles.
Les surprises, justement, pourraient bien venir de la réalisation. L'idée de retrouver un Dubaï complètement enseveli sous le sable avait de quoi donner de superbes plans, et The Line sait en profiter avec quelques plans de caméra bien arrangeants. Certes, on aurait aimé un peu plus d'audace, mais le dépaysement initial est déjà un plaisir, sans compter la mise en scène qui sait mettre le doigt sur le carnage provoqué par les événements, notamment lors de l'utilisation (alliée ou ennemie) de phosphore blanc. Et puisque l'on parle de dépaysement, autant mettre en avant l'un des gros points forts de The Line : la bande-son. Quitte à s'inspirer d'un monstre du cinéma comme Apocalypse Now, autant le faire jusqu'au bout en nous offrant des morceaux rock sixties, transmis par des radios au son grésillant, qui donnent un formidable élan à votre tragique avancée. Les développeurs se sont même permis de faire une belle allusion à l'utilisation de La Chevauchée des Valkyries dans le film de Coppola en nous offrant le dies irae du Requiem de Verdi dans une scène où on essaie de fuir... un hélicoptère. Et ce ne sont pas les doublages français qui viendront ternir le tableau avec un magnifique travail effectué sur les multiples personnages qui ponctuent l'histoire de leur présence, à commencer par les protagonistes principaux. On note aussi un certain Mr Radio, sorte de DJ du désert, qui remettra régulièrement en cause vos actes via les ondes, avec un ton moqueur et un humour sacrément noir.
Au final, Spec Ops : The Line nous offre une véritable histoire dont il reste le plaisir de découvrir tous les tenants et aboutissants, avec un final étonnant qui vaut largement le coup. Quoi qu'il arrive, l'avancée de la trame, la mise en scène et l'impact des événements sur la psychologie des personnages tiennent le joueur en haleine avec facilité malgré un gameplay sans doute bien trop classique. Si l'aventure principale ne dépasse pas vraiment les huit heures de jeu, vous pouvez toujours reprendre l'un des 15 chapitres pour voir les effets de vos décisions sur vos alliés et ennemis, même si les changements ne sont pas vraiment radicaux au final. Au pire, vous pouvez aussi vous rabattre sur le mode Multi, qui rassemble deux équipes de 4 joueurs (les Damnés et les Exilés) sur 3 modes de jeu relativement classiques. Chaque équipe dispose de 4 classes identiques et d'une dernière classe spécifique. Un système d'expérience vous permet de gagner des compétences et aptitudes supplémentaires à débloquer, comme un leurre ou la possibilité de se camoufler par exemple. En termes de gameplay, on retrouve beaucoup d'éléments du Solo, comme des tempêtes de sable qui peuvent rapidement perturber une situation. Un petit complément de l'histoire principale qui ne marquera pas votre carrière vidéoludique, mais qui a le mérite d'exister. Quoi qu'il en soit, on ne peut que vous conseiller le titre du studio Yager, une petite gifle qui fait du bien.
- Graphismes16/20
Le contexte même de The Line était une magnifique occasion de se démarquer de la concurrence. Le mariage sournois entre la désolation désertique d'un côté et les tours luxueuses de l'autre offre une synergie remarquable. La version PC s'en tire sans surprise un peu mieux que les autres.
- Jouabilité14/20
S'il ne s'agit pas de l'élément le plus lumineux, le gameplay reste assez agréable pour ne pas entacher un titre qui a d'autres choses à nous offrir. Son système de couverture reste classique et les altérations causées par l'environnement (avalanches et tempêtes de sable) sont trop rares pour avoir un impact fort. De plus, il s'agit ni plus ni moins d'un jeu couloir. Quant à nos collègues dirigés par l'IA, ils s'en sortent plutôt bien sans vos ordres, en sachant que le jeu a été fait en difficulté moyenne. Un quatrième mode de difficulté est déblocable, et il devrait procurer un très bon challenge. Il n'y a toutefois pas de mode coopératif. Petite précision : la jouabilité clavier / souris des PC est sans doute un peu plus maniable pendant les séquences de gunfights.
- Durée de vie13/20
En mode Normal, huit heures de jeu sont suffisantes pour en venir à bout ce qui, compte-tenu de l'évolution des personnages, semble ni trop, ni trop peu. Maintenant, pour en avoir pour son argent, il faut aussi un mode Multi qui accroche. Celui de Spec Ops : The Line ne révolutionnera pas le genre, mais le contexte et les petites idées qui en découlent sont plutôt satisfaisants. Dommage que l'on y perde la trame du mode Solo, mais bon.
- Bande son18/20
La première ode à Apocalypse Now est directement ancrée dans la bande-son, avec une remarquable utilisation des ondes radio subsistant dans le désert. Les sonorités rock viennent tout droit d'une autre époque, et les élucubrations de Mr Radio ponctuent l'aventure ou régénèrent les passages les moins extatiques. Le doublage est aussi une remarquable réussite, que ce soit lors des scènes cinématiques ou pendant les combats, où ça hurle dans tous les sens.
- Scénario17/20
La trame scénaristique, qui suit l'évolution psychologique du héros et de tous les protagonistes sur place, constitue sans conteste la deuxième ode à Apocalypse Now. Alors que votre équipe arrive sur place le coeur léger pour ce qui devrait être une simple mission de reconnaissance, elle se retrouve prise dans un engrenage malsain qui les engloutit peu à peu dans une horreur sans nom. Là où le phosphore blanc remplace le napalm, on est témoin d'une réelle descente aux Enfers qui aboutit à un remarquable finish.
Spec Ops : The Line a bien plus à nous offrir qu'un jeu d'action bourrin avec un système de couverture relativement classique. Démarrant sous un ton léger et jovial, le titre du studio Yager sombre dans la terreur, et le sang sur vos bottes finira rapidement sur vos mains. Si les décisions que l'on vous laisse prendre ne vous permettent pas toujours de sauver des vies, vous devrez tout de même en porter l'entière responsabilité. Vous ne quitterez pas l'aventure avec le personnage qui l'avait commencée, et ce long apprentissage des horreurs de la guerre, porté par une excellente ambiance sonore, vaut largement la peine d'être vécu. Au moins dans un jeu vidéo.