En mars 2012, Pendulo Studio surprenait son monde avec Yesterday, un jeu d'aventure aussi court, noir et palpitant qu'une nouvelle de Stephen King. Quelques mois après, le studio s'associe à Bulkypix pour adapter son titre sur iOS. Nous revoilà donc plongés dans ce thriller sombre et angoissant qui tranche radicalement avec les précédentes productions Pendulo.
Il semble que ce n'était qu'hier, et pourtant cela fait déjà neuf ans que les Espagnols de Pendulo Studios ont brillamment réveillé le jeu d'aventure point and click avec le premier épisode de ce qui deviendra la trilogie Runaway. Que ce soit pour ses personnages hauts en couleur, ses destinations souvent exotiques, ou simplement ses nombreuses blagues et références, les trois excellents volets séduiront sans mal les joueurs au point de couronner Pendulo comme nouvel ambassadeur du jeu d'aventure. Runaway sera suivi par The Next BIG Thing, une autre comédie tout aussi rigolote, cette fois sur le thème des monstres du cinéma hollywoodien. En 2012, le petit studio propose Yesterday, encore et toujours un jeu aventure point and click, mais dans un genre radicalement différent puisque nous plongeons la tête la première dans une histoire sombre, noire même, mettant en avant un héros suicidaire et des messes sataniques. Dès l'annonce du jeu, le changement de cap déboussole plus d'un fan du studio, même si à bien y réfléchir, la démarche se rapproche grandement de celle adoptée par LucasArts en 1995. Alors roi du point and click cartoon (Monkey Island, Maniac Mansion, Sam & Max), Lucas changeait lui aussi de direction pour lancer Full Throttle, une aventure crasseuse en compagnie d'un gang de motards, puis The Dig, une épopée de science-fiction géniale, mais pas drôle pour un sou. A l'image de ces deux pépites du catalogue LucasArts, Yesterday a le mérite d'élargir la gamme de jeux Pendulo et d'explorer de nouveaux territoires, à mille lieues du registre comique.
En effet, nous voilà en compagnie d'un casting étonnant de noirceur. Si l'aventure débute aux côtés du gringalet Henry White et de son pote Cooper dans une mission d'aide aux sans-abri, le titre bascule finalement pour suivre la destinée d'un certain John Yesterday. Depuis sa dernière tentative de suicide, Yesterday ne se souvient de rien. Ni de qui il est, ni pourquoi il a tenté de mettre fin à ses jours. Embauché pour découvrir la vérité sur une série de meurtres de clochards, notre gaillard parviendra doucement à retrouver la mémoire jusqu'à comprendre son lien avec une secte satanique. Volontairement très mystérieux dès le départ, le jeu Yesterday suit un déroulement plutôt malin fait de nombreux flash-back revenant sur tel ou tel événement important de la vie du héros. Ces scènes nous permettent de reconstituer peu à peu les pièces du puzzle, en sachant que l'on n'est jamais à l'abri d'une nouvelle surprise de la part de Pendulo.
Car oui, si Yesterday est bien une aventure à part dans le portfolio du studio, elle reste malgré tout marquée par la patte Pendulo et partage donc plusieurs éléments avec ses prédécesseurs, dont une qualité d'écriture indéniable. On retrouve par exemple de brillants dialogues, dans lesquels sont minutieusement distillés de multiples références au monde de la littérature ou du cinéma. On y retrouve aussi quelques traits d'humour – mais vraiment très peu, et généralement tous placés dans le registre de l'humour noir, forcément. Yesterday profite aussi de tout le savoir-faire de Pendulo en matière de réalisation. Bien loin des décors ensoleillés de Runaway 2 ou de l'extravagance des studios de The Next BIG Thing, les environnements de Yesterday tapent plutôt dans le registre de la station de métro désaffectée ou de l'usine abandonnée. En dépit du changement d'ambiance, la patte graphique est reconnaissable entre toutes et nous fait profiter de décors ultra soignés. Le fait de jouer sur iPhone prive toutefois le joueur d'une bonne partie des détails, trop petits pour être distingués sur l'écran de l'appareil. Le design des personnages est, en revanche, dénué de tout reproche. On aime ou on n'aime pas, mais Yesterday propose un univers bien à lui qui semble pas mal lorgner du côté de la BD. Un sentiment d'ailleurs renforcé par l'utilisation fréquente de vignettes en surimpression lors des dialogues ou d'événements importants.
Comme bien des jeux d'aventure, Yesterday est assez bavard. Les conversations sont toutes doublées en anglais (sous-titrées en français) et peuvent compter sur un casting de qualité pour donner vie aux personnages. Même son de cloche pour les musiques qui savent parfaitement quand intervenir pour faire monter la tension, ou simplement soutenir une phase de recherches. Les thèmes sont maîtrisés et, là encore, en parfait accord avec le sujet. Visuels et audio ne souffrent donc d'aucun problème particulier. Au contraire, ils participent à la force d'un titre qui nous captive de bout en bout. Hélas, les deux bouts en question ne sont pas bien éloignés l'un de l'autre. Et c'est d'ailleurs le principal reproche à formuler à l'encontre de Yesterday. L'aventure est condensée sur environ 4 heures de jeu, ce qui ne pèse pas bien lourd. Difficile à encaisser sur PC, la faible durée de vie est déjà plus pardonnable sur iOS où le prix de l'application se retrouve divisé par deux.
Si l'aventure est courte, elle n'en reste pas moins très intéressante et parsemée de bonnes énigmes à la fois originales et logiques. La plupart sont basées sur la collecte et l'utilisation d'objets. Ici encore, la petite taille de l'écran iPhone ne permettra pas de distinguer clairement tous les objets à ramasser autour de soi. Heureusement, l'option indiquant toutes les zones actives vole à notre secours pour illuminer une seconde la brosse à dents que nous n'aurions pas vue sur l'étagère ou le paquet de piles enseveli dans la poubelle. De toute manière, en cas de blocage absolu, il reste toujours l'option d'aide qui délivre un petit indice sur la prochaine étape à suivre. Au final, voilà donc un point and click qui fait plaisir à voir, à entendre et à jouer, en dépit d'une histoire pas vraiment joyeuse et parfois même bien malsaine. Avec Yesterday, Pendulo Studios démontre qu'il peut sans mal s'attaquer à d'autres styles, et qu'il n'est plus simplement le studio qui développe des bons jeux d'aventure rigolos. Le voilà devenu le studio qui développe des bons jeux d'aventure, tout court.
- Graphismes16/20
Pendulo s'est forgé une excellente réputation dans le domaine graphique. Ses productions sont toujours ultra léchées au niveau visuel et Yesterday ne déroge pas à la règle, même si le petit écran de l'iPhone ne rend pas forcément justice au travail effectué. Le style épuré pour les personnages fonctionne plutôt bien avec des décors très riches en détails. On regrette simplement un côté un peu figé des gros plans lors des dialogues. Remarquez, cela accentue aussi le côté BD.
- Jouabilité15/20
S'il est parfois difficile de déceler des objets dans le décor, les options d'aide permettent de ne pas bloquer bêtement dans une scène. Les déplacements et l'exploration sont aussi calibrés pour offrir un confort de jeu optimal. Par exemple, le héros se téléporte directement aux zones choisies sans avoir à traverser tout un décor. Un petit bémol est toutefois à noter lors des dialogues durant lesquels il est difficile de valider les courtes réponses, justement trop petites pour être visées et sélectionnées correctement avec le doigt.
- Durée de vie12/20
Le compteur dépasse péniblement les quatre heures de jeu. Amère sur PC, la durée de vie est déjà plus acceptable sur iOS. Le fait que le jeu soit ici vendu moins cher permet simplement d'encaisser plus facilement la mauvaise nouvelle. Le thriller aboutit sur quatre fins différentes. Pour les voir toutes, il faudra cependant recommencer le jeu depuis le début à chaque fois. Ou bien les chercher sur YouTube...
- Bande son17/20
Parfaitement maîtrisés, les thèmes musicaux s'insèrent à merveille dans l'aventure de Yesterday. Mention spéciale au petit thème sifflé qui devrait rester encore longtemps gravé dans la tête des joueurs. Côté doublage, les voix sont en anglais mais elles sont de qualité.
- Scénario17/20
L'histoire réserve son lot de surprises et de retournements de situations, chose à laquelle Pendulo nous avait déjà habitués avec sa série Runaway. Ce qui est nouveau par contre, c'est le ton résolument adulte et pessimiste de cette aventure surprenante.
Yesterday est court, c'est indéniable. Cela dit, l'aventure proposée est intéressante à plus d'un titre, ne serait-ce que par son histoire intrigante ou ses énigmes intelligentes et bien pensées. Yesterday présente aussi l'atout d'ouvrir de nouvelles portes à Pendulo Studios qui s'affranchit avec brio du genre comique qui avait fait son succès mais dans lequel on craignait de le voir tourner en rond. Une belle réussite pour les amateurs de point and click nomades !