Il est des séries qui demeurent injustement méconnues, dissimulées par l'ombre de grands noms ne laissant aucune chance à la simple créativité. Il en fut ainsi du sort de cette série maudite de Squaresoft, sans doute porteuse de beaucoup trop d'ambitions. Peu estimée, elle subit même l'offense de porter le nom de Final Fantasy comme pour tenter de cacher un secret honteux. Ce secret se nomme en réalité SaGa, ou l'ambition d'un homme qui, alors que le RPG nippon n'en est qu'à ses balbutiements, souhaite déjà changer les choses.
De son vrai nom, Makai Toushi SaGa (que l'on peut traduire par SaGa : La Tour du Monde des Esprits) est le premier épisode d'une série imaginée par Akitoshi Kawazu. Ce modeste employé de Squaresoft reçut la mission de réaliser un titre destiné à la Gameboy afin de profiter de l'incroyable succès de la portable de Nintendo. Ambitieux, celui-ci ne désire cependant pas céder à la facilité et rêve de briser les codes établis afin de proposer une expérience nouvelle, mêlant habilement les ingrédients des productions nippones et occidentales. Une volonté des plus louables puisque cette démarche a lieu en 1989. S'il devra évidemment revoir ses ambitions à la baisse, le support imposant de nombreuses restrictions, sa création n'en restera pas moins une expérience unique en son genre. La cartouche aura ensuite les honneurs d'une distribution américaine où elle adoptera le nom de Final Fantasy Legend par souci de commodité.
Vous prenez donc le contrôle d'un groupe de héros partis explorer une tour gigantesque censée mener au Paradis. A l'intérieur de celle-ci, chaque étage correspond à un univers à part entière et possédant son environnement propre. Ils seront bien entendu amenés à les explorer, jusqu'à réaliser qu'ils se trouvent en réalité prisonniers d'une sombre machination dissimulée sous de faux airs d'utopie. Bien que le thème puisse paraître des plus attrayants, les normes de l'époque imposent un scénario moindre (voire inexistant) et des protagonistes dénués de personnalité. Le principal intérêt du jeu est son gameplay innovant qui tranche radicalement avec ses contemporains. Dans un premier temps, ce dernier semble s'inspirer de Dragon Quest III en permettant au joueur de se rendre dans une guilde afin de former son équipe.
Plutôt que de proposer de traditionnelles classes, ce sont les races qui sont mises en avant, chacune comportant des caractéristiques bien précises et une manière d'évoluer différente. En effet, il n'est ici nullement question de gagner des niveaux par le biais de points d'expérience mais bien de remplir certaines conditions en fonction de vos origines. Ainsi, les humains frappent très fort et peuvent porter jusqu'à huit objets dans leur équipement. Ils évoluent en achetant trois sortes de potions influant sur leur force, leur agilité et leurs points de vie. Les mutants ne sont capables de porter que quatre objets mais peuvent avoir recours à la magie et ce sont les armes qui déterminent leurs statistiques (utiliser une épée augmentera leur force tandis que des armes à feu développeront l'agilité...). Enfin, les monstres constituent une certaine prise de risque comparé aux autres. Lorsque vous remportez des combats, certains ennemis laissent tomber un morceau de viande que vous pouvez dévorer. Grâce à cela, votre monstre adoptera une nouvelle apparence aléatoirement. Celle-ci peut donc être beaucoup plus puissante ou, au contraire, terriblement faible. Notons également qu'il est possible de déterminer le sexe de son personnage ou le type de monstres parmi trois possibilités à sa naissance.
La gestion de la mort de vos équipiers représente un autre concept totalement nouveau mais néanmoins cauchemardesque. Contrairement à la tradition qui implique de dormir pour ressusciter vos guerriers tombés au combat, vous disposez ici de trois vies par personnage, symbolisées par des cœurs. Chaque fois que l'un d'entre eux est ramené au sein des vivants, il en perd un. S'il n'en possède plus, il meurt définitivement. Déjà abominablement ardu à quatre, imaginez donc avec des partenaires en moins ! Pour ne rien arranger, vos armes disposent d'un nombre d'utilisations limité et se rachètent à un prix exorbitant. Principe qui symbolisera dès lors la marque de fabrique des prochains SaGa. Vous l'aurez compris, votre progression est loin d'être évidente et s'impose comme un véritable challenge avec perte de cheveux assurée. Et si cette difficulté pour le moins prononcée pourra convenir aux plus persévérants, l'aspect technique risque en revanche d'en rebuter plus d'un. Avec ses combats en vue subjective terriblement austères et ses décors désespérément vides, l'immersion s'avère des plus difficiles. Fort heureusement, la bande sonore réalisée par le célèbre Nobuo Uematsu, même si elle demeure rudimentaire, rendra ce long périple nettement plus supportable en nous laissant un agréable goût de nostalgie. Il serait tout de même dommage de rester sur ces quelques faux pas car, replacé dans son contexte, le soft se défend plutôt bien compte tenu du standard de l'époque. De plus, son contenu est riche et sa durée de vie honorable pour un jeu portable.
En conclusion, The Final Fantasy Legend est sans doute difficilement appréciable à l'heure actuelle tant il est archaïque et exigeant. Il demeure cependant un excellent investissement pour les passionnés de Gameboy et digne de respect par sa volonté d'innovation. Une cartouche emblématique et porteuse de nombreux espoirs qui ravira les nostalgiques.
- Graphismes13/20
Même en tenant compte de son âge avancé et du support, les graphismes ne semblent malheureusement viser que le minimum syndical et demeurent plutôt vides. La carte du monde, en particulier, est d'une tristesse affligeante. Cela dit, les combats affichent des monstres particulièrement détaillés.
- Jouabilité15/20
Simple et efficace, la maniabilité se veut exemplaire et démontre que deux boutons et une croix directionnelle peuvent s'avérer amplement suffisants dans un RPG.
- Durée de vie15/20
Une quinzaine d'heures sera nécessaire pour en venir à bout et davantage si vous prenez votre temps. Un constat appréciable sachant qu'il s'agit d'un jeu destiné à une portable 8 bits.
- Bande son13/20
Globalement, les thèmes musicaux sont de qualité et maître Uematsu a réalisé un travail plus que correct. Néanmoins, les sonorités de la Gameboy paraissent quelque peu désuètes à l'heure actuelle.
- Scénario10/20
Il est difficile de noter un tel critère car les jeux de l'époque ne disposaient pas encore de scénario à proprement parler. Le vide est donc forcément présent, mais la thématique de base reste bien imaginée.
Il ne fait nul doute que l'intérêt de Final Fantasy Legend réside avant tout dans une approche culturelle. Seule une poignée de passionnés ou de nostalgiques se risqueront à l'aventure et cette dernière pourrait leur faire passer un agréable moment en retour, pour peu qu'ils s'y penchent en abandonnant tous leurs préjugés.