Fin 2010, le petit monde très particulier des rétrogamers (une communauté de doux dingues ne jurant principalement que par les jeux en 2D) s'agite autour de la sortie imminente d'un jeu dénommé Pier Solar. Ce qui rend cette sortie si particulière, c'est que ce dernier n'est pas destiné aux consoles HD du moment, mais à une machine que l'on croyait morte et enterrée depuis bien longtemps : la Megadrive. Pour quelles raisons sortir un nouveau jeu sur une console 16 bits en 2010 ? Le résultat est-il convaincant ? C'est ce que nous allons voir maintenant.
L'histoire de Pier Solar commence en réalité vers le milieu des années 2000. Un petit groupe de programmeurs amateurs d'horizons géographiques divers, fans de Sega et de la Megadrive en particulier se réunit régulièrement sur un forum appelé Eidolon's Inn pour y parler technique. Ils débutent alors modestement un projet de jeu de rôle amateur à destination du Mega-CD, l'extension CD de la Megadrive, pour des raisons évidentes de praticité du support. Pourtant, le projet prend progressivement de plus en plus d'ampleur et le but de cette équipe baptisée maintenant Watermelon Team deviendra vite de finalement sortir une cartouche Megadrive pour les 20 ans de la mythique machine de Sega en 2008. Ce sera sans compter sur différents problèmes tant sur le plan technique que sur le plan humain... Début 2010, seuls quelques screenshots et une prometteuse, mais maigre, rom de démo destinée aux émulateurs Megadrive ont été dévoilés. Certaines personnes d'abord enthousiastes qui avaient précommandé leur exemplaire depuis déjà plusieurs longs mois commencent même à douter. Cependant, malgré les difficultés, la Watermelon Team n'abandonne pas et redouble même d'efforts pour nous sortir le jeu avant 2011.
Le résultat final est impressionnant, ne serait-ce que sur le plan technique. Jugez plutôt : la cartouche contient 64Mb de données (8Mo), ce qui en fait la plus « grosse » cartouche Megadrive existant à ce jour, reléguant ainsi Super Street Fighter II et ses 40Mb à la seconde place des plus imposantes cartouches de la machine. Pier Solar est également la seule cartouche à pouvoir aller lire les musiques du jeu sur un CD optionnel destiné à être inséré dans un Mega-CD (CD fourni avec les premières précommandes, à télécharger gratuitement sur le forum officiel du jeu puis à graver pour les suivantes). Ainsi, les possesseurs de Mega-CD pourront profiter in-game des magnifiques musiques du jeu en qualité CD. Ce qui ne veut pas dire que vous n'aurez pas de musiques en jouant sans Mega-CD, mais ces dernières seront synthétisées par le chipset sonore de la console, et donc de moindre qualité. Petit détail qui a son importance : la cartouche, la boîte du jeu, sa notice, et tous les artworks les accompagnant sont de fort belle facture. Tout est là pour nous remémorer le bon temps où la 16 bits de Sega était encore en activité ! Les nostalgiques et les amateurs de beaux objets apprécieront à coup sûr. Mais comme chacun le sait, un beau packaging et une cartouche énorme ne suffisent pas à faire un bon titre. Intéressons nous donc maintenant à ce que tout le monde attend avec fébrilité : Qu'en est-il du jeu lui-même ?
Pier Solar est un RPG d'influence nippone a priori classique mais qui cache tout de même quelques particularités bienvenues que nous verrons un peu plus loin. Au début du jeu, vous incarnez un jeune garçon répondant au nom de Hoston. Votre père récemment revenu d'un long voyage est gravement malade et seules certaines herbes poussant dans la forêt auraient le pouvoir de le sauver. N'écoutant que votre courage et pas votre mère qui vous interdit d'aller dans un endroit aussi dangereux, vous décidez d'aller chercher ces herbes en question, non sans avoir entraîné avec vous deux de vos plus fidèles amis, l'impétueuse Alina, et Edessot le jeune bricoleur de génie. En sortant de votre village, vous verrez vos protagonistes sur une carte générale sur laquelle il vous faudra choisir votre prochaine destination parmi plusieurs possibles, un peu à la manière du fameux Chrono Trigger. Sélectionnons donc la forêt susmentionnée et préparons-nous à vivre nos premiers combats.
Les affrontements surviennent de manière aléatoire et se déroulent au tour par tour comme dans la plupart des RPG japonais. Plusieurs options sont à votre disposition : combat manuel ou automatique, ou encore fuite devant des adversaires trop puissants. A noter que le combat automatique est à déconseiller si vous tenez à conserver des items de votre inventaire qui risquent alors d'être utilisés, ou si vous voulez économiser vos MP qui là encore peuvent être dépensés sans compter (un paramétrage préalable de ce mode auto reste toutefois possible pour éviter de tels désagréments). De plus, vous passeriez à côté d'un système de combat spécifique qui se trouve être la particularité la plus intéressante du titre. En effet, en plus des sempiternelles commandes « attaque », « défense », « magie » et « objets », une option vous permettra de vous concentrer pour charger du ki. Késako ? Eh bien il s'agit d'une sorte d'énergie psychique qui vous permet de lancer des sorts ou parfois des attaques plus puissants auxquels vous n'avez pas accès autrement. Il est possible de charger jusqu'à 5 points de ki, les attaques les plus dévastatrices nécessitant bien sûr plus d'énergie. Bien évidemment, si pendant un tour vous demandez à l'un de vos personnages de se concentrer, il ne pourra pas, pendant ce tour, effectuer une autre action comme par exemple attaquer ou lancer un sort. Un personnage qui a accumulé des points de ki peut également les transmettre à un allié si ce dernier en a besoin. Dans ce cas, le donneur d'énergie ne pourra pas effectuer d'autres actions non plus. Ce système donne aux phases de combat une dimension stratégique intéressante et non négligeable. En effet, à vous de juger, face à un adversaire donné, s'il vaut mieux faire se concentrer tel ou tel personnage pendant un tour ou deux, quitte à rester passif pendant ce temps, afin d'infliger plus de dégâts par la suite, ou alors s'il est préférable que tous les membres de votre équipe attaquent en faisant des dégâts moindres, mais sans discontinuer.
A noter également que les ennemis sont de deux types : les volants et les terrestres. Si les créatures terrestres ne posent aucun problème, en revanche pas la peine d'espérer vouloir toucher un monstre volant avec une simple épée ou toute autre arme de poing qui ne pourra pas l'atteindre, il vous faudra utiliser une arme de jet ou lui lancer un sort. On appréciera l'effort fourni pour rajouter encore du piment à l'aspect stratégique tout en apportant une touche de réalisme. Ces phases de combat sont donc exigeantes et demanderont toute votre attention, d'autant plus que la plupart des ennemis rencontrés sont assez coriaces. Si à cela on rajoute le fait que ces rencontres aléatoires sont plutôt fréquentes, vous comprendrez que la difficulté est bien au rendez-vous ! Même si vous ne passerez pas la majeure partie de votre temps à pratiquer le leveling comme dans un certain Phantasy Star II par exemple, cette technique pourra parfois s'avérer utile pour arriver à bout de passages délicats.
Côté graphismes, il faut bien admettre que l'ensemble fait bonne impression. Pier Solar n'est peut-être pas le plus beau jeu de la Megadrive, mais on s'en approche sérieusement. Il s'agit en tout cas du plus beau RPG de la machine, qui, il faut bien l'admettre, en compte relativement peu. On pourra toujours trouver à redire sur le design de certains personnages ou monstres, pas toujours très inspiré, ou sur le fait que l'écran d'inventaire n'est pas très sexy, il n'empêche que certains décors sont magnifiques, notamment durant les combats, et de nombreux lieux visités fourmillent de détails rendant l'ensemble fort agréable. Les musiques font très bien leur boulot également, soulignant avec brio les passages du jeu tantôt dynamiques, tantôt dramatiques, tantôt plus légers. Si vous possédez un Mega-CD, n'hésitez surtout pas à y insérer le CD audio du jeu tout en jouant, pour jouir d'une expérience acoustique bien supérieure. Petit bémol cependant concernant certains bruitages, pas forcément mauvais en soi mais parfois mal intégrés au reste de l'ambiance sonore.
La durée de vie du titre est conséquente, se situant sans peine dans la moyenne haute des jeux du genre. En effet, en marge de votre quête principale se grefferont quelques missions annexes, sans compter le temps qu'il faudra aux acharnés pour découvrir des salles souvent bien cachées contenant des objets plus ou moins secrets, les forçant même parfois à refaire certains labyrinthes après avoir fraîchement acquis de nouveaux pouvoirs leur ouvrant de nouvelles voies. Bref, Pier Solar se paye aussi le luxe de ne pas être totalement linéaire, contrairement à nombre de ses compatriotes de l'époque Megadrive/SNES. La question que l'on peut légitimement se poser maintenant, c'est pourquoi sortir ce jeu sur Megadrive en 2010 alors que la Watermelon Team aurait très bien pu le proposer sur des plates-formes de téléchargements plus actuelles, en bénéficiant par la même occasion d'une distribution bien plus large tout en étant moins limité techniquement ?
La réponse est simple et se résume en un mot : la passion ma bonne dame ! C'est une évidence, dès que l'on pose ses mains fébriles sur la boîte du jeu, Pier Solar transpire la passion à grosses gouttes. L'équipe derrière ce titre a voulu crier son amour pour la Megadrive, cela se voit, cela se ressent tout au long du jeu qui se trouve être une véritable ode au début des années 90, époque bénie du jeu vidéo pour ceux qui l'ont vécue. Le distribuer sur les machines actuelles n'aurait pas eu le même impact sentimental, loin de là. Et après tout, il est bien plus exaltant et gratifiant d'aller rechercher sur un vide-greniers (ou dans son propre grenier) une vieille Megadrive pleine de poussière pour une bouchée de pain, plutôt que de regarder bêtement une barre de téléchargement se remplir. On peut se dire que cela fait aussi un peu partie du jeu !
- Graphismes18/20
Difficile de déterminer si l'on doit noter Pier Solar comme un jeu de 2010 ou comme un jeu Megadrive. Etant donné qu'il s'agit d'un choix délibéré et même passionné de l'équipe de développement, il paraît alors logique de considérer qu'il s'agit bien d'un titre sur consoles 16 bits, avec les limitations techniques qui en découlent et dont il faut tenir compte. A l'évidence, Pier Solar est un très beau jeu Megadrive ! On peut toujours chipoter sur certains choix artistiques, l'ensemble reste propre, clair, bien animé et très plaisant au final.
- Jouabilité16/20
Le soft reprend globalement de vieilles recettes déjà éprouvées. Les commandes ainsi que le gameplay sont certes classiques, mais restent simples et efficaces. La Watermelon y a tout de même ajouté sa propre sauce en développant le système du ki, rajoutant ainsi une dimension stratégique non négligeable aux phases de combat, ce qui n'est pas désagréable.
- Durée de vie16/20
La durée de vie du jeu est plutôt conséquente. Entre la quête principale, les quêtes annexes et plusieurs secrets à découvrir, il y a de quoi faire… Sans parler du fait que les combats risquent de vous donner du fil à retordre !
- Bande son16/20
Les musiques vous accompagnant tout au long de votre aventure sont très réussies, bien que l'on puisse trouver certains thèmes répétitifs, particulièrement celui des combats qui revient forcément très souvent. Les bruitages s'en sortent globalement un peu moins bien, la faute à une intégration pas toujours au top. Vous pouvez malgré tout ajouter allègrement 3 points à cette note si vous possédez un Mega-CD et le CD du jeu. En effet, les musiques sont véritablement magnifiques sur ce support.
- Scénario17/20
Si en début de jeu le scénario ne semble pas briller par son originalité, il s'étoffe rapidement pour prendre beaucoup plus d'ampleur par la suite. Et si Hoston, Alina et Edessot sont bien les trois protagonistes principaux de l'histoire, ils seront rejoints à plusieurs reprises par d'autres personnages parfois hauts en couleur que vous aurez également loisir de contrôler. La narration vous mènera de rebondissements en drames et vous serez confronté aussi bien à d'anciennes civilisations qu'à une société secrète, entre autres choses. De quoi faire un bon RPG en somme.
Au final, Pier Solar, même s'il n'est pas tout à fait exempt de quelques petits défauts, est un très bon RPG qui a réveillé de façon magistrale une Megadrive que l'on croyait morte depuis longtemps. Il fait office de très bel hommage à l'époque 16 bits, et même si on peut lui reprocher un certain classicisme, on peut toujours arguer que c'est pour mieux se rapprocher des RPG japonais des années 90 auxquels les développeurs crient tout leur amour. Car en effet, loin de toutes les préoccupations pécuniaires trop souvent au cœur des productions vidéoludiques actuelles, la Watermelon Team a visiblement été motivée uniquement par sa passion et l'envie de la partager. Un bel exemple qu'on aimerait voir renouvelé plus souvent.