Qui croit encore que les jeux vidéo sont réservés aux enfants ? On sait bien par exemple que certains titres sont un peu trop violents pour être laissés entre les mains de nos chères têtes blondes. D'autres softs, un peu plus discrets, abordent tout simplement des thèmes qui passent loin au-dessus de la tête des plus jeunes. C'est le cas de Catherine, un soft vraiment atypique qui vise spécifiquement les joueurs approchant la trentaine...
Attention, Catherine fait partie de ces rares jeux qui ne rentrent pas du tout dans les gentilles cases auxquelles l'industrie des jeux vidéo nous a habitués. Atlus accouche en effet ici d'un titre déjanté, dérangeant, difficile et plus profond qu'il n'y paraît. Il faut reconnaître que les premières bandes-annonces jouaient déjà sur le mystère et l'ambiguïté : on y voyait de drôles de moutons apeurés et surtout une jolie blonde courtement vêtue... Il n'en fallait pas davantage pour que certains s'imaginent qu'il s'agissait là d'un soft légèrement fripon comme on en voit régulièrement fleurir au Japon. Ne leur en déplaise, Catherine n'est pas l'un de ces fameux jeux de drague qui ne franchissent généralement jamais les frontières de l'Archipel. Il s'agit plutôt d'un jeu de réflexion qui se pare des atours d'un visual novel pour vous plonger dans une intrigue mystico-psychologique. Cette courte description ne vous éclaire pas davantage ? C'est tout à fait normal, malgré les apparences, Catherine n'est pas du genre à dévoiler ses charmes aussi facilement.
Pour comprendre un peu mieux ce que vous réserve le soft, il faut d'abord préciser qu'il propose alternativement deux gameplays bien distincts. La journée vous suivez les états d'âme de Vincent, un trentenaire tout ce qu'il y a de plus ordinaire qui se retrouve dans une position particulièrement inconfortable : sa petite amie régulière, une certaine Katherine, cherche à lui mettre la bague au doigt alors qu'il vient de faire la rencontre d'une mystérieuse séductrice, la charmante Catherine, qui ne s'est pas fait prier pour prendre le chemin de son lit... Les hauts et les bas de la vie sentimentale de Vincent sont traités à la manière d'un visual novel relativement classique. Comprenez par là que vous aurez droit à de longues cinématiques animées mettant en scène des situations toutes plus embarrassantes les unes que les autres. Vous finirez ensuite vos journées dans le même bar où vous serez libre de papoter avec vos amis ou de gérer votre vie amoureuse par textos interposés. Les choses se compliquent lorsque vous rentrez chez vous et que vous vous abandonnez dans les bras de Morphée : les nuits de Vincent sont particulièrement agitées ! Tous les soirs, il fait encore et toujours les mêmes cauchemars obsessionnels dans lesquels il est affublé de cornes et où il doit gravir des montagnes de cubes pour sauver sa peau. Ces songes mouvementés et potentiellement mortels donnent lieu à un deuxième type de gameplay : des phases de réflexion en temps limité particulièrement stressantes.
Vous voilà donc face à de véritables murs de blocs qu'il vous faudra gravir le plus vite possible. Les règles sont simples : vous ne pouvez escalader ces blocs qu'un par un. Vous devrez donc les tirer et les pousser afin de vous arranger un chemin vers le sommet. Réfléchissez vite ! Le bas du mur va petit à petit s'effriter et la moindre chute est mortelle. Heureusement, vous pourrez mettre la main sur des oreillers pendant votre ascension, ces derniers tiennent en effet lieu de vies et donc d'autant de chances supplémentaires de réussir votre grimpette. Si le principe qui est à la base de ces phases est plutôt simple, les choses se compliquent rapidement une fois qu'il faut agencer correctement les cubes. Histoire de corser le défi, certains de ces cubes disposent de caractéristiques bien particulières : les uns sont trop lourds pour être déplacés, d'autres partent en miettes dès que vous les foulez ou sont constitués d'une glace très glissante... Chacune de ces nuits sera ponctuée par la rencontre de boss effrayants représentant les pires angoisses de Vincent. Il faudra alors prendre vos jambes à votre cou pour éviter de terminer en bouillie. Ce n'est pas tout, vous croiserez aussi parfois des moutons qui gêneront votre escalade à moins que vous ne leur donniez de grands coups d'oreiller. Ne soyez pas trop dur avec ces braves ruminants, les quelques haltes dans votre ascension vous permettront de discuter avec eux et de comprendre qu'il s'agit en réalité tout comme vous d'hommes qui n'ont pas la conscience tranquille.
Vous trouverez donc sur votre route des paliers vous permettant de faire des pauses et de sauvegarder. Ils disposent toujours d'une sorte de confessionnal dans lequel vous devrez passer pour répondre à d'étranges questions avant de continuer votre route. Cet interrogatoire régulier fait office de test de personnalité et vous situe sur une jauge qui détermine si vous êtes d'un tempérament plutôt angélique ou si vous êtes du genre à jouer avec le feu... Notez au passage que vous aurez à chaque fois droit à un petit compte rendu des proportions dans lesquelles les autres joueurs ont répondu. Ces fameux paliers sont aussi et surtout l'occasion de faire connaissance avec les moutons qui font l'ascension à vos côtés. Ils vous apprendront notamment des techniques d'escalade qui facilitent grandement les phases de grimpette, et ils vous feront part de leurs petits soucis personnels. Ils doivent en effet tous surmonter des problèmes différents et vos conseils leur permettront peut-être d'y faire face. Vous ne tarderez pas à découvrir qu'une bonne partie de ces pauvres bougres fréquente en réalité le même bar que vous et que vous pourrez continuer de les aiguiller entre deux verres. Cet établissement semble étrangement lié à vos escapades oniriques. Pour commencer, plus vous consommez d'alcool, plus vous serez rapide lors de votre cauchemar. Vous trouverez aussi dans la salle une borne d'arcade dont le principe rappelle fortement vos casse-tête nocturnes, à la différence près qu'ici ce n'est pas le temps qui est compté mais le nombre de vos mouvements. C'est enfin dans ce bar que vous prendrez petit à petit connaissance d'une rumeur inquiétante : la série de morts inexpliquées qui fait la une des journaux serait liée à une malédiction qui touche les hommes infidèles....
Ne vous en déplaise, le scénario de Catherine ne se limite pas à une histoire d'infidélité bête et méchante et vous permettra d'explorer des horizons totalement inattendus. En prenant un peu de recul, on peut avoir l'impression que le fil conducteur est une vague soupe ésotérique accommodée d'une bonne dose de psychologie de comptoir, mais tout le génie de Catherine est justement de ne pas vous laisser prendre ce recul. Vous êtes réellement en empathie avec ce pauvre Vincent et vous êtes balloté par les événements avec lui. Les différents choix moraux n'influent réellement que sur la fin du jeu, mais ils vont régulièrement orienter le dialogue intérieur de notre trentenaire déboussolé pour qu'il corresponde à votre état d'esprit. La relative passivité qui est inhérente au genre du visual novel est ici totalement assumée puisqu'elle vous scotche littéralement à la trame narrative. Les passages au bar vous laisseront tout de même quelques instants de liberté et vous aurez d'ailleurs l'occasion de vous exprimer en répondant aux nombreux textos que vous envoient vos deux petites amies. Que vous cédiez ou non à la tentation, cette histoire vous tiendra occupé un bon moment puisqu'il faut compter plus d'une quinzaine d'heures pour faire le tour du mode de jeu principal une première fois. Et puis, ce n'est pas fini, vous aurez ensuite l'occasion de vous casser la tête sur des niveaux générés aléatoirement en solitaire ou en coopération avec un autre joueur. Bref, Catherine ne se contente pas de proposer un concept atypique et un scénario qui vous tient en haleine, il peut aussi s'enorgueillir d'un contenu riche et solide qui risque bien de vous surprendre.
- Graphismes15/20
Les phases animées et les images en CG s'intègrent parfaitement bien pour nous offrir un univers graphique à la fois cohérent et complètement barré.
- Jouabilité13/20
Quelques petits soucis de prise en main rendent parfois les phases de réflexion un peu laborieuses : il n'est pas toujours aisé de se déplacer à gauche ou à droite lorsque l'on se suspend à des blocs, surtout lorsque l'on ambitionne de faire le tour du mur par l'arrière... L'originalité du concept et la simplicité du gameplay compensent heureusement en partie le problème.
- Durée de vie17/20
Il nous a fallu un peu plus de 16 heures pour faire le tour du mode principal intitulé Golden Theatre mais il faut prendre en compte le fait que les plus acharnés auront sans doute envie de découvrir toutes les fins du jeu... Vous pouvez encore poursuivre l'expérience avec des puzzles inédits, en solitaire ou en coopératif.
- Bande son16/20
Seul les doublages anglais sont proposés mais ils sont de bonne qualité. Les musiques sont plutôt cosy dans la journée et la nuit vous aurez droit à d'étonnantes déclinaisons de morceaux classiques lors de vos rêves.
- Scénario17/20
Le scénario est certes tordu, improbable, voire même tiré par les cheveux, mais il est surtout incroyablement bien mené et accrocheur. Il traite en effet d'un sujet quasiment universel et plus sérieux qu'il n'y paraît : le passage à l'âge adulte et le fait d'assumer ses responsabilités auprès de ceux qui nous sont chers.
Attention, Catherine est un véritable ovni qui ne plaira pas à tout le monde ! Mais ceux qui prendront la peine de se plonger dans son scénario et de se creuser la tête sur ses énigmes trouveront un jeu d'excellente qualité et particulièrement addictif. Que vous l'adoriez ou que vous le détestiez, une chose est certaine, ce titre ne vous laissera pas indifférent !