Peut-on encore parler de French Touch pour qualifier les jeux développés dans l'Hexagone ? Si l'expression a connu son heure de gloire dans les années 90, on a désormais du mal à retrouver des titres qui peuvent se targuer de proposer une approche typiquement française. Les choses sont peut-être sur le point de changer car les développeurs de cet âge d'or sont en train de faire leur grand come-back. Eric Chahi a eu son From Dust et c'est au tour de Paul Cuisset de revenir sur le devant de la scène avec AMY. Malheureusement, les ambitions de ces créateurs ne sont peut-être plus tout à fait compatibles avec le marché actuel. Elles donnent naissance à des jeux certes prometteurs, mais qui manquent aussi souvent de finitions.
N'y allons pas par quatre chemins, si AMY a su autant faire parler de lui, c'est avant tout parce qu'il s'agit du nouveau bébé de Paul Cuisset. Les plus jeunes ne connaissent peut-être pas ce pilier du jeu vidéo à la française et pourtant il a marqué de son empreinte la fin des années 80 et toutes les années 90. Des Voyageurs du Temps à la série des Moto Racer, en passant par Croisière pour un Cadavre et l'inoubliable Flashback, ce touche-à-tout a véritablement gâté toute une génération de joueurs avant de partir pour d'autres cieux. Il était déjà revenu par la petite porte sur le marché du jeu vidéo avec un soft DS plutôt discret intitulé Mr. Slime Jr. Le voilà de retour avec un projet un peu plus ambitieux prénommé AMY : le titre a beau être développé par une petite équipe d'une dizaine de personnes, il veut tout de même apporter une expérience forte aux joueurs que nous sommes. Comprenez par là que vous êtes censé rapidement oublier qu'il s'agit d'un jeu disponible en téléchargement pour seulement une dizaine d'euros.
Les choses commencent plutôt bien puisque le pitch comporte déjà son lot d'originalités. Chose plutôt inhabituelle, on y incarne une jeune femme, la belle Lana, qui organise l'évasion d'une fillette prénommée Amy d'un mystérieux centre de recherche. La petite ne ressemble pas vraiment aux autres enfants de huit ans : son autisme la rend muette et elle possède d'étranges dons psychiques... Leur fuite va très vite mal tourner, le train dans lequel elles se trouvent est victime d'un accident inexpliqué. Lorsque Lana reprend conscience, elle est seule dans une gare dévastée et peuplée de zombies. Il lui faudra prendre son courage à deux mains pour partir à la recherche de la fillette. Votre personnage n'a rien du héros body-buildé que l'on a l'habitude d'incarner, c'est une personne ordinaire plongée dans un environnement hostile. Les amateurs de survival-horror qui regrettent que leur genre de prédilection lorgne un peu trop vers l'action se frottent déjà les mains : AMY met vraiment l'accent sur la fragilité de ses protagonistes. C'est dans ce contexte de tension permanente que vous pourrez explorer la relation très particulière qui lie Lana et Amy.
En effet, tout le jeu est centré sur la coopération de ces deux personnages : Lana va tout faire pour sauver la fillette et cette dernière agit comme un remède qui empêche Lana de se transformer en zombie. Concrètement, il suffit de tenir la petite par la main pour être immunisé contre ce mal, si vous vous éloignez d'elle un peu trop longtemps, votre vision commencera à se troubler et vous entendrez même des voix avant de perdre tout simplement conscience. Si vous voulez éviter le game over, il vous faut utiliser au plus vite des seringues ou un masque à gaz pour reprendre toute votre tête. Le fait de flirter ainsi avec la mort aura parfois du bon puisque cela vous permettra de passer lentement à côté de monstres qui vous prendront pour l'un des leurs. Cette technique s'avère parfois nécessaire car Lana est loin d'être une grande combattante et ses armes de fortune (des barres métalliques le plus souvent) ont la fâcheuse tendance à se briser rapidement. Bref, AMY n'est clairement pas un jeu d'action et si vous voulez survivre, vous passerez le plus clair de votre temps à vous faire discrète en avançant doucement et en prenant garde à ne pas marcher sur des débris de verre, quitte à vous cacher parfois dans des armoires ou sous des tables.
Dans ces conditions, on pourrait craindre qu'Amy se transforme rapidement en véritable boulet. Heureusement, il n'en est rien, c'est même finalement le contraire qui se produit puisque les phases les plus laborieuses sont celles où vous devez vous séparer de cette petite pharmacie ambulante. Il faut alors toujours se méfier du niveau de contamination en gardant un œil sur l'indicateur coloré collé sur votre dos et se gaver régulièrement de sérum. Amy se révèle aussi de plus en plus utile au fil de votre aventure, en apprenant de nouveaux pouvoirs psychiques. Il lui faudra pour cela décrypter des glyphes inscrits sur les murs. Elle pourra par exemple ensuite utiliser la télékinésie ou créer des sphères dans lesquelles les bruits sont atténués. Le simple fait de la tenir par la main vous permettra aussi de déceler l'approche de vos ennemis : son rythme cardiaque s'accélère dès qu'un monstre est dans le périmètre. On l'aura compris, AMY est bourré de bonnes idées sur le papier qui sont censées faire vivre cette relation toute particulière entre la jeune femme et la fillette, malheureusement, les choses se corsent sérieusement lorsque l'on prend le pad en mains.
Il suffit en effet de faire deux pas avec Lana pour se rendre compte que la demoiselle n'est pas seulement fragile, elle manque aussi sérieusement de souplesse. On fermera les yeux sur les imperfections techniques qui font que les animations manquent de fluidité, on sera un peu plus regardant sur l'incroyable lenteur des mouvements vous permettant de monter à une échelle ou sur une petite caisse, mais surtout, on aura du mal à pardonner la lourdeur de Lana. Si la difficulté bien dosée est toujours la bienvenue, il y a de quoi littéralement devenir fou de rage en mourant pour n'avoir pas réussi à se placer correctement ou pour avoir bêtement marché un peu trop rapidement... Ne comptez pas sur les énigmes pour exciter vos neurones, il s'agit généralement d'abandonner Amy à un endroit avant de faire un détour pour mieux la retrouver. On se demande au passage qui a eu la très mauvaise idée d'installer systématiquement les ascenseurs à dix mètres des interrupteurs qui servent à les actionner. Il faut reconnaître que le jeu bénéficie d'une ambiance vraiment travaillée et d'une bande-son de toute beauté, mais il est aussi plombé par ce que l'on pourrait appeler le « syndrome Heavy Rain », comprenez par là qu'il cherche tellement à mettre l'accent sur l'implication émotionnelle du joueur qu'il en oublie totalement les bases du gameplay.
- Graphismes14/20
Le jeu accuse quelques petites faiblesses techniques (tearing, quelques ralentissements, mouvements un peu saccadés...) mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit d'un jeu téléchargeable et que les développeurs ont certainement dû faire face à des contraintes de taille. Au final, on retiendra surtout un univers graphique assez cohérent et parfaitement retranscrit à l'écran.
- Jouabilité9/20
AMY compile les bonnes idées piochées ici ou là. Les amateurs du genre y trouveront sans aucun doute un véritable survival-horror qui vous fait vraiment ressentir la fragilité de votre personnage. Malheureusement l'ensemble est plombé par une maniabilité rigide à l'extrême qui vous donnera davantage l'impression de diriger un semi-remorque qu'une jeune femme.
- Durée de vie15/20
Les six chapitres qui composent l'aventure sont relativement courts, mais la difficulté du jeu et la rareté des checkpoints risquent bien de freiner votre progression. Comptez ainsi une petite dizaine d'heures et un nombre incalculable de game over pour en voir le bout la première fois. Notez tout de même qu'il s'agit souvent de faire des allers-retours dans des lieux confinés.
- Bande son16/20
La bande-son constitue certainement l'aspect le plus réussi du titre : les musiques vous plongent d'emblée dans l'ambiance, les doublages sont de bonne qualité et les bruitages vous feront régulièrement sauter en dehors de votre fauteuil.
- Scénario13/20
Si la relation entre Lana et Amy est plutôt convenue et qu'elle fait appel à quelques ficelles qui ont un petit goût de déjà-vu, il faut reconnaître que la sauce finit par prendre et que l'on s'attache réellement à ces deux personnages. On regrette par contre que de nombreux points du scénario restent en suspends.
Ce n'est pas facile d'émettre un jugement bien tranché sur ce fameux AMY. Certes, le jeu se base sur d'excellentes idées et il parvient à rendre au survival-horror le sentiment de détresse et d'insécurité qui faisait tout son charme. Mais il propose aussi un gameplay d'une incroyable lourdeur qui ferait sortir hors de ses gonds même le joueur le plus calme du monde.