Comme le dirait notre ami Usulmaster, il y a deux sortes de jeux vidéo : les jeux vidéo traditionnels et les free-to-play. Les premiers nous demandent de payer et les seconds... nous demandent aussi de payer, sauf qu'ils le font d'une autre manière. Et parfois, les jeux vidéo dits "gratuits" s'avèrent bien plus onéreux que leurs homologues payants. C'est le cas de Drakensang Online, un agréable MMO hack'n slash pourri par son modèle économique.
En mai 2010, le studio Radon Labs, à qui l'on doit entre autres la série des Drakensang, adaptation du fameux jeu de rôle papier L'Oeil Noir, est en situation de faillite. BigPoint, gérant d'un portail bien connu de jeux sur navigateur, fleure l'opportunité et décide de racheter la société moribonde de ses compatriotes allemands. L'éditeur voit là l'occasion de proposer un jeu Web basé sur la licence Drakensang, qui reste très populaire en Allemagne. Le titre est dévoilé dès la gamescom 2010 : il prendra finalement la forme d'un hack'n slash en ligne, jouable gratuitement et sans abonnement, qui ne reconduira du célèbre jeu de rôle que son moteur graphique (le Nebula 3 Engine) et fera l'impasse sur ce qui avait trait à L'Oeil Noir – c'est-à-dire à peu près tout (univers, système de règles, gameplay...). Au mois d'avril 2011, Drakensang Online entre en phase de bêta-test fermé, puis passe en bêta ouverte l'été suivant. Les premiers inscrits découvrent alors ce qui s'avère être un jeu beau et dynamique, hélas doté d'un item shop envahissant. Aujourd'hui, alors que le bébé de Big Point Berlin est en passe de franchir la barre des 2 millions d'inscrits, il est temps de faire le point.
Ce qui frappe dès le premier contact avec Drakensang Online, c'est la facilité à rentrer dans le jeu en 3 clics de souris, sans aucun download de client préalable, quand bien même on nous propose une réalisation d'un niveau rarement atteint dans un browser-game. Les décors jolis et fouillés, les monstres bien animés et les effets de lumière très réussis n'entachent jamais une fluidité qui reste optimale en toutes circonstances, même s'il est conseillé de disposer d'une connexion haut débit performante pour un chargement rapide et sans heurts des différentes zones de jeu, particulièrement vastes. En même temps, si on peut commencer à jouer si rapidement, c'est aussi parce que la phase de création de personnage est réduite à sa plus simple expression. Pour le moment, elle ne propose que deux choix de classes – magicien du cercle ou combattant du dragon – sur les quatre prévues à terme. Ces deux types de héros suscitent certes des styles de jeu très différents, mais on ne peut les personnaliser comme on le souhaiterait, que ce soit physiquement (les options sont d'une grande pauvreté) ou statistiquement parlant. Sur ce dernier point, le constat est même accablant.
La seule tâche requise se résume en effet à se rendre chez son maître de classe pour améliorer l'une de ses cinq compétences (seulement) à certains niveaux définis. Rien ne ressemble donc autant à un mage qu'un autre mage et à un guerrier qu'un autre guerrier. C'est tout de même assez regrettable dans un genre qui exploite depuis longtemps le principe des arbres de talents pour permettre au joueur de développer son personnage avec un peu de latitude. La seule prise qu'offre Drakensang Online en la matière tient aux équipements de types et de raretés variés, qu'il est possible de booster en les sertissant de pierres aux effets divers. La customisation sera donc à chercher de ce côté, mais il faut bien avouer que cela ne nuit en rien à l'intérêt et au dynamisme des combats, qui se révèlent efficaces et plaisants. Le mage peut jongler entre ses sorts offensifs et ses pouvoirs de contrôle (nova de glace/téléportation) pour faire face aux créatures qui l'assaillent, tandis que le guerrier, qui dispose de capacités typiques (charge/cri de guerre) est invité à gérer sa "colère" pour pouvoir asséner ses coups les plus puissants. Les deux gameplays fonctionnent très bien.
Il y a toutefois un "léger" souci. Outre la ressource de base utilisée pour lancer les pouvoirs (mana pour le mage, colère pour le guerrier), Drakensang Online intègre une seconde ressource : les essences. Chaque capacité dispose en effet de deux versions : une simple, peu puissante et souvent insuffisante pour affronter des créatures puissantes et/ou en grand nombre, et une version évoluée, bien plus performante, dont l'utilisation consomme ces fameuses essences. Cette seconde ressource, obtenue de temps en temps sur les monstres, s'épuise très vite, contraignant alors à se rabattre sur la version simple du pouvoir... à moins bien sûr de se rendre dans l'item shop et d'en acheter contre un peu d'Altérium. L'Altérium, kesako ? Il s'agit d'une monnaie virtuelle qu'il est possible d'obtenir via micro-paiement. Actuellement, 1.500 Altériums s'échangent contre 1,99 euro (avec tarifs dégressifs à la clé). Au début, ça paraît honnête : on en achète un peu et on se dit qu'on est tranquille pour un bon moment. Mais on se rend vite compte que cette monnaie, que l'on récupère aussi – mais en très faible quantité – en guise de drops ou de récompenses de quêtes, sert à peu près à tout.
Commençons par l'une des activités les plus basiques d'un hack'n slash : l'identification des objets magiques. Dans Drakensang Online, un item enchanté peut être identifié moyennant une certaine quantité de cristaux de vérité, qui est fonction de son degré de rareté et de son niveau. Autant dire que pour un objet légendaire de haut niveau, il en faudra quelques centaines, là où on n'en trouve que trop rarement sur les créatures occises. "Par chance", il est possible d'obtenir lesdits cristaux contre de l'Altérium. Si on ne passe pas à la caisse, les objets non identifiés finissent par s'entasser dans l'inventaire, en l'absence de coffre de stockage. "Par chance", le jeu permet aussi à l'utilisateur d'étendre la capacité – extrêmement réduite – de son inventaire. La première extension, qui procure 7 cases supplémentaires, ne coûte "que" 1.600 Altériums, mais le tarif est exponentiel, puisque la dernière extension actuellement disponible en demande tout de même 128.000. On a fait le calcul : il est possible de doubler la capacité de son inventaire pour 32,50 euros et de la tripler contre la somme de 218 euros. Mais "par chance", vous venez d'hériter ou de gagner au loto, n'est-ce pas ?
Le recours au cash shop n'a rien de scandaleux en soi dans un free-to-play, mais les tarifs prohibitifs pratiqués dans Drakensang Online le sont, d'autant qu'ils s'appliquent à une ressource essentielle, qui permet d'acquérir des items puissants, d'en renforcer les propriétés, de déverrouiller les coffres, de voyager par l'intermédiaire des portails, de ressusciter à l'endroit où l'on a passé l'arme à gauche, et qui ouvre l'accès à des donjons destinés aux groupes. Ces derniers ne sont toutefois pas essentiels tant ils se montrent peu inspirés. En revanche, le système de craft, bien que simpliste, constitue une aubaine dont les joueurs payants tireront le meilleur profit. Il consiste à combiner quatre objets de même rareté pour en obtenir un autre d'une rareté supérieure. Encore faudra-t-il pouvoir identifier le résultat de cette manipulation, et disposer de suffisamment de place pour conserver les items voués au recyclage. De même, le PvP organisé, encore peu élaboré (il consiste à participer à des matchs à mort ou à des captures du drapeau en arène pour gagner des insignes de notoriété et des rangs PvP), pâtit forcément des déséquilibres imputables au modèle économique.
Bien qu'il soit possible de jouer sans sortir le porte-monnaie, et bien que les taux de drop d'essences et d'Altérium aient augmenté à l'occasion des dernières mises à jour, l'expérience d'un joueur gratuit restera donc démesurément plus frustrante que celle de son homologue payant. C'est d'autant plus regrettable que Drakensang online avait tout pour plaire : des zones de jeu bien fichues, dotées d'un bestiaire varié, des villes animées truffées de PNJ, des quêtes particulièrement nombreuses (qui ont toutefois tendance à se raréfier à haut niveau), mais surtout une vraie difficulté – chose à laquelle on n'était plus vraiment habitués. La progression devient rapidement ardue, ce qui pousse à coopérer pour s'entraider – ne serait-ce que pour repousser la menace du PvP sauvage sur les serveurs dédiés. Les derniers ajouts (guildes avec canal de chat, panneau social, emotes...) renforcent d'ailleurs le volet communautaire, ce qui n'est pas pour nous déplaire. Mais dans l'attente d'un assouplissement du modèle économique, seuls les joueurs suffisamment fortunés pourront profiter de ce sympathique MMO hack'n slash tué dans l'oeuf par les prétentions financières de son exploitant.
- Graphismes18/20
Accessible directement, sans aucun téléchargement ni sans aucune installation préalable, Drakensang Online constitue une véritable performance technique. Car c'est aussi l'un des plus beaux jeux Web actuels, qui perpétue joliment le moteur et le style graphique de ses prédécesseurs.
- Jouabilité15/20
La prise en main constitue l'un des atouts majeurs de Drakensang Online. L'interface offre bon nombre de panneaux escamotables et de raccourcis. Dommage que le faible nombre de talents rende le gameplay répétitif et réduise le développement de personnage à sa plus simple expression.
- Durée de vie14/20
Le jeu profite déjà d'un contenu conséquent, régulièrement enrichi par de fréquentes mises à jour (dernièrement : les barouds, les guildes et les donjons de groupe). BigPoint Berlin doit à présent proposer le plus vite possible les deux autres classes promises et développer le haut niveau.
- Bande son17/20
L'aspect sonore est l'un des éléments de satisfaction de Drakensang Online. Les thèmes musicaux, tantôt épiques, tantôt bucoliques, tantôt inquiétants, collent bien à l'univers du jeu, et laissent parfois s'exprimer des sonorités environnementales de grande qualité.
- Scénario13/20
Le background du jeu, que l'équipe de BigPoint Berlin a dû concevoir en marge de la licence d'origine (L'Oeil Noir), est finalement peu utilisé. Même si leur principe est souvent basique, les quêtes ont toutefois le mérite d'exister et d'être émaillées de nombreux traits d'humour.
Drakensang Online avait tout pour devenir le hack'n slash en ligne de référence : des graphismes somptueux – qui représentent une prouesse technique pour un jeu sur navigateur –, des combats dynamiques et prenants, une vraie difficulté à haut niveau et un contenu déjà conséquent au vu de la jeunesse du titre. Seul le développement de personnage se montre plus décevant. Mais on aurait pu composer avec ce défaut si ce bel ensemble n'était pas gâché par un modèle économique qui dévore littéralement le jeu de l'intérieur. C'est bien simple : de l'identification des objets jusqu'à la recharge de l'énergie magique, il faut passer à la caisse pour à peu près tout. Et par-dessus le marché, les tarifs du cash shop sont bien trop prohibitifs pour profiter d'une expérience décente. Du coup, seuls les joueurs suffisamment fortunés, ou assez patients pour s'adonner au farming des heures durant, profiteront de ce sympathique MMO hack'n slash ruiné par la gourmandise de son exploitant.