Bien avant Assassin's Creed, l'infiltration en milieu médiéval voyait son concept naître dès 1998. Le défunt studio Looking Glass (qui s'était auparavant distingué avec les Ultima Underworld et System Shock) sort le tout premier volet de Dark Project, dont la forte personnalité et l'originalité sont alors une véritable bouffée d'oxygène dans le paysage sanguinolent du FPS de l'époque, trop enclin au génocide. Retour sur un jeu culte.
Des cathédrales gothiques jouxtant des machineries anachroniques dignes de Jules Vernes, des torches rudimentaires côtoyant des lampes électriques et autres monte-charges modernes... Dark Project plante son décor si particulier, dévoilant un univers médiéval steampunk maîtrisé dans lequel on va faire évoluer Garrett le ténébreux. Cynique antihéros de l'ombre, classieux voleur sournois, c'est lui qu'on va prendre un plaisir coupable à incarner, recherchant le meilleur butin à dérober.
L'approche furtive est ici de rigueur, c'est la base même du jeu. Si vous voulez tuer tout ce qui bouge, vous n'irez pas bien loin. Pour bien maîtriser les techniques de l'infiltration, vous aurez à votre disposition un arsenal artisanal, notamment à base de flèches : eau, feu, mousse, corde... toutes ont pour vocation de vous aider à rester le plus discret possible et à faire un maximum d'obscurité pour couvrir vos méfaits. Il y a aussi une petite panoplie de gadgets pour vous tirer de mauvais pas (grenades éblouissantes, mines, etc...). Les plus importants restent la matraque, pour assommer les sentinelles, et les passe-partout avec lesquels on se livrera à l'art du crochetage pour ouvrir les portes récalcitrantes.
Le jeu se compose de dix missions avec des objectifs différents et variés à remplir. Outre ces objectifs, la plus grande quête de Dark Project sera de collecter un maximum d'or, bijoux et autres biens précieux qu'ils soient mis en évidence ou au contraire bien cachés. Et des cachettes, le soft n'en manque pas. C'est même l'un de ses délices les plus savoureux : traquer les cachettes dérobées et autres passages secrets pour découvrir diverses surprises au fil des parties. Autre régal, celui du pickpocket qui subtilise clés, bourses, potions et flèches sur des ennemis qui ne se doutent pas de votre présence, à condition de rester sous couvert des ténèbres environnantes. Une jauge de discrétion est d'ailleurs présente au bas de l'écran, idée qui sera reprise plus tard par un certain Splinter Cell.
Ces actions sont purement optionnelles, on peut envisager de traverser les niveaux sans se livrer à ce genre de choses. Mais c'est ce qui fait tout le sel de Dark Project, toute sa profondeur, sa richesse. Il y a une réelle liberté d'action qui laisse continuellement le choix des stratégies, chaque obstacle pouvant s'appréhender de diverses façons, garantissant au soft un taux de rejouabilité exceptionnel. Pas de doute, nous tenons ici l'un des concepts les plus excitants du monde vidéoludique.
Certes, déjà à l'époque de sa sortie, le moteur 3D de Dark Project est à la traîne comparé aux Half Life, Unreal et Co qui cartonnent alors. Mais l'immersion du titre est telle que ça en devient parfaitement secondaire, même aujourd'hui. En revanche, on déplorera déjà plus le fait qu'en voulant varier son action, ce premier opus perd parfois en homogénéité et pointe les limites du concept. En effet, dès que l'on quitte les vastes demeures cossues truffées de sentinelles humaines pour s'aventurer du côté de ruines à la Tomb Raider ou dans des souterrains peuplés de créatures issues de la fantasy, les missions perdent instantanément en intérêt. Non qu'elles soient mauvaises, mais loin d'être aussi captivantes que les niveaux "standards", ceux qui font toute l'identité d'un Dark Project. Les derniers stages sont à ce sujet - et hélas - les moins affriolants. Quelques défauts se relèvent aussi pêle-mêle au fil des parties, comme certains décors trop vides ainsi qu'une IA parfois défectueuse et décevante.
Fort heureusement, ces zones d'ombre ne suffisent pas à ternir le tableau. Ce premier volet fait déjà preuve d'une efficacité exemplaire de par son principe envoûtant et son atmosphère ultra-immersive, offrant une expérience de jeu passionnante et ouvrant la porte à la fois à un genre nouveau ainsi qu'à une nouvelle licence plus que prometteuse. Ce dernier point sera confirmé par Dark Project 2 : L'Age de Metal, qui sortira moins de deux ans plus tard. Cette suite s'avérera encore plus aboutie, mais signera aussi et hélas le chant du cygne du papa de Dark Project, le talentueux Looking Glass Studio.
- Graphismes14/20
Si l'aspect technique (déjà un peu à la traine à sa sortie) n'est pas le point fort du soft, il est compensé par sa direction artistique, modelant des environnements imprégnés d'ambiance, bâtissant un univers médiéval steampunk des plus réussis. L'intérêt des missions permet en outre de largement surmonter ce petit handicap.
- Jouabilité17/20
Si le gameplay requiert un temps d'adaptation pour le maîtriser et en tirer profit, la prise en main ne pose aucun problème. On regrettera seulement une gestion des sauts peu intuitive et quelques murs invisibles. Mais absolument rien de rebutant.
- Durée de vie17/20
Comptez une vingtaine d'heures lors du premier passage. Cependant, le très large éventail de possibilités pour franchir un niveau ainsi que la présence de trois mode de difficulté assurent au titre une rejouabilité assez phénoménale, d'autant qu'on prend de plus en plus de plaisir au fil des parties.
- Bande son18/20
De la haute voltige! Bruitages et voix sont au diapason pour favoriser l'immersion du joueur, avec même quelques jolies saillies humoristiques dans les répliques des gardes, qui confèrent une vie foisonnante à l'ensemble. Les compositions d'Eric Brosius sont discrètes mais efficaces. Elles instaurent un climat sombre et inquiétant avec quelques envolées électro surprenantes, mais en totale adéquation avec l'univers décrit.
- Scénario16/20
Objectifs annulés, mystères et retournements de situation tirent vers le haut un scénario prenant et l'air de rien assez marquant. Mais ce qu'on retiendra surtout est la haute qualité des dialogues, mâtures comme trop rarement dans un jeu vidéo.
Dark Project pose dès 1998 les bases de l'infiltration moderne à travers un gameplay bien huilé qui laisse au joueur une liberté d'action remarquable puisque chaque niveau peut s'appréhender de multiples façons. Si ce premier volet accuse quelques faiblesses en proposant des missions d'un intérêt inégal, force est de constater que la recette fonctionne globalement à merveille. L'identité est forte, grâce à un personnage central charismatique, un univers original et une ambiance qui assure une immersion sans faille ou presque. Un jeu d'exception, qui aurait mérité plus de succès qu'il n'a réellement connu.