Renommé Might & Magic Heroes pour harmoniser les titres de tous les jeux de la licence, Heroes of Might & Magic est de retour dans un sixième volet toujours supervisé par Ubisoft, mais confié cette fois aux Hongrois de Black Hole Entertainment. Ces derniers se sont efforcés de revenir aux bases de Heroes III, qui est considéré comme l'épisode le plus réussi, tout en introduisant certaines évolutions destinées à faire entrer la série dans la modernité.
Jon Van Caneghem révèlera-t-il un jour comment il a découvert la formule si addictive de Heroes of Might & Magic ? Toujours est-il que plus de 20 ans après King's Bounty (l'épisode fondateur), la série continue à passionner les joueurs grâce à cette ineffable magie qui n'appartient qu'à elle. Si vous n'avez jamais joué à un Heroes, sachez que le principe de ces jeux de stratégie au tour par tour, saupoudrés d'éléments de RPG et de gestion, est très simple. Après avoir choisi l'une des factions disponibles, vous débutez la partie aux commandes d'une ville, dont vous gérez le développement, et d'un héros, dont vous contrôlez les déplacements sur la carte. Muni des troupes produites de façon régulière par votre cité, vous partez affronter les monstres errants dans le cadre de combats tactiques qui vous donnent l'occasion d'épauler vos forces avec des pouvoirs magiques. Ce faisant, vous gagnez de l'expérience et de l'équipement bien utile tout en vous assurant le contrôle des ressources de la map, la finalité étant de prendre les villes adverses et de défaire les héros qui y sont rattachés. L'ensemble, qui fonctionne admirablement bien, a culminé dans un troisième opus dont les développeurs de Black Hole entendent retrouver la richesse et la profondeur, tout en opérant une tentative d'ouverture vers un public toujours plus large.
Plus encore que Heroes V, qui marquait le passage à la 3D, Might & Magic Heroes VI témoigne en effet d'une volonté d'inscrire la série dans la modernité, et notamment de ne pas louper le coche du social gaming. Le titre, qui se lance via Uplay, la plate-forme d'Ubisoft, propose un menu général dans l'air du temps, émaillé de multiples widgets permettant d'accéder à sa liste d'amis, de communiquer via Skype ou encore de consulter les classements mondiaux. Pour bénéficier de cet ensemble de fonctionnalités communautaires, appelé "Conflux", vous devez bien entendu être connecté à Internet. Vous profitez alors d'un profil de joueur, la "Dynastie", qui enregistre vos statistiques, conserve la trace de vos exploits et vous permet d'acquérir de l'expérience à travers les parties effectuées, quel que soit le mode de jeu. Mieux : qu'elles aient été obtenues in-game ou débloquées avec les points gagnés, les récompenses de Dynastie profitent indifféremment à tous les héros que vous êtes susceptible d'incarner. Ainsi, l'arme de Dynastie dont un personnage aura amélioré l'efficacité dans le cadre d'une partie, pourra ensuite passer entre les mains d'un autre. Voilà un concept un peu difficile à appréhender, mais auquel vous vous ferez vite, d'autant qu'il fait sens au vu de l'inter-connexion des différentes campagnes.
Might & Magic Heroes VI s'intéresse à la dynastie du Griffon, dont vous suivrez la destinée dès le prologue où vous incarnerez le Duc Slava. Tout en vous initiant aux mécanismes de jeu, vous vivrez les heures sombres où Slava, sommé de sceller une alliance avec son vieux rival Gerhart, se voit contraint de le laisser épouser sa fille Irina. Soucieux d'éviter que la politique ne déchire sa famille, le Duc du Griffon ne cessera de veiller sur ses cinq enfants Anton, Irina, Sandor, Kiril et Anastasya, mais – ironie du sort – sera assassiné par cette dernière, manipulée par la magie. Chaque héritier connaîtra alors un destin différent en se ralliant à l'une des factions disponibles (Nécropole, Havre, Sanctuaire, Inferno et Bastion) pour tenter de venger la mort de son père et enrayer le complot qui menace la paix d'Ashan. Soutenue par une traduction française de qualité, des doublages soignés et des artworks très réussis (par lesquels on aurait bien remplacé les quelques cut-scenes réalisées avec le moteur du jeu), la campagne de Heroes VI se révèle bien plus intéressante à suivre que celle du précédent volet. On apprécie qu'une fois le prologue achevé, les cinq scénarios puissent être joués indépendamment et dans n'importe quel ordre tout en étant reliés les uns aux autres (comme dans Heroes III ), un épilogue se débloquant une fois que vous les avez tous bouclés.
En vous laissant construire votre personnage comme vous l'entendez, Black Hole a trouvé un autre moyen de vous impliquer dans l'histoire. Que vous incarniez un des protagonistes de la campagne ou un héros sur mesure, Might & Magic Heroes VI vous permet en effet de choisir sa voie, celle des larmes ou du sang. La première est empruntée en épargnant les fuyards, en prônant l'indulgence dans vos décisions ou en privilégiant les pouvoirs défensifs, et réciproquement pour la seconde. Quelle que soit la voie suivie, moyennant une certaine constance, vous finirez par accumuler assez de points pour devenir un champion dans le domaine en question, ce qui modifiera votre look en conséquence et vous permettra de débloquer des capacités spéciales. Cet opus vous offre aussi, pour la première fois dans la série, un contrôle total sur l'évolution de votre héros : chaque niveau atteint vous octroie un point de capacité à investir dans une foultitude d'arbres différents. Vous êtes invité à puiser librement les pouvoirs que vous souhaitez, qui touchent à des domaines très variés, l'accès au rang 3 restant tout de même conditionné par l'affinité de votre héros (force ou magie). Heroes VI rationalise donc le système d'évolution historique de la saga en évacuant sa part d'aléatoire. Voilà qui devrait susciter de nombreux builds, mais aussi pas mal de débats.
La tâche n'était pas simple pour Black Hole, contraint de jongler entre les envies d'évolution d'une partie des fans et les objections réactionnaires des autres. La réduction du nombre de ressources à trois de base (or, bois et minerai) et une seule rare (les cristaux) ne manquera pas non plus de nourir une polémique que les développeurs ont pourtant tenté de désamorcer avant même qu'elle n'émerge. De notre point vue : non, cela ne rend pas le jeu moins stratégique et au contraire, dans la mesure où toutes les ressources sont désormais utiles à tous les types de villes ; mais il est vrai qu'on y perd une certaine richesse. L'apparition d'un système de zones de contrôle va aussi dans ce sens. En gros, les bâtiments de ressources à capturer, comme les mines, sont à présent reliés à un point de contrôle, qui peut être une cité ou un fort. Ce n'est qu'en vous emparant de ce dernier que vous devenez le propriétaire des bâtiments alentours. Voilà qui empêche le harcèlement des zones ennemies par des héros qui ne seraient pas soutenus par une armée solide (une bonne chose, sans doute ?), mais qui en contrepartie, vous incitera trop souvent à aller droit au but en vous rendant directement au point de contrôle. La possibilité de convertir forts et cités dans votre faction est animée du même souci d'efficacité puisqu'elle favorise la croissance rapide de vos armées.
Le recrutement de vos troupes connaît d'ailleurs un changement majeur. Là où, auparavant, il fallait passer dans chaque ville pour récupérer les créatures générées, Heroes VI mutualise l'ensemble de la production hebdomadaire, que vous pouvez acquérir à partir de n'importe quel fort ou cité. Cette idée a certes pour ambition de réduire les allers-venues ainsi que les mulets typiques de la série, mais elle ne favorise nullement l'aspect tactique des déplacements, un héros recruté à l'arrache dans une auberge devenant tout à fait capable de défendre une ville sans surveillance contre un assaut soudain. Sur cet aspect précis, il est légitime d'invoquer une certaine régression stratégique. Dans le même esprit, le système de town portal a été revu et corrigé pour devenir un bâtiment constructible qui, une fois upgradé, permet non seulement de rejoindre instantanément la plus proche cité munie d'un portail, mais aussi de se téléporter librement vers n'importe quelle ville ou fortin contrôlé. Même s'il vous coûte la quasi-totalité de vos points de mouvements pour le tour, le combo est bien trop abusé. Le résultat, c'est que ce Heroes-là est le premier... où vous recrutez aussi aussi peu de héros, étant donné que ce n'est plus vraiment la peine de les multiplier. Casualisation, argueront certains, quand d'autres préféreront à nouveau parler d'efficacité.
Louable en soi, cette recherche d'efficience devient toutefois gênante quand elle écorne un des aspects intouchables de la série : les écrans de ville. Qui ne s'est jamais surpris à rêver en navigant entre les différents bâtiments de sa cité sur les musiques enchanteresses de Rob King et Paul Anthony Romero ? Dans Might & Magic Heroes VI, le constat est accablant : les écrans de ville se trouvent réduits à une représentation fenêtrée et non interactive, les actions de développement étant reléguées dans une série d'onglets et de panneaux tristounets. Cette modification a beau n'avoir aucune incidence sur le gameplay, elle n'en reste pas moins assez dommageable en termes d'ambiance, et témoigne une fois encore de la volonté d'évacuer tout superflu. De la même manière, si les maps fort jolies et détaillées (le niveau de zoom est impressionnant) écrasent visuellement parlant la 3D de l'opus précédent tout en offrant une meilleure clarté, on y retrouve moins d'à-côtés fantaisistes. Ce passage à la maturité touche aussi les compositions musicales, toujours aussi belles et richement instrumentées, mais peut-être moins propices à la rêverie. Notons au passage que si on a grand plaisir à retrouver quelques vieux thèmes réorchestrés, on se lasse un peu d'entendre ceux de Clash of Heroes pendant les combats.
Même si la possibilité d'évaluer les forces en présence sans aucun prérequis, de battre librement en retraite ou encore de relancer l'affrontement pour minimiser ses pertes rendent leur approche plus permissive que dans un King's Bounty : The Legend, il faut reconnaître que les batailles n'ont rien perdu de leur potentiel tactique. Proches de Heroes III dans leur gestion de l'initiative, elles regorgent d'occasions d'utiliser les capacités spécifiques de vos troupes, d'autant que la magie a été rééquilibrée pour renforcer l'intérêt des buff/debuffs au détriment des dégâts directs. L'ensemble se révèle assez classique mais n'est pas dénué de nouveautés : outre les sièges, qui permettent désormais d'attaquer les fortifications ainsi que de placer une unité à distance dans une tour prévue à cet effet, on notera l'apparition d'une capacité de faction, dont la jauge se remplit au fil du combat. Cette dernière fonctionnalité est sans doute inspirée par King's Bounty : The Legend, tout comme l'arrivée de champs de bataille plus variés, d'objectifs évolutifs, d'arènes dynamiques et de boss à affronter ! Seule réserve : l'IA se focalise trop sur les mêmes tactiques pour représenter un véritable problème. On apprécie par contre, sur le plan visuel, les animations de combats (surtout quand vous laissez une unité inactive trop longtemps !) et les effets de sorts très réussis.
Si la finition n'est pas parfaite (il subsiste quelques petits bugs), Might & Magic Heroes VI a tout de même profité d'un sacré coup de polish depuis la première bêta. Qu'on apprécie ou non toutes les évolutions proposées, le plaisir de jeu reste bien réel et peut être prolongé au-delà de la campagne à travers de nombreux modes alternatifs. Vous pouvez jouer des parties personnalisées, que ce soit en mode Escarmouche, en mode Duel ou à travers des scénarios indépendants. Il n'y avait qu'une seule carte de scénario dans la version testée, mais son indéniable qualité laisse présager l'arrivée d'autres maps de ce type en DLC. Bien entendu, les indispensables modes multijoueurs, plus paramétrables que jamais (vous pouvez notamment y autoriser ou non les bonus de Dynastie), répondent toujours présents à l'appel : l'option hot seat ravira les amateurs de parties longues et conviviales, tandis que le jeu en ligne vous permettra de vous mesurer avec 2 à 7 autres candidats sur une dizaine de maps. La cerise sur le gâteau, c'est la présence au lancement d'un éditeur de cartes ; c'est en tout cas ce que les développeurs nous ont promis, vu qu'il n'était pas inclus dans la version testée. Heroes VI est donc au moins aussi complet que ses prédécesseurs, et nous ne saurions trop recommander à ceux qui n'en auraient pas encore assez, la lecture du magnifique Compendium des créatures d'Ashan.
- Graphismes17/20
Might & Magic Heroes VI bénéficie de cartes superbement détaillées et dotées d'un niveau de zoom assez hallucinant, ainsi que de champs de bataille qui fourmillent d'animations réussies. Seules réserves : les cut-scenes assez moches et les écrans de ville littéralement massacrés.
- Jouabilité16/20
Heroes VI rationalise la veille formule que l'on connaît en lui ôtant sa part d'aléatoire et de superflu, qui faisait aussi sa magie. La jouabilité est bonne et l'interface assez pratique ; les panneaux ne sont pas toujours très clairs, mais c'est aussi parce qu'ils regorgent d'options.
- Durée de vie18/20
Riche de 24 cartes au total, la campagne vous tiendra occupé entre 50 et 75 heures (certains niveaux pouvant s'étaler sur plus de 3 heures). Ajoutez-y les parties dans les modes Escarmouche, Duel, Scénario et Multijoueur (en hot seat ou en ligne), ainsi qu'un éditeur de cartes.
- Bande son17/20
Superbes et richement instrumentées, les nouvelles compositions musicales s'avèrent toutefois moins marquantes que les quelques thèmes réorchestrés issus de précédents jeux de la franchise. Les bruitages sont corrects et les doublages en français très honnêtes.
- Scénario16/20
Préquelle aux événements de Heroes V, l'histoire nous invite à suivre la destinée des différents membres d'une même famille. L'intrigue n'est pas hautement originale mais bénéficie de personnages attachants et d'une narration solide qui la rendent particulièrement agréable à suivre.
Might & Magic Heroes VI est l'épisode de la maturité, mais ça n'en fait pas pour autant le meilleur de la série. Enrichi de fonctionnalités modernes, soutenu par une campagne passionnante et par une réalisation superbe, ce sixième volet ne déçoit pas, mais tout le monde n'appréciera pas les évolutions apportées, destinées à recentrer le propos sur l'essentiel. La rationalisation du système de progression des héros et la recherche d'efficacité dans le moindre mécanisme de jeu (qui s'accompagne parfois d'une certaine simplification), seraient plus judicieuses si elles ne s'opéraient pas au détriment de la part d'aléatoire, de superflu et de fantaisie qui faisait aussi le charme de la série. La formule reste hautement addictive, mais on a l'impression d'avoir perdu quelque chose en cours de route. C'est peut-être ça, le prix de la modernité ?